A Niamey, ou s’est tenue leur réunion, les représentants des barreaux africains se sont fortement prononcés en faveur du retour effectif des biens culturels africains pillés pendant la période de colonisation pour la plupart. Communément appelés artefacts africains, ces objets liés à la royauté ou aux différents cultes africains, sont détenus et exposés dans des musées et collections privés à travers le monde. Aujourd’hui, malgré la bonne foi affichée par certains pays pour les restituer, de plus en plus d’intellectuels émettent des doutes et pressent les anciennes puissances colonisatrices à dialoguer directement avec les communautés spoliées et non pas avec les politiciens qui les gouvernent. De l’avis général qui se dégage des cercles de pression, le retour des artefacts sur leurs terres d’origines contribuera durablement à asseoir la paix et la cohésion au sein des communautés d’Afrique.
A la veille de la clôture de la conférence annuelle de l’Association des barreaux africains qui s’est tenu à Niamey du 3 au 7 octobre dernier, les avocats du continent et leurs invités ont animé une session de débats et d’échanges sur le thème « Challenges autour du retour des artefacts africains pillés : stratégies et futur des artefacts restitués ». Les débats qui ont suivi les exposés, ont permis à l’auditoire de mieux appréhender la politique sur la restitution des biens culturels africains pillés et les dessous de cette bonne volonté apparente des anciennes puissances coloniales, de réfléchir sur la paix et la cohésion qu’apporteraient ces artefacts aux communautés une fois restitués a leurs légitimes ayant-droits, et de manifester leur pessimisme sur la restitution des vrais artefacts qui se trouvent parfois dans des collections privées.
A la fin de la session, Chef Charles Achaleke Taku, leader traditionnel de la communauté Bangoua du Cameroun et avocat international, principal contributeur de la session, a indiqué que le colonialisme, tout comme l’esclavage, a disloqué la civilisation de l’Afrique, en dépit de la contribution inestimable de cette dernière à la civilisation de l’humanité. « Aujourd’hui, dit-il, l’Afrique est une Nation sans valeurs spirituelles, ni religion ou même civilisation. Car, les objets qu’ils appellent la conscience culturelle ou la conscience de la civilisation africaine se retrouvent dans des musées. C’est la base du pillage des arts africains et des ressources africaines qui continue d’ailleurs ».
Pour cet éminent chef traditionnel, tout comme pour l’ensemble des intellectuels invités à suivre la session en présentiel et en ligne, l’Afrique qui est censée être libre ne l’est pourtant pas car, soutiennent-ils, le meilleur de l’Afrique qui le lie au passé et à la civilisation africaine des ancêtres, est exposée dans des musées en Europe, en Amérique et dans d’autres places comme des trophées de guerre et de conquête alors que ces mêmes pilleurs se disent de bonne foi dans les négociations en vue de leur restitution. « C’est extrêmement humiliant. C’est pourquoi nous nous opposons à leur simple restitution. Non seulement il faut les restituer, mais il faut aussi payer des réparations pour avoir porté atteinte à notre indépendance en gardant l’âme de la civilisation africaine captive, comme des trophées de guerre, de conquête et d’humiliation, dans leurs musées » poursuit-il.
Chef Charles Achaleke Taku se désole qu’en dépit des déclarations publiques des pays comme l’Allemagne et la France, certains groupes politiques et politiciens européens qui ont glorifié le colonialisme continuent à résister à la restitution. Il donne l’exemple de la France où la statuette de la Reine Bangoua est retenue dans une fondation privée qui estime sa valeur numéraire à 363 millions de dollars américains. « C’est la reine de Bangoua, dont les terres ancestrales sont au Cameroun. Pourquoi alors la garder en Europe? », questionne le notable qui dénonce ainsi la résistance sur ce continent qui tarde à mettre l’Afrique dans ses droits légitimes.
Le deuxième handicap que dénonce Chef Taku est la corruption des gouvernements africains et des politiciens pour faire barrage à la restitution des artefacts. Ils ont corrompu l’élite politique en Afrique, ajoute-t-il, afin de supplanter les communautés victimes qui se battent pour le retour de ces pièces artistiques à leurs terres d’origine et à l’Humanité. « Je ne suis pas à ce jour optimiste sur la bonne foi de ces appels à la restitution car les nouveaux mandataires du colonialisme en Afrique négocieront à travers des arrangements diplomatiques pour les revendre à nouveau ou recevoir de l’argent à hauteur de leurs valeurs alors même que les victimes ne les auront jamais. C’est pourquoi la bataille est sur deux fronts », s’inquiète-t-il.
Pour Chef Charles A. Taku, l’Afrique est « superficiellement » indépendante mais en réalité elle ne l’est pas « jusqu’à ce que nous obtenons la restitution de toutes ces pièces d’Afrique ». Il prend l’exemple de la Namibie pour démontrer que les communautés africaines peuvent résister à leurs propres politiciens et œuvrer pour le retour de ces joyaux en Afrique. Dans ce pays, les communautés locales ont rejeté en bloc les résultats des négociations entre leur gouvernement et l’ancienne puissance coloniale qui voulait payer des compensations pour « le génocide et le pillage » sous la colonisation. « La corruption fait en sorte que nous ne récupérons pas nos artefacts et que le pillage continue. Ceci doit être renversé. Le droit international a donné beaucoup de pouvoirs aux victimes pour défendre leurs droits et c’est à nous, les victimes, de nous lever et nous battre et non aux politiciens de le faire », conclu-t-il.
Par Souleymane Yahaya(onep)