Par Alex Anfruns
En prenant la plume pour écrire mon essai « Niger : un coup d’Etat de plus, ou la Révolution panafricaine ? », j’ai voulu exprimer mon rejet frontal de la menace de guerre que la CEDEAO avait fait planer sur le Niger dès les premiers jours d’août 2023. En fait, j’ai conçu mon ouvrage comme un manuel contre la propagande. Celle-ci joue un rôle très efficace non seulement dans l’amnésie organisée et la passivité des peuples, mais aussi dans la justification d’une politique va-t-en-guerre qui occulte les véritables causes économiques. Une fois que les conflits sont déclenchés, leurs conséquences sont incalculables : que ce soit en Irak, en Afghanistan, en Syrie ou en Libye. Dans le cas du Niger, les mesures illégales telles que les « sanctions » et l’« embargo », représentent une véritable arme de guerre économique contre le peuple.
L’hostilité de la CEDEAO, avec sa menace d’une intervention militaire, ne peut se comprendre, si ce n’est en considérant le rôle de la France dans le système néocolonial établi après les Indépendances. Avec leur réponse « Si vous touchez le Niger, vous êtes en train de déclarer la guerre au Mali et au Burkina Faso aussi », les dirigeants de ces pays ont envoyé un message de solidarité très puissant à des millions d’Africains qui partagent une vision et un projet d’émancipation : l’unité panafricaine. Désormais, les Etats-Unis ou la France, sous la bannière de l’OTAN, ne peuvent plus détruire un pays africain isolé comme cela arriva en Libye en 2011. Unis, les pays de l’Alliance des Etats du Sahel ont exprimé également la nécessité de coopérer dans des projets de développement en commun. Des pas décisifs ont été donnés dans ce sens, en formalisant le retrait de la CEDEAO le 29 janvier 2024. D’autres mesures sont annoncées, comme la création d’une monnaie commune, qui permettrait à ces pays de se libérer du joug du Franc CFA.
A travers ces lignes j’ai l’honneur de m’adresser en particulier au peuple nigérien. Ancien journaliste, j’ai étudié et analysé des processus révolutionnaires latino-américains contemporains. J’ai connu de près l’expérience de la Révolution Bolivarienne au Venezuela, qui a entraîné une dynamique régionale de décolonisation culturelle, ainsi qu’une bataille décisive pour la souveraineté nationale et l’unité latino-américaine. Au Venezuela, une alliance régionale comme l’ALBA fut créée par le Commandant Hugo Chavez afin de développer la solidarité entre des pays qui souhaitaient approfondir leurs liens économiques et sociaux. Le Venezuela a apporté à des millions de Latino-américains une perspective de transformation sociale, où le peuple n’est plus l’objet d’une humiliation permanente par les oligarchies. Devenu l’acteur de son propre destin, il assume désormais la responsabilité de participer à la construction d’un futur Etat communal. La transformation d’une économie rentière, basée sur l’exportation de ressources, est le défi non seulement des Vénézuéliens, mais aussi de nombreux pays du Sud soumis au capitalisme mondial. Comme cela fut le cas avant avec la Révolution Cubaine, aujourd’hui encore la Révolution Bolivarienne fait figure de l’avant-garde des luttes des peuples du Sud qui se battent pour un autre monde possible.
La Révolution panafricaine dans les Etats du Sahel est un coup de pouce, un accélérateur de la nouvelle Tricontinentale à bâtir au XXIème siècle. De plus en plus de pays dans le Sud refusent les diktats du néocolonialisme, et s’organisent pour faire face à l’impérialisme occidental. C’est sans surprise que l’établissement de nouveaux partenaires avec les Etats du Sahel est perçu comme un danger et représente l’un des axes majeurs de la propagande anti-AES. Derrière les dirigeants « putschistes » ouest-africains, ce serait la main des Russes qui ferait office de directeur d’orchestre. Ce thème de propagande doit être décortiqué : j’ai apporté des arguments essentiels dans mon livre. Tout d’abord, c’est au niveau de la coopération militaire que la Russie apporte une aide concrète aux armées du Sahel. Le refus d’accès à la technologie et aux armements modernes par l’ancienne puissance coloniale qu’était la France, a été l’un des motifs principaux du revirement historique dans la stratégie de défense des Etats du Sahel. Ensuite, la coopération civile que la Russie propose à l’Afrique, permettrait à celle-ci de faire un bond en avant par rapport au faible taux d’électrification dans des pays comme le Burkina Faso ou le Niger, qui en sont largement dépourvus. Il n’y a pas de raison que les centrales nucléaires restent le monopole de quelques pays qui ont pris la mauvaise habitude de piller les matières premières.
