
Les transformatrices de riz sur leurs étals au marché de Tanda
Jadis marginalisée et mise à l’écart du processus de développement, la femme nigérienne est aujourd’hui au cœur de l’économie nationale. Engagée et déterminée, de jour comme de nuit, elle se bat au quotidien pour son autonomie financière. Dans la commune rurale de Tanda, les femmes ne sont pas restées les bras croisés. Certaines s’organisent en union, groupement ou coopérative, d’autres exercent individuellement leurs activités génératrices de revenus pour être utiles à la société, apporter leur pierre à l’édifice. Les organisations des femmes sont légion. C’est l’exemple des Unions ‘’Alhéri’’, ‘’Wafakaye’’, ‘’Dogonay’’, ‘’Toun da Sayé’’ qui sont entre autres des associations des femmes qui contribuent au développement de la commune rurale. Dans cette zone du Dendi profond, ces associations sont spécialisées dans la transformation du riz et d’arachide, la commercialisation du poisson frais, frit ou fumé ou encore la pratique du petit commerce.
Créée en 2019, l’Union ‘’Alheri’’ dont la présidence est assurée par Mme Safia Namata est spécialisée dans la transformation du riz locale en riz blanc et étuvé. Elles sont, en effet, 120 femmes regroupées au sein de l’union et s’adonnent activement à cette activité. Elles transforment diverses variétés du riz local, à savoir la ‘’Gambiaka’’, ‘’Wandia’’, ‘’Tarey-Zo’’, ‘’Méto’’, ‘’Samo Sa goumi’’, et ‘’Tchani-Tchani’’ qu’elles achètent auprès des producteurs, au bord du fleuve Niger ; dans les villages environnants comme à Konza, Ganda Tché, Hima Koira, Albarkayzé, Mai Riga Tounga, Monboy Tounga, etc. Pour faire cette transformation, ces femmes suivent un processus méticuleux d’enlèvement de la poussière du riz, de lavage du riz en vue de le rendre bien propre avant de le mettre dans l’eau bouillante et laisser jusqu’au matin pour pouvoir le mettre à la vapeur. Une fois fini, le riz est laissé à l’air libre pendant cinq minutes pour qu’il se refroidisse avant d’être étalé à l’intérieur sur des nattes pendant deux à trois jours pour avoir le riz étuvé que les Dendaouas appellent affectueusement ‘’Goumi’’.
Pour améliorer leurs activités, ces femmes ont bénéficié de l’accompagnement de deux projets appuyés par le PNUD et le MCA. « Nous avons bénéficié de l’appui d’un projet du PNUD qui nous a doté des machines, d’ustensiles de travail et d’une somme de 2.700.000 FCFA pour l’achat du riz à stocker. Nous avons également eu l’appui d’un projet de MCA, à travers la construction, d’une aire de séchage, de machines pour décorticage, des sacs de 25 et 50 kg, des emballages, des machines pour coudre les sacs de riz après remplissage, de l’argent pour acheter du riz », explique Mme Safia Namata.
Les femmes battantes de cette union consacrent tout leur temps à travailler le riz, et cela sur toute l’année. « Nous n’avons pas une période fixe pour exercer notre activité. Nous travaillons 12 mois sur 12. Tant que le riz est disponible, nous n’avons de temps libre pour le repos. Dieu merci, cette activité est très rentable. Nous avons acquis de l’expérience et ça nous permet de lutter contre le chômage. Notre riz est aujourd’hui connu un peu partout car, en dehors des autres communes et villages environnants, il y a les gens des autres régions du Niger qui sont au courant de notre existence. Ils nous envoient leur argent pour payer le riz.», se réjouit la présidente de l’union.
Les prix du sac de riz dépendent de la période, parce qu’il y’a des moments où le prix augmente. « A un moment donné, nous avons vendu le sac de 25 kg à 12.500 FCFA. Mais quand le prix du riz augmente, nous sommes obligées d’en tenir compte. Sinon, nous allons rouler à perte. Il y a des périodes pendant lesquelles nous vendons le sac de 25 kg à 14.000 FCFA. Rien que pour cette commune rurale de Tanda, la transformation de notre riz a beaucoup d’avantages surtout pour les personnes qui pratiquent l’élevage. C’est avec le son du riz qu’elles engraissent les animaux. Nous leur revendons le son à moindre coût. Il y ’a deux variétés de sons, à savoir la grosse coque qui est très utile pour les producteurs du riz. C’est ça qu’ils mettent dans les champs comme du fumier. Et le son est transformé en poudre pour les animaux », précise-t-elle.
Quant à l’Union ‘’Wafakaye’, elle a été créée en 2011 et compte actuellement 26 femmes membres et jeunes filles. Les membres se sont scindées en quatre groupes pour extraire l’huile d’arachide, produire la pâte d’arachide (tigadigué) ainsi que le tourteau (Koulikouli en haoussa et Zarma et Gontali en Dendi). Pour assurer la bonne marche de leur activité, les membres de cette union ont mis en place des comités : un comité qui contrôle toutes les tâches, un comité achat-vente, il y’a les commerciales, les magasinières et les chargées d’hygiène et assainissement. La transformation de l’arachide se fait à tour de rôle afin de permettre aux membres de pouvoir avoir le temps de se reposer.
