La souveraineté alimentaire ne saurait être une réalité au Niger sans un changement de paradigme par rapport aux approches utilisées jusque-là dans le domaine de l’agriculture. Les bases productives sont disponibles dans notre pays et n’attendent que d’être exploitées pour sortir le Niger du cercle vicieux de la dépendance, des spirales de la sècheresse et du spectre de la famine. Pour y parvenir, il va falloir créer les conditions de la maitrise de l’eau, un élément central pour intensifier la production maraichère, augmenter les superficies des aménagements hydro-agricoles, ainsi que les espaces fertiles hors aménagement pour booster la production rizicole nationale. En effet, qu’il s’agisse de la production maraichère ou encore de la culture rizicole hors aménagement, le village de Karra, dans le département de Birni N’Gaouré, est un modèle et pourrait même être une phase pilote dans le cadre du Programme de Résilience pour la Sauvegarde de la Patrie et le Programme de la Grande Irrigation. Ces deux Programmes constituent la charpente de la vision du Président du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie, Chef de l’Etat Le Général de Brigade Abdourahamane Tiani.
Plongé dans un bas-fond, le village de Karra est situé à 6 km au sud de Birni N’Gaouré, chef-lieu du département. Ce samedi 30 novembre 2024, nous avons décidé d’aller à la rencontre de ces braves hommes et femmes du village de Karra dont le travail remarquable en matière de production maraichère et rizicole fait écho. En compagnie du directeur départemental de l’Agriculture de Birni N’Gaouré, M. Doulla Abouba qui vient à peine de prendre service, nous empruntons une voie latéritique qui mène jusqu’au village de Karra. Bien que la route comporte des nids de poule, la distance a été parcourue sans coup férir. A l’entrée du village, précisément à gauche de la voie, deux femmes sont assises et devant chacune d’elle, un grand récipient rempli de laitue exposée à la vente. C’est un lieu de vente pour les clients venant de Birni N’Gaouré, nous confie un passant. Le moindre mouvement des véhicules dans les deux sens de la route est minutieusement scruté par ces femmes qui attendent les éventuels clients, en dépit du froid auquel elles sont exposées en cette période d’installation progressive de la saison froide. Au fur et à mesure que l’on s’approche du village, les brouhahas auxquels se mêlent les bruits lointains des coups de pilon matinaux des braves femmes qui sont sur pied depuis l’aurore, se font entendre. Dans le village, les rues et les ruelles sont en cul-de-sac, toute chose qui caractérise nombre de villages au Niger et qui différencie bien évidemment les centres urbains des campagnes. Les occupants du véhicule 4×4 se renseignent sur la demeure du chef du village. « Continuez tout droit jusqu’au pied de la grande mosquée du village, vous verrez la maison du chef du village », nous explique un passant. Quelques minutes après, nous voilà chez le chef du village. A peine les salutations d’usage terminées, le directeur départemental de l’Agriculture introduit avec sagesse l’objet de la mission. Aussitôt après ces brefs échanges, le chef du village nous installe dans la mosquée dont le mur est construit à base d’argile. Il retourne à la maison, le temps de passer l’information aux chefs de familles n’ayant pas bougé de leurs demeures en ce moment d’activités multiples. La concertation, la participation et l’implication de tous constituent l’approche du chef du village de Karra, M. Zakari Yaou Mounkaila par rapport à tout ce qui concerne le village. Ce que lui reconnait l’Iman de la mosquée qui vient de passer chez le chef pour lui souhaiter une excellente journée. Ainsi, le choix du village de Karra pour la réalisation de ce reportage s’explique par le fait que les habitants dudit village s’illustrent positivement dans la production maraichère à laquelle vient se greffer, il y a juste quelques années, l’expérimentation de la production rizicole hors aménagement. Le « Djermakoye », ou chef du village de Karra comme aiment l’appeler affectueusement les intimes, affiche un sourire qui témoigne visiblement de l’immense joie qui l’anime. Cet état d’europhorie se lit également sur l’ensemble des visages des chefs de familles qui viennent d’être réunis de façon spontanée. Bien que la réunion convoquée par le chef du village ait légèrement bouleversé leurs calendrier, ils ont tout de même tenu à venir. Parmi les habitants mobilisés, une poignée de femmes est assise à gauche des visiteurs du jour. « Ce sont les différentes représentantes des structure féminines évoluant dans la production maraîchère », nous susurre un vieux à côté du chef du village. C’est ainsi que nous sommes autorisés à prendre la parole pour expliciter davantage l’objet de la mission. Ce qui fut fait en trois phrases au regard du facteur temps, surtout en cette période de froid où le jour semble court. Sans perdre de temps, nous prenons la route pour nous rendre sur les sites maraichers.
