Bulletin d’information N°2, février 2025
Le jeudi 13 février 2025, l’institut de Recherches en Sciences Humaines (IRSH), l’Université du Bien Commun (UBC) et NEXUS Emilia Romagna, ont conjointement organisé une conférence dans le cadre du projet « Promotion de la coexistence pacifique, de la protection et du dialogue interreligieux au Niger » (AID 012970/01/4), financée par l’Agence Italienne pour la Coopération au Développement (AICS). La conférence a porté sur le thème : « Rôle des leaders religieux dans la nouvelle recomposition socio-spatiale de l’AES » et, est animée par Cheik Ben Salah Hamada Ali, Père Anthony Coudjofio, Vickers Général de l’Église Catholique du Niger, et Monsieur Alou Hama Maïga Président de l’Association pour l’Union et le progrès islamique (AUPI). Elle a été modérée par le Professeur Naré Oumarou, doyen de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques (FSJP) et membre de l’Université du Bien Commun.
Cette deuxième newsletter retrace les moments forts de la conférence en commençant par les allocutions des responsables des structures organisatrices, ensuite par les interventions des conférenciers avant de finir par les contributions du public.
Les allocutions des responsables des structures organisatrices
Dans son mot de Bienvenue, le Directeur de l’IRSH rappelle que cette conférence fait suite à celle du 16 janvier 2025 ayant porté sur les perspectives qui s’offrent aux États de l’AES en terme de « la souveraineté dans un monde multipolaire ». Il a également rappelé le programme de recherche réalisé en 2019 par l’IRSH sur la coexistence interreligieuse et interculturelle dans 6 des 8 régions du pays et que « l’espace AES et le Niger en particulier terre de brassage, a longtemps vécu dans une symbiose religieuse, vecteur de paix et de sécurité. » Les leaders religieux sont censés protéger cette paix et cette sécurité grâce à la transmission de la parole divine.
L’allocution du Directeur a été suivie du mot du Représentant de l’Université du Bien Commun, Père Mauro, qui a rappelé le mouvement insurrectionnel des 16 et 17 janvier 2015 organisé par les islamistes pour protester contre la position du Président Issoufou Mahamdou en faveur des victimes des attaques terroristes de Bataclan (France). Il estime que le thème de la conférence rentre dans la droite ligne des évènements de cette journée.
Ce fut ensuite le tour de la Représentante de NEXUS pour rappeler l’importance de cette activité pour sa structure et le bailleur.
Dans le même ordre d’idées, le doyen de la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques (FSJP) a salué, en sa qualité de membre de l’Université du Bien Commun, l’organisation de l’évènement qui cadre avec l’Ordonnance n°2023 02 du 28 juillet 2023 portant organisation des pouvoirs publics pendant la période de la transition. L’ordonnance dispose en son article premier, alinéas et 2, « le Conseil National Pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP) réaffirme son attachement aux principes de l’État de droit et de la démocratie pluraliste. Conscient de sa responsabilité devant le peuple nigérien, le CNSP assure la préservation de l’unité nationale et garantit la cohésion sociale ; Il assure à tous l’égalité devant la loi sans distinction de sexe, d’origine sociale, ethnique ou religieuse. Il garantit en outre les droits et libertés de la personne humaine et du citoyen tels que définis par la déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 et la Charte africaines des droits de l’Homme et des peuples de 1981 ».
Cette disposition fond amentale de la loi montre, selon le modérateur, la nécessité de toujours garder à l’esprit l’utilité du consensus entre les leaders religieux, acteurs indispensables à la préservation des valeurs qui fondent notre société.
Les leaders religieux sont essentiels dans la recherche et la consolidation de la paix. C’est pourquoi, selon lui, il faut se poser les bonnes questions.
Quel rôle les leaders religieux doivent-ils jouer pour consolider la paix dans l’espace AES ?
Quels les comportements doivent-ils adopter pour aider à asseoir les valeurs de cohésion et de paix au sein de l’espace AES ? Peut-on avoir un espace confédéré de dialogue ?
Les interventions des conférenciers ont tenté d’apporter des éléments de réponses à toutes ces questions.

