Située à 740 km du chef-lieu de région (Agadez) et à 1611km de Niamey la capitale du pays, la Commune Urbaine de Bilma est l’une des localités les plus enclavées du pays. Malgré cet enclavement, Bilma est une entité riche de ses potentialités diverses qui n’attendent qu’à être valorisées pour profiter à ces citoyens et au pays en général. Dans cet entretien réalisé à Bilma, le maire de la Commune présente les principales potentialités, mais aussi les contraintes objectives qui freinent leur exploitation et enfin les attentes des populations de cette collectivité.
Quelle sont les caractéristiques historiques, sociales et culturelles de la commune ?
Mes sincères remerciement à l’ONEP qui a bien voulu nous offrir les colonnes de ses journaux pour que nous puissions parler de nos réalités. L’occasion est d’autant plus belle car, c’est très rarement que ce genre d’opportunité se présente. La commune urbaine de Bilma correspond pour l’essentiel au canton du même nom qui a une existence millénaire et faisant partie du grand ensemble du Kanem-Borno durant la période précoloniale. La population est fortement islamisée et c’est d’ailleurs l’une des premières régions d’Afrique Noire à embrasser l’islam et ce dès le 7ème siècle en 666.
Ainsi, le rythme de la vie sociale et les évènements marquants de la vie des hommes est marquée par la culture islamique (mariages, décès, baptême…), quoi qu’il subsiste encore des survivances de pratiques animistes notamment lors de la fête emblématique du Djoli Koura qui se rapproche du Bianou d’Agadez et qui se fête à la même période.
Le taux de scolarisation atteint les 100% et tous les villages administratifs sont pourvus d’écoles primaires et d’écoles coraniques. A Bilma, se trouvent le CES Kantana qui continue d’accueillir les élèves du secondaire de l’ensemble du département car à régime d’internat et le CEG franco arabe récemment transformé en CES. Il y’a aussi un Centre de Formation aux Métiers (CFM) et un Centre d’Enseignement Technique (CET) pour les formations professionnelles. Bilma a acquis grâce au FICOD et au PP2E, un centre socio, culturel et sportif comprenant une bibliothèque, un foyer féminin, un mini stade de football, un podium pour spectacle avec vestiaires et gradins et un bloc administratif.
La commune a aussi doté le Conseil Communal de la Jeunesse récemment mis en place d’un local lui servant de bureau. A noter que, la jeunesse est étroitement associée aux actions de développement en ce sens que dès la mise en place du Conseil des jeunes, nous avons demandé à la jeunesse de nous communiquer une dizaine de noms de jeunes afin d’être nommés collecteurs de certains impôts et taxes.
Quelles sont les potentialités économiques, touristiques de la Commune Urbaine de Bilma ?
Les principales activités socio-économiques des populations de la commune sont la production du sel et des dattes, le jardinage, l’élevage, l’artisanat, le tourisme. Bilma est connu pour son importante production de sel aussi bien pour la consommation humaine (sel gemme) que pour la consommation animale (pain de sel et Fochi). Plusieurs tonnes de sel sont extraites chaque année des bassins saumâtres de Bilma et principalement exportées vers Agadez et les régions de Zinder et Diffa (sel gemme).
Bilma doit aussi sa renommée à son rôle de carrefour dans le commerce transsaharien qui a mis en relation les pays du bassin tchadien et l’Afrique du Nord d’une part, et les oasis du Kawar et l’Ayr d’autres part. En même temps que le sel, l’alun (chapp en arabe) utilisée dans la teinture et en médecine traditionnelle était extrait en grande quantité à Bilma et était exporté jusqu’en Egypte pendant la période précoloniale.
Le commerce caravanier avec les régions du Sud (Kellé, Gouré, Tesker, N’Gourti, N’guigmi et même Borno (Yerwa) a subsisté jusqu’au début des années 1980 et s’est subitement estompée du fait de l’insécurité. Quant à l’Azalai, ce commerce caravanier annuel qui mettait en relation les oasis du Kawar en général et l’Ayr, il subsiste encore de nos jours mais, il est de moindre ampleur (moins de mille chameaux en 2023, alors qu’on comptait dans un passé récent plus de 20 000 chameaux). Ce commerce est basé sur le troc entre les produits du Kawar essentiellement du sel et des dattes contre des céréales, de l’oignon, des animaux sur pied, des tissus, de la viande boucanée, etc.