Karra ou le noyau de la production maraichère dans le département de Birni N’Gaouré
Le village de Karra est ceinturé par des jardins exploités exclusivement par les femmes. La production maraichère a des beaux jours devant elle dans ce village où la question de la maitrise de l’eau, l’équation majeure pour d’innombrables contrées du Niger, ne se pose plus. L’eau, la principale ressource du futur à l’échelle mondiale, est à trois (3) voire quatre (4) mètres de profondeur à Karra. Et pour cause, le village de Karra est au cœur même du Dallol Boboye. L’essentiel des jardins est clôturé en matériaux précaires, c’est-à-dire, soit en tiges de mil dont la disponibilité ne cause aucun problème, surtout en cette année où la campagne agricole a répondu aux attentes des producteurs du village ou en bois épineux pour empêcher aux animaux d’y rentrer pour faire des dégâts.
Mme Hassia Hamidou, la quarantaine révolue, fait partie des femmes qui ont leurs jardins à quelques encablures du village. Elle affirme avoir passé déjà dans son jardin plus de deux heures de temps en train d’alimenter les plants saisonniers. Debout au pied d’un puits, la corde de la puisette en main, Hassia s’affaire à remplir deux récipients qui servent à alimenter les différentes spéculations qu’elle produit. Ce sont de la laitue, de la tomate, de l’oignon, du moringa, de l’aubergine, etc. Le chou ne fait pas partie des produits que cultive Hassia car, dit-elle, la disponibilité des semences est un véritable casse-tête. En plus, le cycle de la production de cette spéculation prend énormément de temps et épuise les femmes.
En définitive, la rentabilité, selon elle, n’est pas au rendez-vous pour une femme qui voulait récolter dans un intervalle relativement court le fruit de son dur labeur. Dans ce jardin, elle a fait creuser deux puits dont les profondeurs ne dépassent guère trois à quatre mètres. Mais elle se plaint cependant du coup élevé du forage manuel. Ce dernier consiste à creuser un puits et l’attacher avec des Seko et du bois vert susceptible d’être manipulé afin que le puits puisse tenir et couvrir toute la période des cultures de contre saison, c’est-à-dire de la phase des semis jusqu’à la récolte. 12.500 F, c’est la somme qu’il faut mobiliser rien que pour creuser le puits sans compter les autres matériaux, en l’occurrence les sekos et le bois vert. Après un mois et demi de travail intense sur son jardin, Hassia commence à avoir le sourire aux lèvres avec la laitue qui est au stade de maturité. Elle pourrait même y vendre, à l’image de ses consœurs que nous avons rencontrées à l’entrée du village de Karra. « Dans le cadre des activités maraichères, nous qui sommes les femmes, nous passons une bonne partie de la journée dans les jardins. Ce sont des activités qui requièrent une bonne dose de patience, doublée d’une endurance extraordinaire dans l’alimentation des spéculations. On peut faire banalement quatre, voire cinq mois sur les activités maraichères. Les revenus issus de la production nous permettent de subvenir à nos besoins d’une part, et d’autre part, à ceux de la famille. Nous donnons chaque matin à nos enfants de l’argent pour la récréation à l’école, achetons leurs vêtements ainsi que le trousseau de la jeune fille qui s’apprête à se marier. Une partie de l’économie sert à acheter des animaux pour faire de l’embouche ovine et bovine, surtout que l’acquisition d’une charrette à attelage bovin est d’une grande utilité dans ce village. Bref, la filière cultures de contre saison dans le village de Karra est un moyen solide de maintien de l’équilibre familial », explique Hassia avec un air moins loquace.
Si Hassia arrose les spéculations qu’elle cultive à l’aide d’un puits dont la nappe phréatique est peu profonde, d’une puisette et des récipients méticuleusement déposés à côté d’elle, sa voisine Zalika Oumarou, sexagénaire fait usage d’une facilité qu’offre les progrès technologiques. Avec un tuyau plongé dans l’un des puits qui se trouvent dans son jardin, Zalika met tranquillement en marche sa motopompe pour alimenter, en un temps records, toutes les spéculations qu’elle produit. Une motopompe qui lui a coûté la somme de 60.000 F sans le tuyau qui facilite l’irrigation. Des plants de laitue qui viennent d’être repiqués reçoivent en quantité suffisante l’eau qui inonde une partie du champ de moringa, une plante dont les feuilles contribuent efficacement lutter contre l’insécurité alimentaire et nutritionnelle au Niger. Autant dire que la production et la commercialisation des feuilles de moringa ont le vent en poupe ces dernières années dans le village de Karra en particulier, et à l’échelle nationale en général. Zalika Oumarou en a parfaitement conscience. Et pour cause, ni le poids de l’âge, encore moins la fatigue qu’elle accumule quotidiennement ne sauraient émousser et freiner sa détermination et son élan à injecter de l’argent pour travailler la terre dans la perspective d’un retour sur investissement. « La filière cultures maraichères nourrit bien évidemment son homme. Nous qui sommes les femmes du village de Karra, sommes l’illustration parfaite. Si toutes les conditions sont réunies, un bras valide qui part en exode à la recherche de l’argent ne pourrait nullement nous inquiéter, quelle que soit sa moisson saisonnière. Le seul problème qui ralentit nos efforts de production, c’est la disponibilité des semences à temps. Des fois, lorsque les semences sont disponibles, nous n’avons pas les moyens de les acheter. Nous demandons à l’Etat, à travers ses services techniques, de veiller à la résolution de ce sempiternel problème », plaide Zalika du haut de ses 60 ans.