La substance des interventions des conférenciers
Pour le premier conférencier, Cheick Ben Salah Hamadou Ali, il faut trouver des passerelles et des points de convergence entre les hommes et entre les religions. Au-delà de la réponse militaire légitime, il est urgent d’établir le dialogue. En se référant à plusieurs passages du Coran, il apprend que, contrairement aux préjugés, la religion musulmane est une religion de paix dans la mesure où l’Islam refuse toute provocation gratuite au nom de la préservation de la paix, de la tolérance, de l’amour et de cohésion entre les humains. Pourtant, quand on parle de l’Islam, c’est le Jihad qui apparaît, a-t-il laissé entendre. Cependant, après avoir apporté des précisions sur l’historique et le sens du Jihad, en s’inspirant du texte coranique, il a démontré que seule la vie est sacrée, qu’aucune guerre ne peut l’être. L’Islam conseille de combattre ceux qui vous combattent sans jamais outrepasser les limites de ce qui est permis. Cette défense obéit donc à des règles qui consistent à épargner les enfants, les femmes, les vieillards et les récoltes. Aujourd’hui, ces valeurs sont prises en compte dans la convention de Genève sur les droits humains. A lui de préciser qu’en Islam, déclarer le Jihad, relève de la seule responsabilité du Chef de l’État.
Même si dans sa conclusion il fait remarquer que l’Islam est paix et que Dieu lui-même est paix, il ajoute que ce qu’il faut craindre, c’est la méconnaissance de la religion par les adeptes. D’ailleurs, il a noté qu’en observant la carte des conflits dans le monde, on se rend compte que « les guerres les plus sanglantes et les plus meurtrières ont pour champ d’opération les pays et les régions les plus fortement islamisés ». Il finit par une question qui interpelle tous les leaders religieux : « Quand allons-nous enfin cesser d’enseigner une chose et de pratiquer le contraire? »
L’intervention du Père Anthony Coudjofio
Le deuxième intervenant, Père Anthony, Vickers Général de l’Eglise Catholique du Niger, considère la religion comme facteur de progrès dans le sens où le religieux accompagne l’État dans les actions de développement. A ce titre, il a rappelé que la courageuse décision des autorités politiques du Mali, du Burkina Faso et du Niger de créer l’AES engage toutes les couches de la société. A ce titre, il pose trois questions essentielles, à savoir :
Les leaders religieux, ont-ils un rôle à jouer dans cette nouvelle recomposition socio-spatiale ?
Peut-on réellement compter sur eux ?
Que peuvent-il apporter concrètement ?
Pour répondre à ces questions, il a basé sa réflexion sur un constat avant de traiter le rôle des leaders religieux.
En ce qui concerne les constats, il a rappelé les arguments des détracteurs de la religion qui fustigent les « discours moralisateurs » de ces Hommes de Dieu dont on demande paradoxalement les prières pour apaiser les esprits. Pour le Père Anthony, cette sollicitation du religieux constitue la preuve que les leaders religieux disposent d’une certaine considération dans la société.
Après ce constat, il aborde le rôle des leaders religieux en rappelant les domaines dans lesquels ils interviennent : les médias, la justice, et la paix. Dans l’espace AES, nous avons un même et unique Dieu avec la prière comme élément commun. Pour cela, il estime que les leaders religieux doivent renforcer les convictions religieuses des croyants en les amenant vers Dieu et non vers ce qu’ils veulent : « si vous n’y croit pas, vous n’y tiendrez pas ». Les leaders religieux doivent s’appuyer sur le livre saint de leur confession et prôner tout ce qui est vertu : hospitalité, solidarité, justice. Le dialogue islamo-chrétien doit être une priorité car il permet une compréhension mutuelle. Nous sommes tous créatures de Dieu. C’est pourquoi chrétiens et musulmans doivent s’appuyer sur les facteurs de diversité. Chacun doit découvrir sa propre religion et essayer de découvrir celle de l’autre car Dieu appartient à tous. Au Niger, la mise en place du comité de dialogue inter et intra-religieux de dialogue (CDIR) a permis de résoudre beaucoup de conflits. Les leaders religieux doivent rappeler les réalités suivantes :
– l’appartenance à un même espace géographique est un don de Dieu ; personne n’a choisi d’être là où il est ;
– la tentation d’oublier souvent l’histoire. Il est important de rappeler à tous que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Il est donc nécessaire de se rappeler l’histoire pour éviter les écueils du passé.
L’une des missions des leaders religieux, selon Père Anthony, doit donc être d’interpeler les autorités politiques sur la manière de gérer. Dans sa conclusion, Père Anthony a rappelé que pour les chrétiens, Jésus reste le modèle. Le rôle des leaders religieux doit être de rappeler que l’Homme vient de Dieu et retourne à lui.
