
Mariama Mamoudou Djibo, directrice des programmes de l’ONG FAD
L’accès des femmes au droit foncier au Niger est une question importante et complexe. Historiquement, les femmes nigériennes ont été confrontées à des obstacles pour acquérir et détenir des droits fonciers. Cependant, il y a eu des progrès récents pour améliorer cette situation qui est régie par le Code Rural et les coutumes locales. Selon les coutumes, les terres sont généralement détenues par les hommes et transmises de père en fils. Cela a souvent laissé les femmes en marge de la propriété et de la gestion des terres, limitant ainsi leurs opportunités économiques et leur sécurité.
Le Code Rural reconnaît les droits des femmes à la terre, notamment en cas de veuvage, de divorce ou si elles sont chefs de famille. De plus, la Constitution nigérienne garantit l’égalité des droits pour tous les citoyens, indépendamment du genre. La loi N°2018-37 du 1er juin 2018, fixant l’organisation et la compétence des juridictions en République du Niger en son Article 73 stipule que les juridictions appliquent la loi dans les affaires concernant la propriété ou la possession immobilière et les droits qui en découlent, lorsque le litige porte sur un immeuble immatriculé sur le livre foncier ou enregistré au dossier rural, ou lorsque l’acquisition ou le transfert a été constaté par tout autre mode de preuve établi par la loi.
En cas de litige, le partage équitable prôné par la loi des compétences juridiques, se réfère à la coutume des concernés ou à la religion. Et c’est à ce niveau que le défi reste encore entier. En effet, du point de vue des coutumes, les femmes n’ont pas les mêmes possibilités d’accès à la terre que les hommes.

Au plan mondial, les femmes représentent moins de 20 % des propriétaires fonciers, moins de 5 % de tous les propriétaires fonciers agricoles d’Afrique du Nord et d’Asie de l’Ouest, tandis qu’en Afrique sub-saharienne, elles comptent,
pour 15 % en moyenne. Elles ont également des droits fonciers plus précaires sur les terres agricoles, accèdent moins facilement au crédit et à la formation, et doivent travailler avec des technologies qui ont été conçues pour les hommes, selon le ministère de l’Environnement et de la lutte contre la désertification lors de la journée internationale de la lutte contre la désertification le 17 juin 2023.
Des organisations locales et internationales travaillent activement avec le gouvernement nigérien pour sensibiliser sur l’importance de l’accès des femmes au droit foncier et pour promouvoir des réformes législatives favorables à l’égalité des sexes. Des programmes éducatifs sont mis en place pour informer les femmes de leurs droits et les outiller pour revendiquer leurs droits fonciers. Malgré le poids numérique et la pleine implication des femmes dans les activités agricoles et l’adoption de la Politique Foncière Rurale du Niger par le gouvernement qui prévoit en son axe n°3 des mesures favorisant l’accès à la terre et à la sécurité foncière des femmes, des jeunes et des personnes en situation de handicap, les femmes ne profitent pas assez de leurs droits.
Selon Mariama Mamoudou Djibo, directrice des programmes de l’ONG Femmes, Action et Développement (FAD), « plus de la moitié des personnes qui vivent en milieu rural doivent vivre au quotidien pour satisfaire leur besoin sur la base de ce que produit la terre. Mais malgré le poids numérique des femmes, elles n’utilisent que 6 % des terres exploitables au détriment des hommes. Cela n’est pas normal et cela doit changer », déplore Mariama Mamoudou Djibo.
En effet, ajoute la directrice des programmes de l’ONG FAD, aujourd’hui environ 50,3 % de la population nigérienne est constitué par les femmes. « L’inaccessibilité de la femme à la terre est un frein pour son propre développement et pour le développement de sa famille. Aujourd’hui, on le sait, dans les ménages particulièrement en milieu rural, ce sont les femmes qui ont la charge de la gestion de leur famille. Donc, en ayant accès à la terre, en jouissant de la terre, cela permettrait de se nourrir et de s’autosuffire alimentairement », souligne-t-elle.
Mariama Mamoudou Djibo s’inquiète du sort des femmes dans ces conditions de non accès aux terres agricoles. « Si ces femmes-là ne peuvent pas hériter de la terre, qui va s’occuper de ces femmes-là alors qu’elles n’ont pas de sources de revenus ? » s’interroge la directrice de Programme de l’ONG FAD. « Donc pour tout ceci, il est primordial, et même nécessaire que les femmes puissent avoir accès à la terre de manière effective. Il est unanime que sans la frange majoritaire de la population, on ne peut pas escompter un développement du pays. Et avec la cherté de la vie et les défis multiformes, il est indispensable que les femmes s’impliquent, de manière effective, dans la gestion du foncier», a-t-elle déclaré.
Dans la politique d’accès des femmes à la propriété foncière, le gouvernement nigérien, fournit des efforts afin d’apporter des solutions efficientes. Parmi ces efforts, figure la décision de l’octroi à la femme, aux jeunes et aux personnes en situation de handicap d’un minimum de 35 % des parcelles aménagées par l’État et les collectivités territoriales en priorisant les femmes chefs de ménage ; l’encouragement à la délivrance des actes fonciers au bénéfice des femmes, des jeunes et des personnes en situation de handicap ; et l’assouplissement des conditions de paiement des frais de délivrance des actes du Code rural pour ces derniers.

Du point de vue de la religion, l’islam n’interdit pas ce droit aux femmes comme l’explique Oustaz Moustapha Hamadou, membre du Conseil islamique du Niger. « Par rapport au foncier, la femme peut bel et bien avoir un foncier qu’elle va cultiver elle-même aux côtés de son mari. Le plus important, c’est que tout ce qu’elle fait, qu’elle le fasse avec le consentement de son mari et avec joie et avec lui. La femme comme l’homme peut hériter, posséder un terrain, qu’il soit un foncier de culture vivrière ou de logement » précise le leader religieux. « L’important de tout cela, c’est qu’on veut la protection de sa chasteté et de sa personnalité. Il y a beaucoup de versets qui ont dit cela et des hadits du prophète (PSL) qui sont venus étayer cela » ajoute-t-il.
Dans le coran, souligne-t-il, il est dit qu’il faut donner aux femmes leur bien matériel ou en nature de bon cœur. « Un autre verset du coran dit aux hommes et aux femmes de travailler ; ce travail peut être un travail de culture de la terre, travailler les terres, travailler tout ce que vous pouvez pour survivre, Allah appréciera vos efforts et vous récompensera en conséquence. Donc vous voyez à partir de cet instant-là vous ne pouvez pas refuser à une femme ce droit là » ajoute-t-il.
En définitive, il reste encore beaucoup à faire pour garantir une égalité totale en matière de droit foncier au Niger. Mais il y a des signes encourageants de progrès. Il est essentiel de continuer à sensibiliser et à travailler pour éliminer les obstacles auxquels les femmes sont confrontées et pour promouvoir une société plus équitable et plus inclusive.
Rabiou Dogo Abdoul-Razak (ONEP)