
Abdoul Latif Mahamadou, promoteur de « Gatan Matassa »
Vivre dans le déshonneur n’est pas un choix pour ces nombreuses jeunes filles aujourd’hui désœuvrées. Mais, faute d’emploi et l’oisiveté poussant, elles se retrouvent malheureusement à exceller dans certaines pratiques malsaines. Ces jeunes ont besoin de nous ; de notre soutien pour fièrement retrouver leur liberté et vivre dignement. Leur apprendre un métier, stimuler l’esprit de l’entreprenariat peuvent changer la donne et donner ainsi un départ rassurant à ces jeunes dans le monde du travail et dans la vie active. On entend parler moins d’elles, mais il existe des bonnes volontés, des ONG et Associations en collaboration avec les services étatiques qui sont là, toujours présents pour trouver des solutions à cette jeune génération. Aidons-les à réaliser leur rêve et servir le pays. Abdoul Latif Mahamadou, promoteur de « Gatan Matassa », un centre social d’accueil, de rééducation et d’apprentissage dédié aux jeunes filles vulnérables en fait partie.
Ce mardi 19 septembre 2023, une jeune fille de 15 ans était sur le banc des coulisses de la Police Judiciaire de la ville de Tahoua. Elle est mère d’un enfant d’à peine 2 mois dont le père a disparu en parfait inconnu. Alors que nous nous entretenons avec lui, Abdoul Latif Mahamadou, promoteur de « Gatan Matassa », un centre social d’accueil, de rééducation et d’apprentissage dédié aux jeunes filles vulnérables, s’empresse. Il a déjà fait les formalités tôt le matin s’engageant ainsi à prendre en charge la victime, ainsi que l’enfant, via sa structure évidemment. Le
« bon samaritain », avait même donné à la fille de quoi s’offrir un modeste petit déjeuner, avant qu’il ne revienne l’accompagner chez ses parents jusqu’à son village, leur expliquer les faits et leur proposer de la laisser intégrer son centre. Les policiers qui ne peuvent garder en salle que des criminels et bandits, les victimes ou plaignants étant pratiquement libres de leurs mouvements, n’ont pas vue la petite jeune maman fuir, avant le retour d’humanitaire Abdoul Latif, aux environs de 11h.
Les coulisses de la Police Judiciaire de Tahoua lui sont familiers. « Bonjour, salut, ça va…», Ici et là, le gérant des
« cas sociaux » est un habitué des lieux. « Mais où est-elle », n’a-t-il cessé de demander, poliment, à tout agent que nous croisons. « Laquelle des filles ? Celle d’hier ou la fille de ce matin ? N’est-ce pas elle là-bas ? (…) », des telles réponses nous apprennent que des adolescentes « victimes de la rue », il y’en a beaucoup dont les histoires passent ici. Mais, la mère de 15 ans, abandonnée, elle, reste introuvable !
Des faits similaires semblent être récurrents, la police ne s’étonne pas d’entendre ou de voir faire le trottoir et prendre des stupéfiants avec des fillettes de 15 – 16ans, qu’elle rafle au cours des « descentes » ou des patrouilles, dans certaines rues comme dans la zone du cercle mess et autres coin et recoins à l’image des alentours de la tribune officielle. « A chaque fois qu’ils (les policiers) tombent sur des cas sociaux critiques de jeunes filles orphelines, abandonnées, victimes d’abus, ou simplement prostituée mineures, ils font appel à nous. Nous faisons une décharge avec le consentement de la fille et toutes ses références. Nous prenons contact avec ses proches ou chefs coutumiers sans l’accord desquels nous ne pouvons l’intégrer à notre centre », confie Abdoul Latif, président de l’ONG Gatan Matassa qui accueille dans ces centres des filles vulnérables.

Le foyer Gatan Matassa, érigé sur l’architecture traditionnelle d’une vielle cour familiale dans le fabuleux quartier de Wadata, accueille environ 200 adolescentes. « Nous ne pouvons pas prendre tout le monde, compte tenu de nos moyens et capacités d’accueil limités. Mais nous ne restons pas indifférents face aux cas les plus critiques tels que ceux de orphelines, des prostituées mineures, des victimes d’abus », explique le président d’une simple association devenue ONG aujourd’hui de par son rôle et son envergure. « Lorsque la fille référée a des connaissances et de l’ambition pour une activité génératrice qu’elle peut exercer, nous lui facilitons le démarrage », précise-t-il.
