
Zourkaleini Issa Maïga
Voudriez-vous nous définir brièvement le trouble mental ?
Le trouble mental est une maladie comme toutes les autres qui peuvent être prises en charge par des spécialistes et dont les facteurs multiples et variés peuvent alerter la population ou la famille. Parmi lesquels : les facteurs culturels, c’est-à-dire les signes annonciateurs peuvent évoluer ou bien varier d’une culture à une autre. Cela peut aussi être lié à la personnalité de la personne parce qu’on ne développe pas les mêmes problèmes de santé mentale. Il y a certaines personnes qui ont des prédispositions à développer des troubles psychiatriques. Quand ils vont commencer à développer des signes annonciateurs, ce n’est pas la même chose que quelqu’un qui a une personnalité hystrionique. Sa façon de se développer ou bien ses signes annonciateurs aussi peuvent être variés.
Dites-nous les signes précoces qui peuvent indiquer un trouble mental ?
La santé mentale, comme la santé physique, peut montrer des signaux d’alerte. Parmi les plus fréquents : la tristesse persistante ; anxiété, irritabilité ; isolement social ; perte d’intérêt pour les activités habituelles ; difficultés de concentration ; baisse de motivation ; troubles du sommeil ; fatigue inhabituelle ; perte ou augmentation de l’appétit ; consommation excessive d’alcool ou de substances. Maintenant, ce sont des signes généraux qu’on peut identifier. Mais, comme je l’ai dit, ça peut aussi varier. Quand vous observez quelqu’un, il est triste tout le temps. Une tristesse qui n’est pas liée à une situation donnée ou à un moment donné. Je peux me réveiller un jour et être triste, c’est tout à fait normal. Mais, faire une heure de temps, un jour, deux jours, trois jours avec cette tristesse souvent sans même raison valable, là, c’est un signe annonciateur. Il y a aussi la peur, la personne peut se lever, elle a peur sans même savoir ce qui lui fait peur. Le plus souvent, on l’observe chez les femmes qui accouchent. Et cela développe justement ce qu’on appelle les psychoses puerpérales. Vous allez voir, la femme, après l’accouchement, elle a peur. Peur intense qu’on ne peut pas imaginer et qu’on ne peut pas expliquer. Ou l’irritabilité, la personne devient irritable. Parmi toujours les signes annonciateurs, il y a l’isolement. Quelqu’un qui est fréquentable, qui est sociable. Et on commence à observer chez cette personne-là un isolement social. Un retrait social. Elle n’aime pas être avec les gens, elle est dans son coin. Et l’ultime des signes sont les idées suicidaires ou les comportements d’automutilation.
Quels sont les principaux obstacles qui empêchent aujourd’hui encore de parler librement de cette maladie notamment dans les milieux professionnels ou scolaires ?
Il y a beaucoup d’obstacles pour parler librement de ce problème qui peuvent être liés, d’abord, à la stigmatisation liée à la santé mentale. La peur d’être jugé ou rejeté. Aujourd’hui, si dans une famille il y a un enfant qui a un problème de santé mentale, qui consomme de la drogue par exemple, ou bien un enfant trisomique ou autiste, on a l’habitude d’avoir des enfants autistes qui sont attachés à la maison pour les empêcher de sortir. Parce qu’en sortant, ils vont apporter la honte à la famille. C’est déjà la stigmatisation sociale liée à la santé mentale. Parfois, tous ces problèmes de santé mentale sont relégués à la possession, à l’envoutement, au génie. Et comme les génies n’ont pas de bouche pour contester, ils acceptent. Or, l’être humain, comme on a l’habitude de dire, est constitué de corps et d’esprit. Le corps peut tomber malade, et c’est ce qu’on connaît (le diabète, le palu, le problème cardiaque et autres), l’esprit aussi peut tomber malade. Et c’est dela le problème de santé mentale. Et là, on a la dépression, la schizophrénie, la paranoïa, l’anxiété généralisée. Comme l’a dit l’OMS, il n’y a pas de santé sans santé mentale. On ne peut pas dissocier la santé physique de la santé mentale.
