
Le kilichi est une spécialité culinaire emblématique du Niger, très prisée aussi bien en milieu rural qu’urbain, et même au-delà des frontières. Ce produit est constitué de fines tranches de viande séchée, généralement provenant de grands ruminants. Cette méthode traditionnelle de production confère au produit une texture unique et une saveur inégalée. Le Niger est reconnu comme «le berceau» ou principal producteur de kilichi. À l’origine préparé à base de viande de bœuf, de mouton, de chèvre ou de chameau, le produit a connu une évolution. Pour répondre à la diversité des goûts et des exigences nutritionnelles, les acteurs de la filière proposent aujourd’hui des variantes à base de poisson ou de volaille.

À Niamey, les producteurs et vendeurs de kilichi sont présents un peu partout dans la ville. C’est notamment le cas au point de vente de la place du rond-point Terrain Musulman, surnommé « la route du kilichi ». En effet, tout au long de l’avenue de l’OUA, on peut voir exposées différentes variétés de kilichi. On en trouve également au quartier Soni, au quartier Liberté, sans oublier le marché Katako ainsi qu’aux alentours des autres marchés de la capitale. Plusieurs personnes, majoritairement des jeunes, y sont installées et constituent les principaux acteurs de la production et de la commercialisation de ce produit. Pour de nombreux commerçants, Katako représente le noyau du kilichi à Niamey.
Le kilichi tire ses origines des peuples nomades et sédentaires du Sahel nigérien. Depuis des générations, la viande séchée et épicée constitue une source importante de protéines pour les populations locales, tout en s’adaptant aux conditions climatiques arides. À l’origine, il s’agissait d’un produit artisanal, destiné à un usage familial ou communautaire. Avec le temps, il est devenu un produit commercial prisé dans toute la région. Selon certains chercheurs nigériens, ce sont les Touaregs, éleveurs du Niger vivant principalement de lait, de fromage et de viande, qui auraient inventé le mot «Kiliss» en langue Tamasheq, signifiant « lamelle de viande ». Par la suite, à travers le brassage entre les sociétés touarègues et les Haoussa sédentaires, ce terme est devenu kilichi.
D’autres attribuent l’origine du kilichi à la chefferie traditionnelle. Face aux risques d’empoisonnement, les autorités coutumières évitaient de consommer de la viande sans garantie sur sa provenance. Elles désignaient donc des bouchers de confiance pour abattre les animaux à l’écart des villages. Toute la viande était ensuite transformée en viande séchée, stockée dans les palais royaux, soit pour la consommation des chefs, soit pour offrir aux hôtes de marque.
Ainsi, le kilichi trouve aussi ses racines dans les régions de Maradi et Tahoua, notamment dans les départements de Tessaoua et Madaoua, où il était traditionnellement préparé pour conserver la viande après de longues périodes de chasse. D’autres personnes parlent des chasseurs qui sont des professionnels de la viande Noire pratiquant la chasse depuis plusieurs siècles. Comme l’homme a chassé depuis la préhistoire afin de se nourrir ; il en faisait des stocks de sécurité à travers la pratique du séchage. A cette occasion, ils faisaient sécher et parfois fumer la viande fraîche pour pouvoir la conserver jusqu’à leur retour au village après plusieurs jours de chasse.
La préservation d’un savoir-faire ancestral
Au Niger, la production de kilichi est devenue une activité artisanale importante, principalement exercée par les bouchers. Ces dernières années, grâce aux actions de promotion de la filière, cette activité génère des revenus intéressants et attire de plus en plus de jeunes. Le kilichi est aujourd’hui un produit à fort potentiel sur les marchés sahéliens. Très nourrissant, il est le plus souvent consommé tel quel comme en-cas. Riche en nutriments, il contient des protéines, des lipides, du fer, du sel et un pH élevé. Selon des spécialistes de la nutrition, sa composition reste stable même après transformation, ce qui lui permet de conserver ses qualités nutritionnelles.
Alhaji Karimou Zoubeyrou, propriétaire de l’entreprise « Kilichi du Niger», explique que sa fabrication demande rigueur et savoir-faire. Elle consiste à trancher finement de la viande musculaire de grands ruminants, à la sécher, l’enrober d’une sauce à base d’épices, pâte d’arachide, sel, ail, gingembre, piment, puis à la sécher de nouveau et enfin la griller. La production peut varier selon la demande. À Niamey, elle atteint entre 10 000 et 15 000 kg de viande transformée par jour. Aujourd’hui, le kilichi est produit dans tout le pays et commence à s’exporter, devenant une filière économique dynamique, prisée, aussi bien en zones rurales qu’urbaines, par les Nigériens comme par les étrangers.
«On pourrait gagner beaucoup plus si la flière était mieux structurée»
Alhadji Zabeyrou a aussi expliqué que la production du kilichi a des enjeux économiques et commerciaux fort intéressants, d’où la nécessité de promouvoir le développement de la filière kilichi au Niger. D’après cet expert en fabrication de kilichi, il existe trois différentes variétés, à savoir le « Jàa » de couleur rouge, enrobé de pâte d’arachide avec épices rouges ; le « fari » de couleur blanche qui est enrobé dans la pâte d’arachide sans épices rouges, et le « roumouzou » qui n’est enrobé dans aucune pâte, mais avec tous les ingrédients. L’apparence du produit à travers ses couleurs, son aspect, et son odeur, ainsi que son état à la mastication, sa croustillance, sont les critères d’appréciation de la qualité du ‘’kilichi’’ par les consommateurs. Les différentes variétés de ‘’kilichi’’ doivent avoir une odeur d’arachide grillée, épicée mais pas très forte. Le ‘’kilichi’’ a cette particularité d’avoir un bon goût, même si le goût change selon les variétés. Les procédés de fabrication du ‘’kilichi’’ sont : le séchage, le salage, le fumage, la friture et la fermentation.