L’autre potentialité économique de la commune de Bilma est la phoeniciculture ou la culture du palmier, plante qui joue un rôle très important dans la vie des citoyens de la commune qui dispose de plus de deux cent mille pieds. Au-delà du fruit, tout est bon dans le palmier : palmes et tronc pour la toiture des maisons, combustible, haie morte pour clôturer les jardins ou fixer les dunes, construction de cases paillotes, aliment bétail (noyau et palmes) etc.
Un autre atout économique est le jardinage autour des sites maraichers traditionnels arrosés par des sources (Timero, Tchololo, Tchiintchié, Popow, Kemindar) et la mare artificielle d’Aboubou selon un système d’irrigation artisanal bien règlementé. A ces sites traditionnels, s’ajoutent les aménagements modernes dont deux réalisés dans le cadre du projet PADEK financé par l’AFD et mis en œuvre concomitamment par la HACP et l’OIM et un autre pour les groupements féminins réalisé dans le cadre du projet RECOSOC mis en œuvre par un consortium d’ONG (CARE, Oxfam, Hed Tamat, Alert international) avec système d’arrosage moderne grâce à un réseau californien.
Bien que le climat ne s’y prête guère, il se développe dans la commune un élevage intensif de case tandis que les franges nomades de la commune (Agueur et Zoo Baba) sont des zones d’élevage par excellence. Aussi, avec l’appui des partenaires des kits caprins et ovins ont été mis à disposition et même l’aviculture a été initiée dans la commune.
De par sa situation géographique, Bilma, située en plein cœur du Sahara et sa végétation luxuriante offre une image pittoresque pour celui qui la découvre pour la première fois, surtout après avoir parcouru des centaines de kilomètres dans une mer de sable sans rencontrer la moindre végétation. Les sources d’eau à profusion, la palmeraie, le phare, les salines, les dunes de sables, les bâtisses coloniales, l’ancien fort, la butte aux cranes sont autant de sites touristiques qui pourront émerveiller les potentiels touristes. Dans un passé récent, Bilma était une destination touristique apprécié surtout des occidentaux, phénomène qui s’est estompé au début des années 1990 avec l’insécurité née des mouvements de rébellion. Aujourd’hui, nous encourageons le tourisme intérieur pour amener surtout les jeunes à découvrir Bilma. D’ailleurs, la récente visite du Gouverneur de la région à la tête d’une forte délégation par voie terrestre a permis à beaucoup de responsables régionaux de faire du tourisme en marge des activités de leurs charges.
Monsieur le maire, quelles sont les principales préoccupations de la population de la Commune Urbaine de Bilma ?
La principale préoccupation des populations de Bilma est que leur produit phare, le sel soit acheté à un prix bénéfique car, à Bilma, comme j’ai l’habitude de le dire, quand le sel va, tout va. Aussi un plaidoyer fort est en train d’être fait pour que les sociétés uranifères puissent enlever au moins une partie du sel gemme pour le traitement du minerais d’uranium, au lieu d’utiliser du sel importé. Surtout qu’en ces temps de résilience où on doit compter sur nos propres forces, Bilma peut être la solution pour approvisionner en sel non seulement toutes les cantines scolaires du pays mais aussi les casernes militaires.
L’autre préoccupation est l’absence de réseau, comme vous avez eu à le constater lors de votre récent passage. Pour une ville comme Bilma, de surcroit chef-lieu de département, être coupé du monde au 21ème siècle est vraiment impensable. Pourtant, c’est le lot quotidien de nos concitoyens depuis bientôt deux mois. Aucun des trois opérateurs de téléphonie mobile (Airtel, Zamani rétabli depuis le vendredi 1er mars 2024, suite à un reportage de l’ONEP-, Moov) présents dans la localité n’est opérationnel. Sans perdre de vue que internet est quasiment inexistant avec une connexion 2G intermittente même lorsque le réseau était fonctionnel. C’est dire qu’à l’énormité des distances qui nous séparent du chef-lieu de région, est venue se greffer la fracture numérique, isolant davantage nos concitoyens.
Bien sûr, on ne saurait passer sous silence l’extrême cherté de l’essence et du gaz qui sont respectivement vendus au-delà de 1 000 F CFA le litre et 10 000 FCFA la bouteille de 12 Kg. D’où la nécessité de la mise en place d’un stock tampon, ou pourquoi pas, un dépôt spécial de la sonidep pour soulager les utilisateurs.
Propos recueillis par Ali Maman ONEP/Agadez