Des séances de cours de l’alphabétisation à ceux de quelques enseignements islamiques de base, ponctuées d’apprentissage en couture, tricotage, henné, fabrication d’encens, de savon et autres cosmétiques, et de la transformation agro-alimentaire, les jeunes filles sont tenues par une dizaine d’éducatrices et formatrices. « Quand la jeune fille démunie arrive à maitriser et exercer un métier pratique, elle pourra assurer son autonomie financière, subvenir à ses besoins en toute dignité. C’est cela notre vision. Et l’intégration du centre est gratuite », précise Abdoul Latif. Pour les prostituées mineures, leur prise en charge est faite sur mesure. Elles ne sont pas mêlées aux orphelines et déscolarisées. Elles subissent une « rééducation » suivi de formation en activité génératrice de revenue, au bout d’un mois.
Le foyer de Abdoul Latif existe et œuvre depuis 6 ans, avec aujourd’hui un deuxième au village de Founkoye, pour cette noble cause de prévenir et gérer le sort des adolescentes à Tahoua, avec un appui selon lui, limité à la bienveillance des anciennes premières dames et du Fonds des Nations Unies pour la Population ((UNFPA). L’initiative résulte de son seul précurseur. « J’ai vendu ma voiture pour payer des machines à coudre. J’ai demandé à mes parents cette maison familiale que je transforme au fur et à mesure. Les gens me croyaient fou. Mais mon intention et mon ambition d’aider les ‘’égarées’’ ou celles qui risquent de l’être, m’ont permis d’asseoir mon projet », dit-il, convaincu.
« Avec le soutien et une bonne coordination des autorités locales, on peut réduire considérablement la prostitution et de débauches des petites filles dans la région », estime le président de Gatan Matassa. Abdoul Latif Mahamadou, n’attend pas que des appuis pour ses deux centres. « Ceux qui veulent aider des anciennes prostituées à se reconvertir vers des AGR, nous pouvons les orienter avec notre registre. Pareil pour tout celui qui veut soutenir les orphelines», a-t-il lancé.
Roumanatou, la vingtaine révolue, nie toute assimilation à celles parvenues au centre Gatan Matassa de Wadata par le biais de la Police suite à une rafle dans les rues. Elle a quitté l’école après un échec aux examens du Brevet d’étude du premier cycle (BEPC). « J’ai passé quelques mois à ne rien faire que des travaux domestiques à la maison. La tentation, c’est quand on suit des mauvaises fréquentations. Dieu merci, je n’y suis pas restée longtemps pour aller jusqu’au pire. Je suis venue, de moi-même, m’inscrire au centre pour apprendre un métier », nous confie-t-elle. Cette jeune fille, arrive aujourd’hui à s’auto-suffire, grâce aux retombées de ses œuvres de tricotage et fabrication de détergent liquide et des savons.
« Cela fait un an que je suis mariée, et je continue à exercer au centre », a-t-elle ajouté. Samira, une autre jeune de 22 ans, témoigne en ces termes : « je suis de la ville de Tahoua, mais d’une famille modeste. J’ai arrêté d’aller à l’école parce que les parents n’arrivaient plus à m’assurer les frais de transport et de récréation. Je suis restée à la maison longtemps avant de me faire inscrire ».
2.500 filles de 14 à 19 ans inscrites dans 25 espaces sûrs, sous l’égide de l’Etat
Au-delà de l’action communautaire de Gatan Matassa, la direction régionale de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant prend à bras le corps la question. Dans le cadre d’un programme national intitulé « Illimin», en partenariat avec l’UNFPA, une approche appelée « Espaces sûrs » est mise en œuvre depuis 8 années aujourd’hui. Pour le compte de la région de Tahoua, lesdits espaces sont au nombre de 25 cette année, ce qui veut dire qu’environ 2.500 jeunes adolescentes sont inscrites.

Chaque espace sûr reçoit à peu près 100 adolescentes, réparties en trois groupes. Deux groupes concernent celles âgées de 14 à 15 ans et le troisième des adolescentes de 15 à 19 ans. « Cette année 2023 nous sommes au 8ème cycle. C’est-à-dire que cela fait 8 ans que le programme est en œuvre. Les adolescentes acquièrent non seulement des compétences de vie courante mais aussi des enseignements sur la santé (PF), la nutrition, etc. », explique le directeur de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant Alhassane Issa. Aussi en accord avec les communes, au sortir des « Espaces sûrs » les filles forment, en fonction de leurs filières d’apprentissage des groupements d’intérêts économiques (GIE) qui leur permettent de travailler facilement. « Le GIE seront, ensuite, appuyés par l’UNFPA avec des machines et du matériel de transformation agroalimentaire. L’autonomisation des adolescentes est une réalité », assure le régional de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant.