Pour transformer l’arachide, il y a tout un processus à suivre jusqu’à la mise en bouteille. Par exemple, quatre (4) sacs d’arachide peuvent produire environ 31 litres d’huile, voire plus, trois (3) grandes tasses de tourteau. Avec deux (2) sacs d’arachides on peut avoir 20 à 25 boites de pâte d’arachide, selon Haoua Djibo, secrétaire générale de l’union Wafakaye.
Chaque année, pendant la période des récoltes, elles saisissent le moment propice pour acheter et stocker l’arachide. C’est en ce temps-là qu’elles peuvent l’avoir à des prix abordables. Parce qu’il y’a un moment de rupture. « Pendant les récoltes passées, on nous a vendu le sac à 12.500 FCFA. Au moment où je vous parle, le sac est à 20.000 FCFA, raison pour laquelle le prix du litre d’huile connaît actuellement une hausse. Nous vendons le litre à 1350FCFA, les cinq litres à 6750 FCFA et le bidon de 25 litres à 33.750 FCFA. Les prix varient d’un moment à un autre », précise-t-elle.
Pour la bonne marche de leur activité, l’union ‘’Wafakaye’’ a bénéficié également de l’appui du PNUD et du MCA . « Le PNUD nous a construit un local pour bien mener nos activités, et une somme de neuf millions (9.000.000) FCFA pour l’achat de l’arachide pour stocker. En somme, nous avons bénéficié d’un financement de 49.000.000 FCFA. Nous avons aussi bénéficié des formations de renforcement de capacités et sur les plans d’actions, à Dosso et Gaya. Ce travail est très bénéfique pour nous, parce que notre condition de vie a changé. Nous arrivons également à satisfaire certains de nos besoins et ceux de nos familles. On ne peut que rendre grâce à Allah. Nous sommes contentes de nous-mêmes», témoigne Haoua Djibo.
Dans chaque activité qu’entreprend l’humain, les difficultés et autres entraves ne manquent pas. « Nous sommes surtout confrontées au manque de certains matériels. La décortiqueuse et la machine qui nous permet d’avoir la pâte sont tombées en panne. C’est pourquoi nous plaidons auprès des autorités et des projets de nous venir en aide pour la bonne marche de nos activités. Nous voulons à ce que toute la population puisse bénéficier de ce que nous transformons, pas seulement la commune rurale de Tanda », lance la SG de l’Union.

Créé le 31 octobre 2018, le groupement ‘’Dogonay’’ compte actuellement 21 femmes et jeunes filles qui œuvrent dans le domaine de la poissonnerie. La présidence est assurée par Mme Mariama Adamou, plus connue sous le nom de ‘’Mayyan Ladan’’. Elle est une référence en matière de poisson à Tanda. « Notre principale activité, c’est la vente du poisson. Mais on ne se réunit pas à un seul endroit pour la faire. Chacune est de son côté pour exercer son activité. C’est quand il y’a des rencontres, des réunions d’échanges, d’informations ou des formations qu’on se réunit », dit-t-elle.
Chaque jour, Mme Mariama Adamou se rend au village ‘’Konza’’, situé à 5 km de Tanda, pour se procurer du poisson frais. « Tôt le matin, plus précisément à 7 heures, je me rends à Konza sur une moto ‘’kabou kabou’’ pour faire mon ravitaillement en poisson. Arrivée là-bas, nous attendons les pêcheurs qui viennent décharger leurs prises de poissons. Chaque vendeuse a ses propres pêcheurs fournisseurs. Par exemple, même si j’arrive en retard sur le site, mes pêcheurs ne vont pas vendre le poisson à une autre vendeuse. Ils vont d’abord s’assurer que je ne serai pas là, pour cette journée-là avant de vendre à quelqu’un. C’est comme ça que ça marche », explique la quinquagénaire.
La présidente du groupement ‘’Dogonay’’ vend du poisson frais, frit ou fumé. Tout dépend du choix des clients. « En ce qui concerne le poisson fumé, dès notre retour de Konza, on se mobilise pour bien préparer et laver nos poissons. Cela peut nous prendre une demi-journée, souvent jusqu’à la nuit. Une fois fini, on étale le poisson sur des grillages pour mettre un peu du sel avant de le fumer. Nous utilisons du bois, des noix de mangue ou les résidus de la canne à sucre comme combustibles pour fumer le poisson. On met un peu d’huile et de l’eau dans un bidon pour verser au fur et à mesure sur le poisson. Ce qui renforce le goût et évite que ça se colle sur le grillage. Mais avec beaucoup de bois, non seulement ça ne va pas donner comme on veut, mais aussi ça va se carboniser. Le temps de fumage peut durer une à deux heures. Tout dépend de la quantité obtenue. Les gens de Malanville, Gaya et Niamey sont nos principaux clients. Toute personne qui vient à Tanda, si elle est intéressée pour le poisson, on l’oriente chez moi », confie-t-elle.
