L’artiste comédien et conteur Pipo à Paris ...
Plus connu sous le surnom de Pipo à Paris, Doulla Kandegomni est né à Sansane Haousa, dans la région de Tillabéri. Il a fait ses études primaires dans ledit village avant de fréquenter le CEG1 de Téra. Après son BEPC, il a décidé de venir s’installer à Niamey, chez son oncle du nom de Amadou Maïga. Il devient couturier, comédien, conteur et formateur. Doulla Kandegomni a plus de 38 ans au service de la culture nigérienne.
Né et grandi au village, Pipo à Paris découvre très tôt la puissance du récit à travers les contes du soir que les anciens racontaient assis autour du feu ou u clair de lune pendant que le repas est au feu. « Chez nous, on ne mangeait le plus souvent qu’à 22h00. Pour nous empêcher de faire des bêtises dans le village, nos grands-parents nous racontaient des histoires. C’est là que j’ai appris l’importance du respect, de la cohésion sociale, la solidarité et de la parole donnée », confie-t-il.
Une fois à Niamey, pour s’occuper, Doulla a commencé à suivre son oncle sur ses chantiers pour lui donner un coup de main. Après, il a décidé de prendre son destin en main en se rendant chez un de ses amis tailleurs pour apprendre la couture homme. « L’amour du travail a fait que j’ai obtenu en seulement six mois d’apprentissage le diplôme que d’autres obtiennent en deux ans ou plus », réjouit-t-il.
Le premier pas sur la scène
Depuis l’école primaire, Doulla Kandegomni s’intéressait à la comédie. « À cette époque, on n’avait pas encore accès à l’électricité dans notre village. C’est des gens de bonne volonté qui viennent de Niamey pour nous faire des projections des films. Donc, en tant que campagnards, dès qu’on voit les films, le matin à l’école, à l’heure de la récréation, on essaie de reprendre ce qu’on a vu dans ces films et j’ai toujours joué le rôle d’acteur principal. C’est là que tout à commencé », se souvient-il.
Chez son oncle à Niamey, Doulla s’entendait bien avec un de ses cousins qui jouait dans une troupe théâtrale « les Messagers du Sahel», d’Azohon. Un jour, un acteur principal a abandonné à deux semaines de la présentation d’une pièce de théâtre dont le titre est ‘’Pipo à Paris’’, il y’avait un besoin urgent d’un remplaçant et son cousin l’a automatiquement proposé et il n’a pas été déçu. C’est ainsi qu’il a fait sa première apparition sur la scène au Centre Culturel Oumarou Ganda (CCOG) en 1987. C’était ce jour-là qu’est né le nom de Pipo à Paris qui est devenu le second prénom de Doulla Kandegomni. ‘’Pipo à Paris’’ est une pièce de théâtre qui en effet raconte l’histoire d’une femme mariée à un fonctionnaire qui voyage beaucoup, influencée par son amie célibataire qui l’a entraînée dans une vie de débauche. Ils ont un domestique Pipo qui était témoin de l’infidélité de sa patronne et, pour le berner, l’amant de la patronne a promis de l’amener à Paris. Le pauvre l’a cru aveuglement. « En plus de la distraction cette pièce de théâtre dénonce la perte des valeurs dans un couple moderne », explique le comédien. M. Doulla Kandegomni a participé à plusieurs productions d’Azohon dont : Awa l’ambitieuse, le Génie de Kamalo, Malam Zamba, Nous sommes tous coupables. C’est lors d’une formation à Maradi qui a regroupé les comédiens de toutes les régions du Niger dispensée par un Francais, que Doulla a été repéré pour suivre un stage au Centre Culturel de Niamey. Après le stage, quelques comédiens étaient sélectionnés dont Pipo à Paris pour faire une pièce de théâtre ‘’Izé Gani’’ qui veut dire l’enfant précoce, personnage Boubou Hama.
De ce stage est né un groupe de théâtre nigérien dénommé le Jeune Théâtre Nigérien devenu au fil du temps les Traiteaux du Niger qui consiste à amener le théâtre près du peuple, plutôt que d’attendre que le public vienne vers eux.
« On a construit un chariot qu’on tirait avec une voiture, une fois ouvert, il se transformait en scène. Les jeunes croyaient qu’on venait pour des vaccinations, puis voyaient le chariot s’ouvrir et devenaient spectateurs », relate Doulla avec fierté.

Ce dernier temps, nous sommes un peu en temps mort par manque de moyens, car faire du théâtre demande de financement. Donc, on se contente des petites activités qu’on fait, telles que les sensibilisations. On trouve parfois des strucures qui nous financent pour faire des sensibilisations dans des villages, c’est ça qui nous rapporte un peu », déplore Doulla. « Avant, quand on dit dimanche, tout le monde se trouve devant la télévision pour regarder le théâtre. Aujourd’hui les jeunes ne sont plus intéressés, ils sont dans le ‘’Dandalin Soyayya’’ et sur les réseaux sociaux », regrette-t-il. Leur troupe a participé en 1997 à une vaste campagne de sensibilisation pour la protection des girafes, ils ont parcouru 35 villages pour convaincre les habitants de préserver l’espèce. « Si les girafes sont là aujourd’hui, c’est parce qu’on a su convaincre les habitants à travers le théâtre », ajoute-t-il.
Du comédien au narrateur
Passionné de conte depuis son bas âge, Doulla Kandegomni a remarqué que les jeunes de maintenant n’accordent plus d’intérêt aux contes, ils sont plus accrochés à leurs téléphones qu’à la télévision. Ils n’ont plus cet esprit de vivre en société. Alors qu’à travers le conte, on peut non seulement inculquer à la jeune génération des bonnes manières mais aussi et surtout leur apprendre certaines paroles et proverbes. Dans les années 1990, il se tourne vers la narration. « Dans le conte, il y a tout, les rires, les larmes, la morale. Par exemple quand on dit le lion, on parle du roi, quand on parle du lapin ou du lièvre, on parle du plus malin. On ne parle pas des animaux, mais on décrit notre société », explique-t-il. Dans cette optique, Pipo à Paris a eu la chance de travailler avec feu Ado Saleh dit Mandé, un conteur professionnel qui l’a encadré. « Il m’a montré beaucoup de choses. Je me suis impliqué dedans et j’ai eu beaucoup d’expérience. J’ai obtenu des diplômes y compris celui de formateur des formateurs en conte, récit et littérature africaine », souligne-t-il. Certaines écoles qui reconnaissent ses capacités dont Manou Diata lui ont proposé de venir faire des contes aux élèves pendant les heures libres. « Dès que je rentre dans la cour, les élèves crient ‘‘Pipo vient nous faire des contes’’, ils ont pris goût. C’est une distraction certes, mais, dans chaque histoire, il y a toujours une leçon de morale », confie Doulla. Il a lancé un appel à l’endroit des écoles pour qu’elles insèrent les contes et le théâtre dans leurs programmes. C’est par là qu’on apprend à écouter, à respecter et à comprendre les autres.
Aïchatou Hamma Wakasso (ONEP)