Selon Nouhou Idi, un producteur, on peut classer ces variétés de kilichi’’ en fonction des traitements associés et au séchage. Ainsi, précise-t-il, on distingue le kilichi séché non salé, le kilichi séché salé, le kilichi séché et fumé. Cependant, malgré cette diversité, l’exportation reste majoritairement informelle. Peu de producteurs sont agréés ou suivent les normes internationales d’hygiène. « C’est notre faiblesse. On pourrait gagner beaucoup plus si la filière était mieux structurée », a-t-il déploré.
D’après lui, le principal obstacle reste la conservation, le Kilichi est sensible à l’humidité, aux moisissures et aux parasites. Or, les producteurs utilisent rarement des emballages ou des conservateurs adaptés.
Un produit d’exportation à valoriser
Le président de l’Association Nigérienne des Producteurs du Kilichi (ANIPROK), Malam Idi Sahabi, souligne que le Niger a participé à plusieurs foires dans la sous-région, comme au Sénégal, au Mali, au Burkina Faso, au Nigeria en Mauritanie, etc. Pendant toutes ces sorties, le ‘’kilichi’’ du Niger se démarque des autres. Au regard de cette importance, les producteurs du Niger sont devenus des dignes représentants du pays à l’extérieur. Il soutient que nombreux sont les pays dont les ressortissants viennent au Niger pour acheter du ‘’kilichi’’ en gros pour le revendre en détail chez eux. C’est dire à quel point ce produit est devenu un produit d’exportation qui apporte une grande contribution à l’économie nationale en apport de devises. A cet égard, le President de l’ANIPROK demande à l’Etat de les accompagner dans le renforcement de la filière. Il s’agit, selon lui, de valoriser davantage la production par la modernisation de la filière ‘’kilichi’’ pour permettre aux producteurs, ainsi qu’au pays, d’en tirer le meilleur profit.

M. Elhadji Mamane Sani dit Dan jouma indique que la commercialisation du ‘’kilichi’’ varie en fonction des moments, tout en précisant que la commercialisation à l’extérieur du ‘’kilichi’’ est plus importante que celle au niveau national. « Les principaux clients sont aujourd’hui ceux qui voyagent vers les autres pays qui en achètent pour amener à leurs amis ou parents. Il y a aussi certains Nigériens qui vivent à l’extérieur qui en demandent beaucoup », a-t-il souligné.
Pour sa part, M. Illa, un producteur dudit produit, soutient qu’aujourd’hui, la commercialisation du ‘’kilichi’’ connaît une évolution importante, ce qui a conduit à la mise en place d’une structure chargée de coordonner cette activité de la filière ‘’kilichi’’.

Reconnaissance internationale, défis persistants et nécessité de modernisation
Malgré l’obtention du certificat d’enregistrement en Indication Géographique Protégée (IGP), délivré par l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) en avril 2023, les producteurs de kilichi continuent à faire face à de nombreuses difficultés. Selon M. Karimou Zabeyrou et ses collègues, les obstacles sont multiples. D’abord, la livraison vers d’autres pays est devenue un véritable défi depuis le coup d’État du 26 juillet 2023. Ensuite, la fiscalité reste lourde, avec des montants jugés trop élevés. À cela s’ajoutent des problèmes liés à la conservation de la viande et à l’augmentation continue du prix des animaux.
Ils constatent également que les Nigériens établis dans d’autres pays africains sont mieux équipés, avec des machines de transformation modernes et des systèmes de conservation performants, ce qui les rend plus compétitifs.

Face à cette situation, les acteurs de la filière appellent les autorités à mieux valoriser cette activité porteuse. Ils demandent un accompagnement structuré, notamment en matière d’aménagement, d’équipements modernes et de formation. Leur ambition : faire du kilichi du Niger un produit aussi reconnu et exporté que le cacao de la Côte d’Ivoire ou le café d’Éthiopie.
Adamou. I Nazirou (stagiaire)