L’intervention du troisième conférencier
Le troisième conférencier est Cheik Alou Hama Maiga qui est le responsable de l’Association pour l’Union et le progrès Islamique (AUPI), Secrétaire Général chargé des relations avec les partenaires au sein du Comité National de Dialogue Intra et Inter Religieux (CDIR Niger). Il a donné l’architecture du CDIR qui comprend 15 musulmans et 8 chrétiens. Il est structuré en 8 comités régionaux (1 comité par région), 146 comités communaux (sur les 266 communes) et 8 comités départementaux.
Ce comité a pour objectif de renforcer la capacité des leaders religieux, de développer la culture de tolérance. Il a dressé un éventail des interventions du CDIR et a souligné que dans l’espace AES, le CDIR a pris de l’avance sur les autorités politiques en matière de coopération sous-régionale.
Parole du public
Une quinzaine de participants ont apporté leurs contributions ou demandé des éclaircissements. Parmi les contributions, on note celle qui rappelle qu’au 21ème siècle, le Sahel était confronté à beaucoup de crises localement appelé « Ballahou » : crise sécuritaire, COVID. Pour COVD, la réponse fut la fermeture des lieux de prière, ce qui est contraire à l’usage dans notre espace où n cas de crise, on mise sur les prières pour implorer l’aide du Tout Puissant. La gestion des évènements du 23 juillet 2023 prend le contre-pied de la gestion de COVID. Face aux sanctions de la communauté internationale, la réponse fut le retour de la prière (les knuts) au niveau des espaces publics et de culte. Ce retour aux prières est un évènement marquant de notre histoire ; c’est un acte qui renoue avec la tradition. Le CDIR est un instrument de la diplomatie religieuse, le Niger a besoin de cette diplomatie.
Un autre intervenant a retenu de la conférence les mots forts comme la paix, l’amour, la tolérance et la solidarité. Le souci de vivre ensemble, la coexistence pacifique. Pourquoi donc la violence ? A cette question, il a deux explications :
– L’ignorance. Beaucoup de pratiquants ignorent leur religion.
– L’injustice sociale. La mauvaise répartition des richesses qui conduit à la misère et aux frustrations.
Les leaders religieux doivent éclairer les croyants et l’État doit veiller à la justice sociale. Il faut être vigilant face à la manipulation du religieux pour des raisons autres que la cause du religieux. Les religion chrétienne et musulmane ont la même source ; « point de crainte en matière de religion, la vraie voie se distingue d’elle-même ».
Un autre participant a commencé par une question à laquelle il a apporté lui-même la réponse : Que se passe-t-il lorsque les principes énoncés ne se passent pas ? La réponse est le risque, en politique, de l’absolutisme de la décision. Un des rôles des leaders religieux, c’est de rappeler les limites du pouvoir. Il faut avoir le courage de dénoncer la corruption, de dire la vérité mais cela a un prix. Les leaders religieux ne doivent pas accepter de se compromettre dans des actes de corruption car « la bouche qui mange ne parle pas ».
Le quatrième participant a proposé d’acclimater les textes religieux à notre espace à travers deux grands schémas : la parenté à plaisanterie et le modèle du panthéon songhoi-zarma (les génies Gandji tchirey, Gandji bi).
Les participants ont également posé beaucoup de questions :
– Pourquoi est-on arrivé à une telle montée de l’extrémisme ? Qu’en est-il du principe de la séparation des pouvoirs État -religion ? Quel rôle a joué la religion pour éradiquer ces problèmes qui s’annonçaient ?
– En cas de problèmes entre un croyant musulman et un croyant chrétien, quelle parole peut-on prôner ? Est-ce que dans les écoles coraniques les oulémas enseignent aux enfants que nous avons le même Dieu ?
– Quels sont au Niger, les dangers d’enlever la laïcité de la Constitution ?
– Y aurait-il d’autres rencontres en complément à cette belle initiative ?
Les réponses à ces questions concourent vers la création des conditions permettant à chacun de se sentir en sécurité. Cela relève de la responsabilité collective. Il faut lutter contre l’ignorance, la pauvreté, la stigmatisation et la mal gouvernance.
Pour la dernière question, le modérateur a rappelé que la présente conférence est la suite d’une série de conférences qui vont se poursuivre dans le cadre de la thématique générale « Promotion de la coexistence pacifique, de la protection et du dialogue interreligieux au Niger ».
Professeur Abdou Bontianti
Directeur de Recherches
Institut de Recherches en Sciences Humaines (IRSH)
Université Abdou Moumouni
