Le Président de la République, Chef de l’Etat SE Issoufou Mahamadou a pris part à l’instar de ses quatre homologues Africains, mardi dernier aux travaux de la 1ère table ronde virtuelle de haut niveau sur la résilience africaine et l’après crise Covid 19. Cette table ronde organisée par le New York Forum Institute (NYF Institute) est placée sous le thème «Pour un monde résilient : l’appel de l’Afrique en faveur d’une nouvelle gouvernance mondiale». Une occasion pour les Chefs d’Etat du Niger, du Kenya, de la Côte d’Ivoire, du Sénégal et de la Sierra Léone d’évoquer, tour à tour, les réponses que le continent peut apporter au monde et les défis socioéconomiques auxquels l’Afrique fait face depuis l’avènement de la pandémie du Covid 19 qui a étonnement bouleversé le monde. Lire en page 2, les réponses de SE Issoufou Mahamadou.
Réponse de SEM. Issoufou Mahamadou lors de la visioconférence
Question : En dépit de la pandémie et la trêve évoquée par le Secrétaire Général des Nations Unies, les risques sécuritaires demeurent sur le continent africain : comment la pandémie affecte-t-elle la situation sécuritaire au Sahel?
SE Issoufou Mahamadou : Faire taire les armes en Afrique en 2020 est un des objectifs du premier plan décennal de l’agenda 2063 de l’Union africaine qui est consciente de l’étroite liaison qui existe entre sécurité et développement. La crise sanitaire actuelle a de graves conséquences socio-économiques : récession, chômage, accentuation de la pauvreté notamment du nombre de personnes souffrant de la faim. Elle aura donc des conséquences certaines sur la sécurité. Néanmoins dans l’immédiat elle n’a pas eu de conséquences sur le développement des opérations militaires menées par la force conjointe du G5 Sahel, la force Barkhane, les armées nationales, la FFM dans le Sahel, notamment dans la zone des 3 frontières et dans le bassin du Lac Tchad. Nos forces de défense et de sécurité prennent de plus de plus l’ascendant sur les terroristes. La mise en place de la coalition Sahel de lutte contre le terrorisme décidée le 13 Janvier à Pau par le G5 Sahel et la France permettra de conforter cette tendance à travers notamment le démarrage de l’opération Takuba constituée des forces spéciales européennes, des forces en attente de la CEDEAO et de l’Union Africaine.
Nous souhaitons la participation davantage de pays à la coalition Sahel qui est bâtie autour de quatre piliers : l’intensification de la lutte contre le terrorisme, le renforcement des capacités militaires des Etats membres du G5 Sahel, le retour des Etats et de l’administration des zones sous menace terroriste, et le développement économique et social. Je profite de l’opportunité que vous m’offrez pour lancer un appel à la solidarité en faveur du Sahel, qui va connaitre une triple crise : sécuritaire, sanitaire et économique.
Question relative à la Zone de Libre-échange Continentale Africaine (ZLECAf) : En juillet dernier a été signé à Niamey l’Accord historique de libre échange pour créer la zone de libre-échange la plus importante au monde sur le continent Africain. Compte tenu de la crise actuelle qu’en sera-t-il de sa mise en œuvre ?
SE Issoufou Mahamadou :
Ce projet a connu une avancée significative avec la signature de l’Accord en Mai 2018 à Kigali, sa ratification en moins d’un an par le nombre minimum d’Etats requis pour son entrée en vigueur et son lancement officiel en juillet 2019 à Niamey. Pour l’année 2020, il était prévu la finalisation de certains protocoles annexes, la tenue d’un sommet extraordinaire en Mai et le démarrage des transactions en juillet. La crise du COVID 19 a eu pour effet le report de ces échéances.
La crise du COVID est cependant un argument supplémentaire pour accélérer la mise en œuvre de la ZLECAf et de tous les projets et programmes sectoriels notamment ceux relatifs à l’industrie, à l’agriculture et aux infrastructures. En effet les experts estiment que si la crise persiste jusqu’au deuxième semestre 2020, beaucoup de pays Africains seront en récession. Le taux de contraction de l’économie Africaine oscillerait entre 2 et 5%. Plusieurs millions d’Africains passeraient sous le seuil de pauvreté extrême de 1,90 dollar par jour. Les effets du coronavirus pourraient constituer un recul de dix ans dans la lutte contre la pauvreté, et voire 30 ans dans certaines régions du continent.
Avant le COVID 19, déjà l’Afrique peinait à mettre en œuvre les 17 objectifs de développement durable de l’agenda 2030 dont le premier est l’élimination de la pauvreté partout dans le monde.
