Des maraîchères de Guidimouni travaillent dans leur parcelle irriguée
Le 13 mai, journée dédiée à la femme au Niger, résonne cette année comme un symbole fort d’émancipation dans la Commune Rurale de Guidimouni, située à 45 km à l’est de Mirriah et à 90km au sud de Damagaram Takaya, sur la route nationale No 1 (axe Zinder-Gouré). Elle est implantée dans la cuvette de Guidimouni, à côté de deux mares connues sous les noms de femelle et mâle, comprenant la mare permanente de Guidimouni, qui couvre environ 85 hectares, et la mare semi-permanente de Gouzougorou, d’environ 105 hectares. Longtemps marginalisées et réduites à un rôle domestique, les femmes de cette localité ont amorcé une véritable métamorphose. Aujourd’hui, elles s’affirment, s’organisent et bâtissent leur avenir avec courage et détermination et à la sueur de leur front grâce au maraîchage, aux activités de transformation des produits de leur labeur et autres activités génératrices de revenus qu’elles exercent.
Pendant longtemps, les femmes de Guidimouni étaient cantonnées au rôle de mères et d’épouses. Les tâches agricoles, ménagères ou la garde des enfants étaient son quotidien. Mais depuis quelques années, la conscience collective a changé, les choses bougent pour elle. Portées par les mouvements de femmes au niveau national et régional, appuyées par des ONG et soutenues par des leaders communautaires éclairés, les femmes de Guidomouni ont entamé une lente mais ferme marche vers leur émancipation.
Dans un coin reculé du pays où les infrastructures manquent et où la terre est à la fois ressource et espoir, des femmes se battent chaque jour pour nourrir leurs familles, faire vivre leurs communautés et préserver l’avenir de leurs enfants. Fatchima Chaibou, membre active d’un groupement de productrices agricoles, livre un témoignage sur leur quotidien. « Avec mes sœurs de lutte, nous commercialisons nos produits agricoles comme la banane, la mangue, la goyave, le chou, le melon et la pastèque que nous prenons souvent auprès des autres producteurs », explique-t-elle. Avec un système de vente souple, les prix sont adaptés à la situation financière de chaque client. Pourtant, les revenus restent précaires. « Souvent, on gagne à peine 3 000 francs CFA par jour », précise-t-elle.
Le manque de moyens est criard. Selon Fatchima Chaibou, sans investissements et sans appui extérieur, elles n’ont pas un capital leur permettant d’acheter les produits pour la vente en gros, comme les sacs de semences. En outre, elles travaillent encore avec des outils rudimentaires. La rareté de l’eau potable complique davantage leurs tâches ménagères. « Nous devons acheter deux bidons d’eau à 25 francs chacun. Et ce n’est jamais suffisant pour le besoin quotidien de la famille. Nous utilisons les points d’eau disponibles comme nous le pouvons », raconte-t-elle.

Malgré les difficultés, cette activité maraîchère reste vitale ; elle assure non seulement la sécurité alimentaire des ménages, mais permet aussi de soutenir la scolarité des enfants. « L’école est le socle de l’éducation. Pourtant, dans nos campagnes, elle est souvent négligée. Faute de moyens, des filles sont retirées de l’école pour être données en mariage, l’ignorance des parents et le manque de sensibilisation y contribuant », explique-t-elle avant de déplorer l’absence de soutien des autorités locales. « Lors des rares réunions, nous évoquons nos difficultés, mais rien de concret ne suit. Notre groupement ne demande qu’un terrain cultivable, du matériel agricole, des semences améliorées et un système d’irrigation moderne pour faire évoluer notre travail», évoque-t-elle.
En cette Journée nationale des femmes, Fatchima Chaibou lance un appel pressant aux autorités, aux partenaires techniques et aux bonnes volontés. « Le maraîchage et le petit commerce sont essentiels pour le développement local. Soutenez-nous pour rendre cette activité durable et rentable», a plaidé Fatchima.
Aïchatou Laminou, agricultrice passionnée, décrit son quotidien où elle jongle entre les cultures maraîchères et les cultures pluviales, tout en faisant face à une pénurie d’eau et en faisant preuve de débrouillardise.