Au fur et à mesure que les femmes du village de Karra s’adonnent au maraîchage, une activité qu’elles pratiquent toute l’année, c’est-à-dire 12 mois sur 12, certaines se spécialisent pour non seulement intensifier la production, mais aussi multiplier les chances d’une carrière réussie. Mme Oumou Hassane s’est inscrite dans cette perspective. Elle évolue dans la filière moringa et autres produits de rente dont la valeur marchande est indiscutable sur les différents marchés de notre pays, et même au-delà de nos frontières. Elle capitalise une longueur d’avance sur beaucoup de ses consœurs du village pour avoir passé plusieurs années dans un pays côtier. L’usage de certaines langues de la côte sans trébuchement aucun, est un exercice facile pour Oumou Hassane qui a cependant mal aux yeux. Dans son champ de moringa situé à trois, ou quatre kilomètres à l’ouest du village de Karra, un plant d’une pomme du sahel rampe aux quatre coins au point d’occuper un espace important du jardin. Non loin de cette plante touffue dont les fruits sont prêts à la cueillette, une montagne de bouses de vache se dresse. C’est à la recherche de cette fumure organique que Oumou Hassane a piqué la maladie des yeux, nous confie-t-elle. Légèrement à l’Ouest de cette montagne de fumure, un fagot de branches mortes du moringa est attaché. En effet, pour faciliter la régénération de moringa d’une saison à une autre, il faut procéder à la coupe méthodique de ses branches. « La fumure organique présente dans ce jardin de plus d’un hectare sera minutieusement dispersée un peu partout où se trouvent les plants de moringa déjà en instance de régénération. Après tout cela, on procède à l’irrigation chaque jour. En trois semaines, voire un mois maximum, l’endroit sera verdoyant comme le jardin de mon beau frère que nous venons de visiter un peu plutôt », rassure Oumou d’un air bavard, mais souriant. Elle n’hésite point, dans les échanges ou conversations du jour, de taquiner son cousin, le chef du village de Karra, avec qui cette randonnée a été organisée.
La production rizicole hors aménagement à Karra : un exemple de réussite
Certains bas-fonds dans le département de Boboye sont propices à la production rizicole. C’est l’exemple du village de Karra dont les habitants expérimentent, depuis quelques années, la culture rizicole. Si dans les années antérieures, la production rizicole était au stade embryonnaire avec les hésitations des producteurs ou autres calculs individuels, cette année, on constate une extension de la production du riz dans les bas-fonds, l’épicentre de la culture rizicole. Et pour cause, la flambée du prix du sac de riz l’année passée après les événements du 26 juillet 2023 et les sanctions imposées par la CEDEAO à l’encontre de notre pays ont galvanisé plus d’un producteur au Niger. Ces sanctions iniques que les Nigériens ne sont pas prês d’oublier, suscitent dans les centres, urbains, villages et campagnes un éveil de conscience sans précédent. Karra est un exemple de ces villages qui travaillent la terre pour que les Nigériens puissent produire suffisamment le riz dans la perspective de la souveraineté alimentaire, de l’honneur et de la dignité du peuple nigérien.
