Le monde a besoin d’un «saut quantique» dans l’ambition climatique pour éviter des conséquences dévastatrices. Les risques actuels et futurs liés au changement climatique sont bien plus graves que les estimations précédentes, mais il est encore possible d’agir de toute urgence pour «garantir un avenir vivable pour tous». Tel est le message que le Groupe d’experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) a délivré le lundi 20 mars 2023 en publiant une «synthèse» décrivant le péril auquel l’humanité est confrontée en raison des émissions de gaz à effet de serre – et ce que nous pouvons faire pour l’éviter.
Cette nouvelle publication tente de distiller tout ce que le groupe a dit depuis août 2021, date à laquelle il a commencé à publier sa sixième évaluation du réchauffement climatique. «Les choix et les actions mis en œuvre au cours de cette décennie auront des répercussions aujourd’hui et pendant des milliers d’années», note le rapport.
« Une action climatique équitable et efficace portée à l’échelle planétaire réduira non seulement les pertes et les dommages infligés à la nature et aux populations, mais nous apportera aussi d’autres avantages », a déclaré Hoesung Lee, Président du GIEC. En effet, « ce Rapport de synthèse fait ressortir que des mesures plus ambitieuses s’imposent de toute urgence et que, si nous agissons maintenant, nous pouvons encore garantir un avenir durable et vivable à toute la planète », a- t-il ajouté.
S’appuyant sur les précédentes publications du GIEC, le rapport indique que les températures mondiales ont augmenté de 1,1 degré Celsius (2 degrés Fahrenheit) depuis l’ère préindustrielle et que ce réchauffement a été causé «sans équivoque» par les activités humaines, principalement la combustion de combustibles fossiles. Les vagues de chaleur et les inondations sont devenues plus fréquentes, et les dommages causés à la nature sont plus graves et plus étendus que jamais.
Mme Aditi Mukherji, experte en climat a déclaré que, « l’instauration d’une justice climatique est essentielle » car selon le GIEC, les populations pauvres et vulnérables qui contribuent moins au réchauffement de la planète sont confrontées à ses effets les plus graves, notamment des risques accrus de mortalité liée à la chaleur, de maladies d’origine alimentaire et hydrique et de famine. « Près de la moitié de la population mondiale vit dans des régions extrêmement vulnérables au changement climatique. Au cours de la dernière décennie, les décès dus à des inondations, des sécheresses et des tempêtes ont été 15 fois plus nombreux dans les régions très vulnérables », a-t-elle ajouté.
Il est encore possible de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré C ; il faudrait réduire les émissions mondiales de 43 % par rapport aux niveaux de 2019 d’ici à 2030
Entre-temps, les dirigeants mondiaux ont perdu un temps précieux pour éviter que la situation ne s’aggrave. En l’absence de réductions «rapides et profondes» des émissions mondiales, les auteurs du rapport du GIEC préviennent que le monde sera incapable de maintenir le réchauffement climatique en deçà des objectifs internationaux de température. Les lacunes en matière de protection de la nature, de modernisation des infrastructures et de financement de la lutte contre le changement climatique dans les pays en développement signifient que les catastrophes telles que les incendies de forêt et les ouragans s’intensifieront dans pratiquement toutes les régions du monde, dépassant la capacité de la nature et de l’humanité à s’adapter à ces phénomènes.
Le rapport garde toutefois espoir, réitérant les messages précédents sur «la fenêtre d’opportunité qui se referme rapidement pour permettre un développement résilient au climat». Les capitaux mondiaux sont déjà suffisants pour payer la facture des mesures d’atténuation et d’adaptation nécessaires, et la chute des coûts des énergies renouvelables, comme le solaire et l’éolien, a rendu plus facile que jamais le financement d’une transition vers l’abandon des combustibles fossiles.
Le GIEC estime qu’il est encore possible de limiter le réchauffement climatique à 1,5 degré C (2,7 degrés F) – l’objectif inscrit dans l’accord de Paris de 2015 et la pierre de touche de l’action climatique dans le monde – même si certains scientifiques affirment qu’il n’est plus réalisable. Pour atteindre 1,5 degré C, il faudrait réduire les émissions mondiales de 43 % par rapport aux niveaux de 2019 d’ici 2030 ; actuellement, elles atteignent des niveaux record et le monde reste profondément dépendant des combustibles fossiles. Selon un rapport des Nations Unies publié en octobre, les politiques climatiques des pays et les projets d’exploitation des combustibles fossiles entraîneraient un réchauffement de près de 3 degrés C (5,4 degrés F) d’ici le milieu du siècle.
Piers Foster, professeur de physique climatique à l’Université de Leeds, au Royaume-Uni, et auteur d’un rapport du GIEC, a déclaré que même les scénarios les plus «optimistes» en matière d’action climatique entraîneraient probablement un réchauffement de la planète de 1,5 °C. «Si nous ne changeons pas radicalement», a-t-il souligné «nous dépasserons 1,5 °C au début des années 2030, et nous pourrions également dépasser 2 °C». Certaines des projections du GIEC en matière de température impliquent un «dépassement» temporaire de ces objectifs ; bien qu’il soit possible que les températures se stabilisent, les conséquences d’un tel dépassement sont mal connues et extrêmement risquées.
Le rapport de synthèse devrait servir de base aux négociations lors de la conférence des Nations Unies sur le climat de cette année, la COP28, qui se tiendra cette année à Dubaï. Lors de cette conférence, les dirigeants mondiaux concluront le premier «bilan mondial», un processus de deux ans au cours duquel ils évalueront et rendront compte de leurs progrès vers la réalisation des objectifs de l’Accord de Paris. Ces bilans doivent avoir lieu tous les cinq ans, et ce premier est censé aider les pays à identifier les moyens d’augmenter leurs engagements climatiques pour 2035.
Les décideurs doivent agir : ce rapport est un appel à accélérer massivement les efforts en matière de climat
Pour le reste, le GIEC exhorte les décideurs à opérer des changements radicaux dans tous les secteurs de la société, notamment en élargissant radicalement l’accès aux technologies énergétiques propres, aux transports à faible émission de carbone et aux aliments sains et durables, ainsi qu’en conservant 30 à 50 % des terres et de l’eau de la planète. Bon nombre de ces interventions seraient rentables, si ce n’est en réduisant la probabilité de catastrophes climatiques coûteuses, du moins en améliorant la santé publique grâce à la réduction de la pollution due aux combustibles fossiles.
Le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, a déclaré qu’ils nécessiteraient «un bond en avant dans l’action climatique». Il a profité de la publication du rapport du GIEC pour proposer un «pacte de solidarité climatique» aux pays les plus polluants, notamment les États-Unis, la Chine, l’Arabie saoudite et les membres de l’Union européenne. M. Guterres a déclaré que les signataires de ce pacte devraient adopter une série d’engagements «dans un effort commun pour ne pas dépasser 1,5 degré» : ne plus utiliser de charbon, ne pas créer ou développer d’infrastructures pétrolières ou gazières et mettre en place un plan d’élimination progressive des réserves de combustibles fossiles existantes, entre autres objectifs. «En bref, notre monde a besoin d’une action climatique sur tous les fronts – tout, partout, tout de suite’’, a déclaré M. Guterres.
Oumar Issoufou(onep)