Dans la concession de cette quinquagénaire, on y voit disposés des tonneaux, des grandes marmites et des sacs de 100 kg bourrés de poissons fumés. « Tout ce que vous voyez là, c’est du poisson fumé que je stocke, et je peux vous rassurer que ça peut durer plus de quatre mois sans être avarié ou perdre du goût, si c’est très bien fait », confie-t-elle.
Les femmes du groupement ‘’Dogonay’’ ont bénéficié d’une formation nécessaire pour mener à bien leur business. « Une année, au Bénin, nous avons bénéficié d’une formation d’une semaine sur le processus et les techniques de travail pour bien faire du poisson fumé. Il y’avait eu de nombreuses vendeuses de poisson qui ont saisi cette opportunité. Ça nous a permis d’avoir de l’expérience sur notre activité quotidienne », précise-t-elle.
La vente de poisson est très bénéfique pour de nombreuses femmes de cette commune, en particulier, la présidente de cette association. « Je ne peux pas énumérer les avantage et les bénéfices que j’ai eu à tirer de ce métier. Je dirais que c’est dans ça que je subviens à tous mes besoins et aide ma famille. Je ne peux que remercier mon Dieu pour cette grâce. Pour le prix du poisson, disons qu’il y’a pour toutes les bourses, de 100 FCFA, 500 FCFA, 2500 FCFA, 5000 FCFA à plus. Le seul problème qu’on rencontre, c’est que les gens des autres régions du Niger ne viennent pas ici prendre pour aller revendre», dit-t-elle.
Quant à l’Union ‘’Toun Da Sayé’’, elle a été créée en 2018 et regroupe 40 jeunes filles et femmes, dont Mme Rabi Tahirou, la présidente. En plus de la transformation d’arachide en huile, pâte et tourteaux, elles font des amuse-gueules, tels que l’arachide sucrée et ‘’kantine-ghana’’ qui est comme du ‘’kakan dadi’’. « Au tout début, nous avions commencé avec un effectif de 15 personnes. Au fur et à mesure les gens intègrent le groupement », confie-t-elle.
Comme les autres unions, ‘’Toun Da Sayé’’ a aussi bénéficié de l’accompagnement du PNUD et du MCA qui ont mis à leur disposition trois machines et une somme de 1.500.000 FCFA pour l’achat de la matière première. Elles ont également bénéficié des formations en renforcement des compétences, des machines et des bidons pour mettre de l’huile.
Parmi les femmes qui travaillent individuellement pour assurer leur quotidien figure Mme Roukaya Assoumane, malvoyante, veuve et mère de quatre (4) enfant résidant à ‘’Tondika’’, un village situé à 10 kilomètres de Tanda. Malgré son handicap visuel, elle tient son destin en main. Plutôt que de sombrer dans la fatalité, cette brave femme s’est lancée dans le petit commerce. Femme battante et courageuse, elle vend de la bouillie de mil ou de sorgho, localement appelé Komandi. Un breuvage alimentaire très connu dans cette partie du Niger, le Dendi. C’est au bord du fleuve où se pratique l’activité de la pêche et la riziculture que Mme Roukaya vend sa bouillie. Elle explique comment elle a décidé de se lancer dans ce petit commerce. « Je me suis mariée pour aller à Malanville. Etant là-bas, je ne faisais rien en dehors de la pratique de la mendicité. Quelques années plus tard, mon mari est décédé. Ensuite, nous sommes rentrés au bercail. Et j’ai décidé de ne plus mendier mais plutôt de trouver un métier. Au lieu de venir rester à ne rien faire, ma fille ainée m’a proposé de lui faire du Komandi pour vendre. Et c’est ce qui fut le déclic», rappelle-t-elle.

Le ‘’Komandi’’ est un plat bien onctueux obtenu après un travail bien soigné. Cela redonne de l’énergie aux braves hommes qui se remettent ainsi au travail. Tôt le matin, la brave femme du Dendi se démarque par ce plat liquide fumant, dégageant une odeur agréable d’épices. Pour faire ce travail Roukaya Assoumane est assistée par sa fille ainée dans la vente du fameux Komandi. « Quand je prépare la bouillie, c’est ma fille qui part vendre là où les pêcheurs déchargent leurs marchandises. Et par la volonté de Dieu, elle arrive à tout vendre. C’est un endroit où il y’a beaucoup de monde. Quand les sorkos (pêcheurs) arrivent au rivage, ils se pointent directement chez elle pour prendre leur petit déjeuner. La mesure (tasse moyenne) se vend à 250FCFA », précise-t-elle.
La jeune mère se ravitaille en céréale (mil) chaque lundi, jour du marché hebdomadaire de Tanda. « Je m’arrange à ce que la quantité achetée me couvre la semaine. Parce que chez nous, c’est le jour du marché seulement que les gens profitent pour faire le ravitaillement. Dieu merci, on arrive à gagner petit à petit. C’est dans cette activité que nous nous débrouillions (mes enfants et moi) », se réjouit-t-elle.
Farida. A. Ibrahim (ONEP), Envoyée spéciale