Le Président de la République, SE. Issoufou Mahamadou, vient de pousser un grand coup de colère à l’endroit de la communauté internationale sur son attentisme à propos de la question sécuritaire au Sahel. C’était à Paris, à l’occasion d’un forum international sur la paix. Sans langue de bois, en toute décontraction, toujours égal à lui-même, le Président Issoufou a pris tout son courage pour dire tout haut ce que beaucoup pensent tout bas. Excédé par la recrudescence de la violence et la montée en puissance des mouvements terroristes se réclamant du djihadisme dans notre espace sous/régional ces derniers temps, le Chef de l’Etat du Niger a fustigé l’attitude passive, pour ne pas dire l’inertie, de la communauté internationale qui s’atermoie encore à accompagner les
pays du G5 Sahel pour l’opérationnalisation de la Force conjointe de nos pays.
En effet, il faut rappeler que le G5 Sahel est une initiative de l’Etat du Niger suite à la réunion internationale tenue à Niamey en 2015 dans le cadre de la recherche de la paix et la sécurité dans notre espace régional. Face au terrorisme et au crime organisé transnational, la question d’intangibilité des frontières ainsi que celle de la souveraineté des Etats n’étaient plus des données géopolitiques immuables. Tous étaient convaincus que seul un cadre permanent d’intégration régionale pour atteindre une mutualisation des forces de défense était approprié dans la lutte contre ces fléaux. La création du G5 Sahel procédait donc de cette volonté de mutualiser les maigres ressources des pays membres.
Cependant, créer une force est une chose, la rendre opérationnelle en est une autre dans la pratique. Comme vous le savez, les pays composant le G5 (Burkina Faso, Mali, Mauritanie, Niger et Tchad) sont des Etats dont les économies sont faibles ; ce qui ne facilite point la mobilisation des moyens pour monter et équiper une telle force. Il fallait donc l’appui financier et matériel de la communauté internationale pour rendre effective l’opérationnalisation de cette force conjointe, et c’est-là que le bât blesse justement. Sur un budget prévisionnel de 400 millions d’euros, avec 5000 hommes, la force conjointe du G5 Sahel n’a jamais pu démarrer officiellement. Pendant ce temps, la situation sécuritaire au Sahel ne fait que se dégrader, les attaques terroristes se multipliant avec leur cortège de deuil.
C’est cette situation qui a fait sortir le Président Issoufou de ses gongs pour pointer du doigt l’inertie de la communauté internationale. Pourtant, le même Président Issoufou, visionnaire, avait mis en garde cette même communauté internationale lors de son intervention en Libye, en 2012, pour chasser le Président Kadhafi du pouvoir, en prévenant qu’il faudrait assurer le service après-vente, c’est-à-dire plus prosaïquement, qu’il fallait assurer la gestion post intervention en Libye. Cela ne fut point fait, et aujourd’hui, nous en payons le prix fort, nous autres pays voisins de la Libye. Aujourd’hui, c’est cette situation que le Président Issoufou dénonce avec toute sa franchise qu’on lui connait.
On peut d’ailleurs faire un parallèle avec la situation qui avait prévalu en Europe avant le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale, lorsque les démocraties libérales occidentales ne s’étaient pas montrées très lucides face à l’attitude belliqueuse d’un certain Adolf Hitler, et tout le monde connait la suite. Incapables de se montrer fermes face aux visées impérialistes du Nationalisme –socialisme sur la question des Sudètes et de la Pologne, les démocraties occidentales ont largement démissionné devant leurs responsabilités historiques et le Sommet de la dernière chance de Munich ne fut plus qu’une farce.
Aujourd’hui, l’histoire semble se répéter, quand l’on constate le même manque d’engagement de l’Occident dans la résolution de la question sécuritaire au Sahel, laissant les pays membres livrés à eux-mêmes. Pourquoi alors cette attitude de deux poids, deux mesures ? Pour vaincre l’Organisation de l’Etat Islamique en Syrie et en Irak, il aura fallu une grande coalition internationale comprenant toutes les grandes armées de la planète. Mais pour le Sahel, un espace tout aussi important géopolitiquement parlant, les grands de ce monde semblent trainer les pieds, on ne sait pour quelle raison. Si l’Oncle Sam semble si éloigné du continent africain, l’Europe, quant à elle, est à une brassée seulement des côtes africaines ! Alors, l’urgence est de mise maintenant, car demain, il sera peut-être trop tard.
Demain, quand des millions de migrants envahiront les côtes de l’Europe, demain quand Ben Mocktar et ses affidés seront dans les rues de Paris ou de Berlin, il sera alors trop tard de se mordre les doigts. Un proverbe du terroir enseigne qu’il est recommandé de se laver les mains avant de manger, non pas pour faire simplement plaisir à l’hygiéniste, mais surtout pour s’éviter des nausées ! Voilà ce qui attend la communauté internationale si elle persiste et signe dans son attitude attentiste actuelle. Vivement donc une prise de conscience de la part des grands décideurs de ce monde, et le Président Issoufou a bien fait de secouer le cocotier.
Par Zakari A. Coulibaly