« Nous n’avons pas les moyens d’acheter des sacs de légumes, mais nous profitons des petites marges dont nous disposons pour les revendre fréquemment. Un sac de légumes mélangés peut coûter jusqu’à 20.000 francs CFA», précise-t-elle. Et, c’est ainsi qu’Aïchatou Laminou met en lumière une réalité que vivent de nombreuses familles de cette zone rurale; la précarité quotidienne à laquelle elles opposent une forte détermination pour s’en sortir. Depuis plus de cinq ans, elle s’est engagée dans le maraîchage, une pratique agricole difficile, mais indispensable à Guidimouni.
L’eau, élément central de toute activité agricole, est pourtant une denrée un peu rare pour Aïchatou. « Beaucoup de maisons ici n’ont pas de robinet. Nous utilisons souvent l’eau des mares, et quand nous en avons les moyens, nous achetons l’eau du robinet, deux bidons de 25 litres pour 25 francs », explique-t-elle. Cette précarité hydrique ne freine pas pour autant son engagement dans l’agriculture.
Avec une formation sur le tas en culture de contre-saison, Aïchatou et son équipe cultivent une variété de légumes : chou, tomate, oignon, piments, laitue et même la pomme de terre. « Nous nous attelons plus à la culture de contre-saison qui offre de meilleures opportunités, que la saison pluvieuse », précise-t-elle. Leur travail s’effectue en famille où les enfants sont parfois mis à contribution, lorsqu’ils sont disponibles. Une pratique courante à Guidimouni qui soulève la question de la scolarisation et des droits de l’enfant.
Elle explique également que les produits récoltés sont écoulés dans les villages voisins et les quartiers urbains environnants, principalement par des femmes commerçantes. Ce circuit de distribution et de commercialisation bien qu’informel contribue à faire vivre de nombreuses familles.
Récemment, Aïchatou a bénéficié d’une formation en production de composte, un acquis précieux dans une zone où les intrants chimiques sont coûteux et parfois introuvables. Cela témoigne d’une volonté d’adopter des pratiques plus durables et respectueuses de l’environnement.
Dans un contexte de précarité, Aïchatou Laminou représente une figure de résilience et de travail acharné. Son histoire illustre le combat quotidien de nombreuses femmes rurales, déterminées à nourrir leur communauté malgré les obstacles.
Mariama Boukary, revendeuse de produits maraîchers avait, il y a quelques années, une autre perception de la fête du 13 mai. Elle considérait que cette fête était réservée uniquement aux femmes dont les maris détenaient une autorité dans le village, ou les femmes enseignantes, bref fonctionnaires. « C’est seulement au cours de ces 5 à 6 dernières années que j’ai compris et je dirais beaucoup d’entre nous, femmes de ce villages, ont compris que cette activité est pour toutes les femmes du Niger, quels qu’en soient leurs statuts. Nous faisons partie aussi car, c’est à travers une sensibilisation dans le village qu’on a appris que cette journée est faite pour nous », dit-elle, avec un léger sourire aux lèvres.

Elle confie aussi avoir déposé une demande d’agrément à la mairie pour avoir un champ cultivable en vue de pratiquer des cultures maraîchères mais aussi faire de la pisciculture. « Désormais nos voix comptent aussi », dit-elle. Mariama ambitionne, d’ici peu de temps avoir des hectares de terres cultivables en sa possession pour ainsi contribuer davantage au développement du pays.
« Avant, je dépendais de mon mari pour tout. Aujourd’hui, je sais gérer mon petit commerce en prenant des légumes et fruits auprès des maraîchers et revendre en détail le jour du marché hebdomadaire ou à ceux qui empruntent la voie qui traverse notre village. Je suis devenue utile, voire même indispensable dans le foyer car, mon mari profite de mon petit commerce », confie Mariam Boukary.
L’accès à la terre, un défi à surmonter par les femmes de Guidimouni.
Malgré tous ces progrès, les défis restent nombreux. L’accès à la terre, encore majoritairement contrôlé par les hommes, freine cet élan de recherche d’autonomie des femmes de Guidimouni. Mais un vent nouveau souffle sur la collectivité. Celui de la résilience et de la transformation, celui d’une femme rurale, consciente de sa valeur et exigeant sa place dans la société. L’autonomisation économique est en marche. Avec l’appui de partenaires au développement, des centaines de femmes ont bénéficié de microcrédits pour lancer ou élargir leurs activités. Le marché hebdomadaire est aujourd’hui dominé par les femmes de Guidimouni, fières de vendre les produits issus de leur travail.
Les formations se sont ensuite étendues à d’autres domaines : transformation agroalimentaire, fabrication de savon, techniques maraîchères, gestion de coopérative.
Fatouma, présidente d’un groupement de femmes, explique que grâce à une formation qu’elles ont reçue en transformation alimentaire, une vingtaine d’entre elles se sont lancées dans le séchage de mangues, de chou et bien d’autres produits alimentaires qu’elles cultivent. « Aujourd’hui, nous avons un revenu relativement stable et des projets d’exportation vers les villages voisins. Et, à l’occasion de la journée du 13 mai dernier, les femmes du village ont organisé une grande marche pacifique, suivie d’un forum sur leurs droits, leurs défis, et leurs ambitions. L’événement s’est clôturé par une exposition de produits locaux transformés femmes du village, preuve vivante de leur savoir-faire et de leur volonté de participer activement à l’économie locale», déclare la présidente.

