
L’artiste Souleymane Bodo posant dans ses accoutrements de scène
Dans un Niger où tradition et modernité cohabitent, certains artistes se distinguent par leur capacité à exprimer l’esprit du peuple tout en interpellant les consciences. Parmi eux, Souleymane Chaibou Mani, alias Bodo Niger. Né le 17 avril 1982 à Birnin Zinder, dans l’est du pays, Bodo grandit à Niamey, dans le quartier populaire de Kalley- Est. Très jeune, il est attiré par les arts du spectacle. À seulement dix ans, il s’illustre comme acrobate et danseur de breakdance. Son intelligence, son don et son sens du rythme ne laissent personne indifférent.
Au collège, Bodo Niger rejoint la troupe théâtrale scolaire et redouble volontairement une classe afin de continuer à monter sur scène. Un choix qui lui vaut malheureusement l’exclusion du CEG4 de Niamey. Sa mère l’envoie alors à Dogondoutchi, son village maternel, sans se douter que ce déplacement allait marquer un tournant dans la vie de son fils.
Au CEG2 de Dogondoutchi, Bodo devient une célébrité locale. Surnommé «Souleymane le danseur», il révolutionne les soirées culturelles scolaires avec des prestations solos innovantes et très appréciées. Il acquiert une réputation de chorégraphe hors pair, influençant toute une génération de jeunes.
Admis à l’Institut Pratique de Développement Rural (IPDR) de Kollo en 2002, il poursuit sa passion aux côtés de sa formation technique. En troisième année, il fonde le groupe MS Turbo, composé de deux garçons et deux filles. La troupe s’impose dans les événements culturels de l’école et collabore avec le regretté rappeur Baza Feros, les menant à se produire dans plusieurs instituts du pays.
En 2005, Bodo est sélectionné comme acrobate et danseur pour la cérémonie d’ouverture des 5è Jeux de la Francophonie à Niamey. Cet événement d’envergure lui permet de franchir une nouvelle étape dans sa carrière, en touchant un public national et international. Son style allie performance physique, créativité et ancrage culturel.
Engagements citoyens et aventures artistiques
Diplômé, il effectue son service civique à Zinder où il croise le chemin d’Alio Kalami, pionnier de la danse contemporaine nigérienne. Il intègre brièvement son groupe, mais ses obligations professionnelles ne lui permettent pas d’y rester. De retour à Niamey, il lance avec ses anciens compagnons, l’Association des Jeunes Acrobates du Niger, une initiative ambitieuse qui souffre rapidement de problèmes de gestion et de financement. Tandis que d’autres abandonnent, Bodo persiste.
Sa collaboration avec Abdoulaye Segda, alias Djinguir Lompo, marque un tournant. Ensemble, ils créent « Les Cousins du Niger », un duo comique engagé mêlant humour, satire et messages de paix. Ils abordent des thèmes sensibles comme l’unité nationale ou les tensions interethniques à travers le spectre de la parenté à plaisanterie. En 2012, ils réussissent l’exploit de remplir deux fois le Palais des Sports de Niamey. Cependant, des désaccords sur les principes de travail mettent fin à leur partenariat.
Un artiste en solo, plus engagé que jamais
Revenu à une carrière solo, Bodo renforce sa dimension sociale. Recruté par l’ONG internationale IRC, il intervient dans les zones rurales de Télémcès et Mangaïzé. Il y découvre la dure réalité des communautés marginalisées et décide de consacrer son art à des causes citoyennes. Sous son nom de scène BODO, il développe un nouveau style mêlant théâtre, chant en langues locales, costumes expressifs et interventions clownesques pour les enfants. Parmi ses œuvres marquantes : «Ir Namey», qui célèbre l’unité nationale et la parenté à plaisanterie ; «Zankay Beera», plaidoyer pour la scolarisation des filles en milieu rural ; «Kodago», clin d’œil humoristique au langage codé des étudiants de l’IPDR qui signifie ‘’le mangé’’; «Hawan Koakoa», une satire sociale des faux-semblants dans la jeunesse urbaine.
Aujourd’hui marié et père de trois enfants, Bodo poursuit son engagement à travers la comédie musicale et les performances pluridisciplinaires. Fidèle à sa mission, il continue d’utiliser l’art comme un vecteur d’éducation, de sensibilisation et de cohésion sociale. Plus qu’un simple artiste, Bodo Niger est devenu une figure de prou de la culture vivante nigérienne. Par son parcours fait de persévérance, de créativité et de sens du collectif, il incarne une nouvelle génération d’acteurs culturels pour qui l’art ne se limite pas à la scène, mais s’inscrit pleinement dans les dynamiques de transformation sociale.
Aïchatou H. Wakasso (ONEP)