Tel est le thème d’une conférence animée par Monsieur Rabiou Nafiou, juriste, devant les étudiants de l’Université Tunisienne Internationale de Niamey. C’était il y a de cela un peu plus de deux ans, précisément le 04 septembre 2021. Ci-après, quelques points saillants des idées développées par le conférencier, idées qui, avec le recul et dans le contexte actuel de notre pays, résonnent comme un appel, avant l’heure, pour une refondation de la République. Lisons plutôt…
FONDEMENTS DE L’ETAT DE DROIT
1. Qu’est-ce que “l’Etat de droit ? Pour mieux appréhender la notion de l’Etat de droit, il serait, d’un point de vue pédagogique, plus pertinent d’essayer de se représenter ce que pourrait être une situation d’« Etat de non-droit »
2. Qu’est-ce que pourrait donc être une situation « d’Etat de non-droit » ? La situation « d’Etat de non-droit » pourrait se décrire comme celle d’une communauté dans laquelle ce qui fait loi, c’est la volonté subjective et discrétionnaire d’un individu ou d’un groupe d’individus sur les autres membres de la communauté. Volonté subjective et discrétionnaire parce que ne reposant sur aucune convention préalablement établie. (On peut alors parler du règne de l’arbitraire ou de la loi du plus fort, etc.).
3. Résultat : qui dit « Etat de non-droit » dit prévalence de la force brutale, ne connaissant de limite que celle d’une force, tout aussi brutale, en sens contraire. Il s’en suit, dès lors, une sorte de conflictualité permanente entre forces contraires, laquelle conflictualité favorise l’avènement de ce qu’on appelle un « Etat d’anarchie ».
4. L’anarchie n’étant pas le propre des sociétés humaines, la situation d’Etat de non-droit, même lorsqu’elle se produit dans une communauté d’humains, elle ne peut être que très éphémère, car très vite se fait sentir le besoin d’asseoir quelques règles de vie commune, autrement dit, des « conventions » pour régir les rapports des individus entre eux, les rapports entre groupes d’individus, ainsi que les rapports des individus avec le pouvoir établi. Il y va de la sécurité de tous et de chacun.
5. L’Ediction de conventions fixant des règles de vie commune marque la démarcation entre les deux situations et le passage de l’Etat de non-droit à une forme, plus ou moins élaborée, d’Etat de droit (sur base de coutume, charte, acte fondamental, constitution, traité, etc.).
6. Qu’est-ce donc l’Etat de droit ? L’Etat de droit pourrait alors se décrire comme la situation d’une communauté humaine (d’un pays) où les rapports entre les « sujets de droit », autrement dit entre citoyens et entre citoyens et pouvoirs publics, sont régis par des règles préalablement établies.
7. Qui sont alors les « sujets de droit » dans un Etat de droit ? Ce sont les personnes (physiques ou morales) auxquelles sont susceptibles de se rapporter des droits et des obligations. Les personnes morales peuvent être de droit public ou de droit privé (pour plus de précisions sur les notions de « sujets de droit », voir notre publication « initiation aux notions de droit », Editions CEJICO-Jurisconsulte, 2016).
8. Quels types de rapports entre sujets de droit ?
• Rapports entre personnes physiques ;
• Rapports entre personnes physiques et personnes morales de droit privé ;
• Rapports entre personnes morales de droit privé ;
• Rapports entre personnes morales de droit public ;
• Rapports entre personnes morales de droit public et personnes physiques ;
• Rapports entre personnes morales de droit public et personnes morales de droit privé.
Chaque catégorie de sujets de droit entretient des rapports avec chacune des autres catégories sur la base de règles préétablies (constitution, lois, règlements, contrats, etc.).
9. A ce stade, et partant de la définition de l’Etat de droit, à savoir « situation d’une communauté ou d’un pays dans laquelle les rapports entre les sujets de droit sont régis par les règles de droit) nous parvenons à une sorte d’assimilation de l’Etat de droit à une pièce de théâtre avec : • Des « acteurs », c’est-à-dire les « protagonistes » de la matérialisation de l’état de droit, à savoir les « sujets de droit » ;
• Des supports textuels, c’est-à-dire les « outils » de construction et de consolidation de l’état de droit, à savoir les règles de droit (coutume, constitution, lois, règlements, contrats, traités, etc.) ;
• Une scène, c’est-à-dire le « terrain » sur lequel s’exerce le corps de règles constituant la « trame » de l’état de droit. Ce terrain, ce sont les rapports entre les sujets de droit, lesquels rapports ne peuvent se concevoir que sous l’empire des supports textuels énoncés ci-dessus.
10. De tout ce qui précède, il y a lieu de se rendre compte de ce que trois données essentielles participent des fondements d’un véritable Etat de droit : • Première donnée, Le savoir : les protagonistes (les sujets de droit) doivent nécessairement être dans les conditions minimales de maitrise (connaissance) des outils qui constituent la « trame » de l’Etat de droit (lois et règlements, notamment) ; d’où la vacuité du vieil adage « nul n’est censé ignorer la loi ». Le texte de loi doit être à la portée du citoyen ordinaire. D’où l’importance du choix de la langue et du langage dans la communication en direction du citoyen. Il n’y a pas d’Etat de droit viable avec un corps de règles hors de portée du citoyen.
Pour l’instant qui nous concerne, et a défaut d’un recours immédiat aux langues et langages du terroir, la modeste contribution qui a été la nôtre, pour la diffusion de la connaissance des règles de base de l’Etat de droit, a pris la forme de quelques efforts de vulgarisation à travers des publications dont, notamment, une : « initiation aux notions de droit (2016) » ; « le guide du député en 50 questions (2011) » ; et un essai sur la citoyenneté « citoyenneté et conscience citoyenne au Niger (2018 ».
• Deuxième donnée, La justice : le respect des règles établies dans les rapports entre les protagonistes (sujets de droit) y compris, le cas échéant, le recours aux sanctions prévues en cas de violation (l’impunité étant une manière d’incitation à la récidive). D’où le rôle déterminant des « gardiens du temple », c’est-à-dire des autorités en charge de veiller au respect, par les protagonistes, des règles de vie commune. Et par « autorité », il faut entendre ici « justice » (justice au sens de « tout dépositaire d’un pouvoir d’appréciation et de sanction »).
Autrement dit, la notion de « justice » dépasse ici le seul cadre de la justice des juges et embrasse le domaine plus large incluant tout responsable dépositaire d’une parcelle d’autorité procédant de la puissance publique.
• Troisième donnée, La responsabilité citoyenne, laquelle s’entend de l’engagement pour l’élargissement, la consolidation et la sauvegarde de l’espace d’exercice de la conscience citoyenne (droits et devoirs).
L’Etat de droit étant une conquête permanente, il est de l’intérêt de tous les protagonistes de veiller à la promotion de la conscience citoyenne et à la sauvegarde de ce qui est déjà acquis en termes d’avancées dans l’édification ou la consolidation de cet Etat de droit.
Chaque remise en cause d’un acquis ou chaque violation d’une règle établie pouvant en entrainer une autre, il pourrait en être ainsi de suite, jusqu’à la ruine de l’ensemble de l’édifice institutionnel et, fatalement, jusqu’au retour à la case départ …
Que Dieu bénisse le Niger
Rabiou Nafiou
Juriste,
Ancien Secrétaire général de la Présidence de la République ;
Ancien Secrétaire général adjoint de l’Assemblée nationale ;
Commandeur de l’Ordre national.