« Avant, je ne pouvais même pas signer. Aujourd’hui, j’écris, je compte et je gère moi-même mon petit commerce », témoigne Aïssata, une mère de six enfants devenue entrepreneuse grâce à un programme de formation lancé en 2022 par un projet national et bénéficiaire d’une somme de plus 900. 000 FCFA pour lancer ces activités génératrices de revenus.
Des femmes entrepreneures unies autour de la poissonnerie solidaire
Un groupe de femmes déterminées que nous avons rencontrées à la sortie du village s’est lancé dans une aventure entrepreneuriale audacieuse : faire de la poissonnerie un levier d’émancipation économique et sociale. À l’initiative de Hassana Adamou, mareyeuse et présidente de l’association féminine ‘’An Nour’’ (qui veut dire ‘’Lumière’’), une trentaine de femmes se réunissent chaque semaine pour s’atteler à leurs activités autour de la commercialisation de poissons frais et grillés.
Une activité quotidienne malgré les défis. « Nous travaillons tous les jours dans la commercialisation de poissons. Mais nous ne disposons pas de moyens de conservation adaptés », explique Hassana. L’absence de matériel de stockage reste l’un des principaux freins au développement de leur activité. Sans chaînes de froid, les pertes sont fréquentes, limitant les revenus et la capacité à étendre leur marché.

Elles ont su cultiver en leur sein la solidarité comme moteur. Pour pallier l’absence de financements extérieurs, l’association a mis en place un système de tontine hebdomadaire pour subvenir totalement aux besoins. Chaque lundi, les membres se retrouvent pour rassembler les bénéfices et les redistribuer en cas de besoin, selon un système solidaire. Cette approche leur permet de maintenir l’initiative vivante et d’encourager une gestion collective où chaque voix compte.
Malgré leur vitalité, les femmes de l’association ‘’An Nour’’ n’ont encore jamais eu l’occasion de participer à un forum économique ou à une formation. Elles expriment donc un besoin urgent de soutien notamment en matériel de conservation, accompagnement en matière de gestion, accès à des marchés plus larges et surtout la visibilité. « Nous souhaitons que notre poissonnerie soit un jour reconnue au niveau national et dans nos localités voisines. Nous espérons bénéficier de l’aide du Fonds de Solidarité pour la Sauvegarde de la Patrie, à l’image de ce qu’il a fait à Diffa », déclare Hassana, pleine d’espoir.
Ce modèle associatif montre comment, avec peu de moyens mais beaucoup de volonté, les femmes de Guidimouni transforment un secteur informel en véritable activité économique. L’initiative ‘’An Nour’’ est bien plus qu’un simple commerce de poissons, c’est une école de leadership, de solidarité et de résilience féminine.
Alors qu’elles poursuivent leur rêve de faire émerger une poissonnerie durable et reconnue, les membres de l’association lancent un appel aux ONG, institutions locales et partenaires du développement. Pour elles, soutenir les femmes de Guidimouni, c’est investir dans un avenir prospère pour toute une communauté.
En cette Journée nationale de la femme nigérienne, le témoignage de Salmai Adamou Sarkin Roua, une autre mareyeuse, met en lumière le rôle clé des femmes dans l’économie rurale nigérienne, à travers une activité aussi ancestrale qu’essentielle : la poissonnerie. Un héritage transformé en levier économique. « Nous sommes dans la commercialisation du poisson depuis nos grands-parents jusqu’à aujourd’hui », confie Salmai. Cette activité, transmise de génération en génération, est devenue un pilier pour l’autonomie financière des femmes du village. Le poisson, frais, grillé ou séché est exporté jusque dans les capitales régionales, générant des bénéfices non négligeables.
Mais cette réussite repose avant tout sur l’engagement collectif des femmes de Guidimouni, qui, à travers leur savoir-faire, contribuent à nourrir les foyers, renforcer l’économie locale et éduquer les générations futures.
Malgré leur énergie, les poissonnières de Guidimouni font face à de nombreux obstacles que sont l’absence de matériels de conservation, le manque de moyens de séchage efficaces et de formation et les pertes fréquentes liées à l’avarie du poisson. Autant de difficultés qui freinent l’expansion de cette activité pourtant porteuse, selon elle.
C’est pourquoi, au nom de ses sœurs, Salmai exhorte les partenaires techniques et financiers, les ONG et les autorités à plus de soutien: « nous avons besoin de soutien pour émerger et faire de cette activité une véritable source de développement», dit-elle avec espoir.
Au-delà de son témoignage, Salmai adresse un message fort à toutes les femmes du Niger : « ensemble, prenons des initiatives fortes pour faire de l’égalité, une réalité pour toutes les femmes et les filles, afin de garantir leurs droits et leur donner les moyens d’agir dans l’intérêt général », dit-elle.
Malgré les progrès, les défis restent nombreux avec pour noms : accès limité à la terre, poids des traditions patriarcales et manque de structures de santé de proximité. Mais une chose est sûre, les femmes de Guidimouni sont déterminées à avancer. Leur voix, longtemps étouffée, est aujourd’hui porteuse d’espoir pour un avenir plus radieux pour elles, pour leur communauté et pour le Niger.
Rabiou Dogo, ONEP Zinder