Dans les locaux de la direction régionale de la promotion de la femme et de la protection de l’enfant, deux groupes sont repartis dans deux salles, ce lundi 18 septembre 2023. Le premier est en pleine séance pratique de couture, sous la conduite d’une monitrice, et l’autre suit des cours. Là également des récipiendaires que nous avons pu rencontrer sont toutes des anciennes élèves.
A la différence de Roumanatou, Farida est exclue de l’école dès sa deuxième année du primaire. Elle, ne nie pas avoir fréquentées des mauvaises compagnies. « Mais par la grâce de Dieu, l’éducation que j’ai reçue de mes parents et les enseignements religieux que j’ai pu acquérir ne m’ont pas permis de les suivre », dit-elle. Farida, aujourd’hui mariée et mère de deux enfants, nourrit l’ambition de mettre sur pied dument son activité et gagner plus afin de rendre l’ascenseur à ces parents, se réaliser et aider ses proches.
« Je n’ai pas redoublé et je ne suis pas passée, de la 6ème », ces propos d’une certaine Fati ressemble à un aveu d’une exclue pour indiscipline. Mais à présent, avec un air timide dans un hijab, comme les autres filles de l’espace sûr, elle affirme que c’est après milles regrets qu’elle s’est décidée de se rattraper. « J’ai eu deux amies qui sont devenues autres choses. Elles sont tantôt dans les soirées, souvent chez des garçons », témoignent Farida.
La déscolarisation massive : un facteur déterminant de la vulnérabilité de jeunes filles
Il est vrai que les causes de la débauche chez la jeune fille ne sont pas exclusivement du simple fait de déscolarisation. Certaines sont poussées par la pauvreté, d’autres sous l’influence de mauvaises fréquentations. Mais les plus touchées sont les adolescentes déscolarisées. En effet, le phénomène prend de l’ampleur alors que les exclusions de l’école montent en flèche. Au terme de l’année académique 2022-2023, ce sont environ 29.000 élèves qui sont exclus du collège, dans la région de Tahoua, à en croire le Directeur régional de l’Education National, M. Mamane Namady, qui partageait, en début de ce mois de septembre, « l’état » de l’école aux autorités régionales. Ces chiffres témoigne si besoin est, de l’ampleur de la situation de vulnérabilité de ces dizaines de milliers de jeunes, dont presque ou la moitié sont des filles, dans une société menacée de tous les maux (insécurité, banditisme, migration, trafic de stupéfiants, dépravation de mœurs). Et malheureusement, force est de constater que beaucoup se retrouvent sur ces voies indésirables. Dans la ville de Tahoua, les initiatives ne manquent pas certes, tant de la part des autorités, à travers notamment la direction régionale de la promotion de la femme et de protection de l’enfant, qu’avec des structures communautaires telles que l’ONG locale « Gatan Matassa ». Mais au regard des chiffres de la DREN, le défi reste de taille.

La déscolarisation qui entraine, en grande partie la vulnérabilité de jeunes filles est une problématique d’actualité, reconnait le Directeur régional de la Promotion de la femme et de la Protection de l’enfant, Alhassane Issa. Depuis les états généraux de l’éducation au niveau de la région, il y’a trois ans, il ressort qu’au moins « la moitié des inscrits en premières années du collège (entrée en 6ème) et du lycée (2nde) sont renvoyés à partir de ce stade. Et parmi ces élèves, un nombre très élevé des filles », précise-t-il. Mais c’est une situation que l’Etat n’a pas perdu de vue, d’où l’initiative des « Espaces sûrs », rappelle-t-on.
Par ailleurs, il faut noter que lorsqu’une fille quitte l’école, elle est d’abord plus exposée à un mariage précoce, plus ou moins forcé : un phénomène encore d’actualité dans la région de Tahoua et qui n’épargne pas d’ailleurs les élèves filles, dans le rang desquelles 465 cas sont enregistrés courant l’année 2022-2023 dans les seuls départements de Abalak, Madaoua et Tchintabareden. L’adolescente déscolarisée, si l’on ne prend garde, court plus ce risque de tomber dans le piège des indélicats du quartier ou de la ville.
Ismaël Chékaré, ONEP-Tahoua