C’est un fait : les peuples du Sahel sont sur la voie de l’émancipation tant espérée par les anciennes générations de combattants du mouvement anticolonial. Tant de souffrances, tant d’attaques, de déstabilisations et de coups bas n’ont servi qu’à retarder de quelques décennies l’action déterminée en faveur de l’unité panafricaine. Il est crucial de se mettre au travail, d’étudier et d’agir selon la voie tracée par l’actuelle génération de dirigeants panafricains. Peu avant d’être renversé par un coup d’Etat soutenu par la CIA en février 1965, le père fondateur du Ghana Kwame Nkrumah avait alerté à propos des pièges tendus par le néocolonialisme : « bien que le but recherché par le néocolonialisme soit la domination économique, les grandes puissances ne limitent pas leurs opérations au domaine économique. Elles emploient les vieilles méthodes colonialistes d’infiltration religieuse, culturelle et éducative. Par exemple, dans les Etats indépendants, de nombreux professeurs expatriés et des ‘ambassadeurs culturels’ influencent l’esprit des jeunes contre leur propre pays et leur peuple. Ils le font en sapant la confiance dans le gouvernement national et dans le système social du pays en exaltant leur propre conception du gouvernement d’une nation, en oubliant que personne n’a le monopole de la sagesse politique. Mais cette subversion indirecte est de peu d’importance si on la compare à l’assaut brutal des capitalistes internationaux…». En finissant avec l’aliénation, le travail avec de la discipline et une dimension collective, acquiert une dignité et il n’est plus incompatible avec la créativité.
En se débarrassant de ces chaînes invisibles, les peuples ont enfin le sentiment de participer à une Œuvre qui transforme l’Histoire en même temps que l’Etre humain. La transmission de l’envie d’apprendre et l’accès à l’éducation ne peuvent pas être des questions secondaires : avec leur vision qui récupère la dignité et la souveraineté nationale, les gouvernements de transition sont en mesure de changer de fond en comble les programmes scolaires et d’empêcher que la jeunesse africaine reste la proie des mafias qui organisent l’exode ou des groupes armés qui proposent un gain d’argent facile. La confiance dans l’intelligence populaire ainsi que dans le potentiel créateur de la jeunesse africaine sont des pas incontournables dans la concrétisation irréversible des avancées de la Révolution. Il est crucial que les nouvelles générations panafricaines qui se mobilisent aujourd’hui, connaissent les idées des grands penseurs panafricanistes comme Ben Barka ou Nkrumah, pour qui « l’essence du néo-colonialisme, c’est que l’État qui y est assujetti est théoriquement indépendant, possède tous les insignes de la souveraineté sur le plan international. Mais en réalité, son économie, et par conséquent sa politique, sont manipulées de l’extérieur ».
Cette tribune est pour moi l’occasion de rendre hommage au peuple nigérien pour avoir donné au monde un tel exemple de résistance et de sagesse. Dans l’histoire de la lutte des peuples, une page d’or a été écrite grâce à sa détermination sans faille contre les pressions et les attaques des vassaux régionaux de l’impérialisme. Les leçons de son expérience seront tirées par d’autres peuples. La « nouvelle Guerre Froide » des Etats-Unis -et de l’Europe vassalisée- contre la Russie donne l’occasion à l’Afrique de réaffirmer sa volonté d’indépendance. Il serait dommage de gaspiller les possibilités inouïes dégagées par cette situation. La souveraineté dans les pays africains ne peut pas consister à maintenir un système basé sur les inégalités sociales. Le capitalisme international a détruit l’espoir de générations entières d’africains, en imposant ses politiques comme le ferait un voyou en col blanc. Des acteurs comme le FMI ou la Banque Mondiale sont des complices et des acteurs de poids dans le système néocolonial, aux côtés des élites dirigeantes corrompues. Le droit au développement de l’Afrique serait un leurre, s’il n’incluait pas la participation des masses paysannes traditionnellement exclues de la nation. Si la faiblesse de l’industrialisation et des relations commerciales interafricaines furent décidées par les différents acteurs du néocolonialisme, il s’agit désormais d’inverser la donne. Comme le Général Tiani l’a dit, l’heure est à l’action, pas aux longs discours. Ces mots nous rappellent Fidel Castro : « Des faits, pas des paroles ! ». En avant la Révolution panafricaine des Peuples du Sahel !
Alex Anfruns est professeur à Casablanca, ancien journaliste et auteur du livre Niger : un autre coup d’Etat ou la Révolution panafricaine ? publié en Espagne et au Venezuela. Son livre a été présenté officiellement par le Président Nicolas Maduro à l’occasion de l’inauguration de la Foire Internationale du Livre de Venezuela, le 8 novembre 2023.