A quatre (4) kilomètres à l’Ouest du village de Karra, se trouve un hameau qui s’appelle Bossey-zougou. Ce dernier dispose d’un imposant bas-fond favorable à la production rizicole. Le long de ce bas-fond, un périmètre rizicole hors aménagement est à perte de vue. Dans le champ du chef de village se dresse un grand hangar sous lequel sont superposés plusieurs sacs de riz non décortiqués. Quelques mètres à l’Est du hangar, des bras valides qui ont élu momentanément domicile sur le site, s’activent à la récolte du champ. Rapidité, efficacité et habileté sont au rendez-vous de ce travail exécuté avec minutie, doublée d’une dose de passion des jeunes sur le terrain. L’objectif de ces jeunes employés est de récolter cette étendue rizicole qu’ils ont pris en contrat. Ce champ totalise une superficie de 5 ha dont 4,5 ha appartiennent à une seule personne. Mais, l’ensemble du bas-fond est d’une superficie de 20 ha. Les champs rizicoles de Karra sont des propriétés léguées par les anciens à la jeune génération. La délimitation de champ rizicole ne souffre d’aucune ambiguïté. En effet, pour la bonne marche de l’activité, les exploitants de ce périmètre sont organisés à travers une coopérative qui s’appelle Songo-bonkaney. C’est une coopérative créée en 2015. Elle est membre d’une Union qui s’appelle « Boboye Ma zada » dont le chef du village de Karra est le président. L’Union regroupe des exploitants de Fabirdji, Birni N’Gaouré, N’gonga, Harikanassou, auxquels viennent s’ajouter Kiota, et Koygolo. Les exploitants du périmètre rizicole hors aménagement de Karra sont membres de la Fédération des Unions des Coopératives de Producteurs de Riz (FUCOPRI) et bénéficient de toutes les facilités qu’offre l’adhésion à cette instance fédérale. Sur le site, trois variétés de riz sont produites. Il s’agit des variétés Gambiaca, Seyberi 1, 2, 3 et 4 et Orylux 6, une variété mise à la disposition des producteurs par l’Etat du Niger. Orylux 6 est une variété adaptée aux cultures rizicoles hors aménagement. Son cycle ne dépasse pas 70 jours. Son rendement est fonction du paquet technologique. Tout de même, cette variété peut aller entre 2,5 à 4 t à l’hectare. Bref, le rendement à l’hectare de toutes ces variétés est à la hauteur des attentes des producteurs de Karra. C’est pourquoi, le chef estime que l’Etat doit intégrer la zone de Birni N’Gaouré et même toute la région de Dosso comme une zone éminemment propice à la culture du riz. La raison est toute simple, la région de Dosso est la seule région au Niger où la nappe phréatique n’est pas profonde. L’eau est la ressource naturelle la plus facile dans cette région. Les champs rizicoles au stade de récolte constituent la preuve suffisante. Les ambitions du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie par rapport à la souveraineté alimentaire trouvent un écho favorable à Karra. Les producteurs disent être prêts à multiplier les espaces cultivables à condition que l’accompagnement de l’Etat dans la préparation des champs rizicoles, la mise à la disposition des engrais, des machines d’irrigation ainsi que les semences soient une réalité.
Appui conseil et encadrement des productrices et producteurs
Avec le Programme de la Résilience pour la Sauvegarde de la Patrie et le Programme de la Grande Irrigation à l’échelle nationale, une nouvelle dynamique est enclenchée par rapport à l’extension des espaces cultivables aussi bien pour la production maraîchère qu’au niveau des aménagements hydro-agricoles et les périmètres hors aménagement. Dans le département de Birni N’Gaouré, les périmètres hors aménagements font l’objet d’un suivi régulier des services techniques. Ce que confirme le directeur départemental, M. Doulla Abouba, à travers le chef de district agricole et des visites périodiques organisée par la direction. La particularité des femmes productrices de Karra est qu’elles n’hésitent pas à appeler les services compétents chaque fois que de besoin. Toute chose qui facilite la collaboration, le respect mutuel et la confiance. « Nous allons continuer les plaidoyers nécessaires au niveau de l’Etat et les partenaires techniques et financiers pour que les femmes et les hommes qui pratiquent les cultures de contre saison et la production du riz hors aménagement soient appuyés à la hauteur des ambitions des deux programmes phares de l’Etat pour concrétiser la souveraineté alimentaire au Niger. Le département de Boboye dispose d’un potentiel énorme en matière de production rizicole. Ce potentiel disponible est estimé à plus de 164.000 ha de terres irrigables dont 122.000 ha où la profondeur ne dépasse guère 0 à 15 m. C’est dire que le département de Boboye peut, en plus de Dosso, ravitailler la Capitale Niamey en légumes », a ajouté M. Doulla Abouba.
La réussite du périmètre hors aménagement du village de Karra constitue un exemple palpable. Ce n’est pas seulement sur les aménagements hydro-agricoles classiques qu’on peut produire du riz. Le directeur départemental pense qu’un changement de logiciel de pensée s’impose à ce niveau pour que l’ensemble de la population nigérienne comprenne les enjeux liés au développement de la production rizicole dans notre pays. Le seul problème des périmètres hors aménagement, c’est la question de la maitrise de l’eau. Boboye n’est pas dans ce cas de figure. Bien au contraire. Le pari de la souveraineté alimentaire prôné par les autorités du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie peut-être gagné si les Nigériens se mettent au travail en investissant massivement dans l’agriculture, car comme le dit l’adage « la terre ne ment pas ! ».
Hassane Daouda (ONEP), Envoyé Spécial