Pour atteindre ces objectifs, l’Afrique doit réaliser un taux de croissance minimum de 7% par an et investir annuellement un montant de 600 milliards de dollars, ce qui suppose un taux d’investissement d’au moins 24% du PIB du continent. Or déjà avant la crise du COVID le taux de croissance moyen du continent n’était que de 3 à 4% et le montant annuel des investissements bien en deçà des 600 milliards de dollars nécessaires. Seule une accélération de la mise en œuvre des programmes et projets de l’agenda 2063 est donc de nature à permettre à l’Afrique de se doter d’infrastructures de base, de développer son agriculture, de transformer localement ses matières premières et de moderniser son industrie afin d’atteindre le taux moyen de croissance de 7% indispensable pour lutter efficacement contre la pauvreté. Pour sortir rapidement de la récession et relancer les économies il faut accélérer l’intégration du continent.
Question relative à la jeunesse, à l’emploi et à l’entreprenariat des jeunes
SE Issoufou Mahamadou : Notre continent se caractérise par sa structure démographique avec une population particulièrement jeune. L’âge médian de la population est de 19 ans. Cette jeunesse de la population est à la fois un atout et un défi majeur. Ça ne sera un atout que lorsque nous serons capables de transformer cet actif démographique en dividende économique. En effet, chaque année, 10 millions de jeunes arrivent sur le marché du travail en Afrique et ce nombre ira croissant d’année en année pour atteindre 30 millions à l’horizon 2050. Nous sommes déterminés à exploiter les avantages que nous offre notre structure démographique. C’est pourquoi la jeunesse constitue notre fer de lance et le secteur privé notre locomotive dans la réalisation de nos programmes de développement économique et social. C’est pourquoi nous investissons massivement dans l’éducation, dans la formation professionnelle et technique et dans la création d’emplois pour les jeunes, garçons comme filles. Mais cet actif démographique ne peut être réellement transformé en dividende que si nous arrivons à créer les conditions de la transition démographique. Celle-ci nécessitera des actions fortes contre la déscolarisation des jeunes filles, les mariages précoces et les mariages forcés. Elle nécessitera des actions fortes en faveur de l’accès des femmes aux emplois et à la propriété.
Au Niger pour favoriser l’employabilité des jeunes dans le contexte des NTIC, nous sommes engagés à créer un environnement favorable à l’éclosion d’une Economie Numérique Nationale compétitive. Des actions stratégiques sont d’ores et déjà prises dans ce sens et consistent :
– à créer un cadre d’incitation et de promotion de l’entrepreneuriat jeunes dans les activités TIC, par le biais des centres incubateurs et des compétions annuelles de projets numériques et des plans d’affaires ;
– à parachever la construction de la dorsale nationale et des interconnexions internationales en fibre optique en vue d’assurer aux consommateurs un meilleur accès aux services de qualité et un accès dans les huit chefs-lieux de région de notre vaste pays et de soutenir le secteur privé à travers la création de plusieurs incubateurs d’entreprises ;
– à développer des contenus et applications adaptés aux besoins des populations notamment dans les domaines de la santé, de la gestion, de la communication et de l’agriculture ;
– à renforcer les capacités des ressources humaines sur tous les aspects de l’Economie Numérique en commençant par en faire une priorité de la formation professionnelle continue ;
– à introduire dans l’enseignement primaire et secondaire l’utilisation des nouvelles technologies de l’information avec une gratuité de la connexion internet dans les universités.
La jeunesse de la population africaine est un défi car si nos économies ne sont pas capables de créer les emplois de nature à occuper professionnellement cette jeunesse, c’est l’extrême pauvreté qui va s’accroitre avec toutes les conséquences sur l’immigration clandestine, la criminalité et le terrorisme. En lieu et place d’un dividende démographique nous aurions alors une bombe démographique. C’est pourquoi au-delà des formations professionnelles et techniques de qualité à assurer à notre jeunesse, nous devons veiller à ce que les plans et programmes de l’agenda 2063 de l’Union Africaine soient mis en œuvre car seule une transformation radicale de l’économie africaine est de nature à créer les millions d’emplois pour occuper cette jeunesse.
Question : Nous entrons dans une nouvelle ère, un nouveau paradigme. Quels grands changements s’annoncent-ils ?
SE Issoufou Mahamadou : La mondialisation-globalisation a aboli les distances, toutes les conditions sont donc réunies pour que se manifeste l’effet papillon c’est-à-dire des petites causes qui produisent de graves conséquences, comme le prouve la crise sanitaire actuelle. Le COVID 19 nous rappelle notre communauté de destin. Cette communauté de destin doit amener à réfléchir sur la conception et la mise en œuvre d’un nouveau paradigme. Ce nouveau paradigme suppose :
– une gouvernance politique et économique mondiale plus démocratique,
– l’accélération de l’intégration politique et économique du continent africain,
– des institutions démocratiques fortes capables de promouvoir une bonne gouvernance politique et économique dans les différents Etats du continent.