Le deuxième niveau, comme obstacle est le manque d’informations. Si nous prenons, par exemple les crises hystériques collectives qu’on traduit comme génie tchatcheur dans les écoles, c’est une maladie de santé mentale. Ça existait aux Etats-Unis, à un moment donné de leur histoire, mais aujourd’hui il n’y en a plus. Aussi, il y a la méconnaissance du rôle du psychologue et certaines croyances culturelles qui associent à la souffrance psychique ou à des faiblesses, on dit non, quelqu’un qui a un problème, une dépression, c’est parce qu’elle est faible, parce qu’elle n’est pas croyante, on te demande de faire des prières, quelqu’un qui est croyant n’a pas besoin d’un psychologue.
Comment le système de santé actuel prend en charge les troubles psychiques ainsi que les principaux défis identifiés ?
Aujourd’hui, les troubles psychiques sont pris en charge à travers : des consultations médicales (psychiatres, psychologues) ; des traitements médicamenteux si nécessaire ; des thérapies individuelles ou de groupe ; des structures spécialisées (centres de santé mentale, hôpitaux). Mais plusieurs difficultés persistent : peu de professionnels disponibles et beaucoup de demandes ; des soins coûteux ou difficiles d’accès dans certaines régions ; manque de prévention et de sensibilisation ; faible coordination entre les services médicaux, sociaux et éducatifs. Dans les services de psychiatrie, il y a des psychologues, psychiatres et des techniciens en santé mentale. Un patient doit d’abord passer par le psychologue qui va faire l’entretien préliminaire avant de l’orienter si c’est un problème psychiatrique ou c’est un problème psychologique. Le psychiatre, lui, il fait les prescriptions des produits et le technicien en santé mentale va prendre en charge, appliquer les recommandations du psychiatre pour l’administration des médicaments. Mais, dans les régions où il n’y a pas de psychologues et psychiatres, c’est les techniciens en santé mentale qui jouent les trois rôles.
Le manque des groupes de parole où les patients qui ont les mêmes souffrances se réunissent pour en discuter. Par exemple, s’il y a un problème de dépression chez les scolaires, on peut mettre les jeunes ensembles pour les amener justement à parler de leur dépression tout en organisant les choses. Toujours parmi la prise en charge, le coût, si ce n’est pas ces derniers temps où l’État a vraiment diminué les frais de soins, c’était très compliqué. Il y a aussi le temps, la durée pour une prise en charge psychologique de certaines situations, on peut aller jusqu’à 20 séances en raison d’une séance par semaine. Il y a aussi des thérapies qui peuvent aller jusqu’à 3 ou 4 ans. Il y a des personnes qui ont des problèmes de honte et de culpabilité, par exemple. Et tous les problèmes, ils ont honte et se culpabilisent pour un rien pour les ramener à l’état normal, cela prend du temps. Ça, c’est juste un exemple d’une pathologie que les gens ne connaissent pas, honte et culpabilité. Tout est honte.
Docteur, quelle est la forme de soutien la plus efficace pour les personnes atteintes de troubles mentaux ?
Alors, la plus efficace, c’est multidimensionnel, il n’y a pas une seule qui vaut les autres. Les types de soutien qu’il faut pour une personne qui souffre des problèmes psychologiques ou de santé mentale de façon générale peuvent être résumés en trois niveaux. Il y a le soutien psychologique où la personne a besoin de voir des psychologues ou psychiatres. Les psychologues, c’est l’écoute, c’est les thérapies et c’est les conseils thérapeutiques qu’il va lui administrer. Chez les psychiatres, c’est la prescription des médicaments. Maintenant, le deuxième niveau, c’est le soutien familial, la personne a besoin de sa famille (la présence, la compréhension, la communication bienveillante) ; une femme qui accouche et qui développe une psychose puerpérale a besoin d’une prise en charge postpartum ou une baby-bloom, elle a justement besoin de son mari d’abord et de ses proches.
Le troisième niveau, c’est un soutien social et communautaire. Heureusement, au Niger, on les laisse en liberté, en passant, on peut même leur jeter quelques pièces ou bien, vous allez voir des malades qui sont habituellement identifiés dans des endroits. La société leur apporte de quoi manger, souvent, même des habits et certains se retrouvent à la psychiatrie. Donc ici, il y a le social qui est développé. Mais, ailleurs, même si c’est votre enfant, vous le prenez, vous le mettez dans un asile psychiatrique. Au niveau des écoles, on a besoin aussi des associations qui vont organiser des rencontres ; créer des groupes de parole ou des lignes vertes pour des gens qui ont des idées suicidaires, ils peuvent appeler de façon confidentielle.
Interview réalisée par Aïchatou H. Wakasso (ONEP)