Ce sont ces grandes questions qui doivent alimenter le débat au niveau continental et mondial. Ce débat ne doit plus être éludé. On ne peut plus éluder la question de la réforme des institutions des Nations unies notamment celle du Conseil de sécurité. On ne peut plus éluder le débat sur les inégalités et la nécessité d’une nouvelle dynamique sur la répartition des richesses à l’échelle mondiale et à l’échelle de chaque pays. Ce débat a préoccupé des générations d’économistes mais la question n’est pas technique : elle est politique. Simon Kuznetz, l’inventeur du PIB avait défendu la thèse selon laquelle les inégalités s’accentuent pendant les phases de l’industrialisation et diminuent spontanément aux phases avancées du développement. Il l’a dit pendant la guerre froide pour garder les pays en voie de développement dans l’orbite du monde libre. En réalité il n y a rien de spontané. Il faut nécessairement que des forces s’organisent pour lutter contre les inégalités, pour concevoir et mettre en œuvre le paradigme post – COVID19.
Le nouveau paradigme doit être centré non seulement sur la lutte contre les inégalités mais aussi sur le défi climatique, car le modèle actuel agresse la nature alors que «nous n’avons pas hérité la terre de nos ancêtres nous l’empruntons à nos enfants.»(Saint-Exupéry). Le nouveau paradigme doit permettre à l’Afrique de mobiliser les ressources financières nécessaires pour sortir ses populations de la pauvreté. Cela doit être le résultat de plusieurs actions hardies :
– il faut promouvoir la capacité des Etats Africains à lever l’impôt : un taux de pression fiscale d’au moins 24% est nécessaire contre moins de 20% actuellement dans la plupart des pays ;
– promouvoir les investissements directs étrangers ;
– mobiliser les ressources de la diaspora africaine ;
– honorer les promesses faites au début des années 70 de porter le niveau de l’APD à 0,7% du PIB des pays donateurs, ce qui est relativement faible par rapport aux 4% du PIB des USA consacrés au plan Marshall pour la reconstruction de l’Europe après la seconde guerre mondiale.
– Annuler la dette du continent.
Toutes ces actions supposent la promotion des valeurs de dignité, de liberté, d’égalité, de responsabilité, de justice et de solidarité. Ce sont ces valeurs qui doivent fonder le nouveau paradigme. C’est autour de ces valeurs que les forces doivent s’organiser pour l’avènement d’un nouvel ordre mondial.
Question relative à la gestion de la crise : les pays Africains doivent faire preuve de grande résilience pour gérer la crise sanitaire, et ne peuvent compter que sur eux-mêmes alors que le reste du monde est également affecté. Comment cela va-t-il changer la manière dont le continent gère sa politique sanitaire ?
SE Issoufou Mahamadou : Permettez-moi de rappeler qu’à la date du 18 Mai 2020, le continent Africain enregistrait 0,42% des décès liés au COVID19 dans le monde, alors que sa population représente, en 2020, dix-sept (17,4%) de la population mondiale.
Plusieurs facteurs peuvent expliquer cette résilience de l’Afrique dans cette crise : une certaine immunité liée à la prévalence des maladies virales et infectieuses en Afrique, le climat, la structure démographique de la population, notamment sa jeunesse, la marginalisation de l’Afrique dans la mondialisation avec 2% du commerce mondial. Dans tous les cas, les études et recherches cliniques nous édifieront. Ce qui est sûr, les mesures-barrières adoptées ne peuvent, à elles seules, expliquer une telle résilience car elles n’ont pas mis les pays développés à l’abri de la pandémie.
Les Etats Africains ont compris la nécessité de coordonner la lutte contre le COVID. Des visioconférences des chefs d’Etat et de Gouvernement ont été organisées au niveau de la CEDEAO et au niveau de l’Union Africaine. Plusieurs recommandations ont été formulées, notamment:
- l’institution d’un Fonds de solidarité de l’Union africaine en matière de santé;
- le renforcement de la coopération entre l’organe continental en charge des épidémies le CDC et les organes régionaux chargés de la gestion des questions sanitaires;
iii. le renforcement de la coopération entre les Etats membres en matière de recherche, de formation et d’échanges d’expériences dans le domaine sanitaire de manière générale, et particulièrement pour la lutte contre le COVID 19;
Dans ce combat contre le COVID 19 la solidarité internationale est plus que jamais nécessaire. Des questions comme l’accès à l’eau potable, l’accès aux soins élémentaires de santé doivent nous interpeler. Elles doivent être considérées comme relevant du droit humain.
Source : PRN