Son nom fait échos et suscite la curiosité non seulement chez les touristes et les journalistes mais aussi auprès des admirateurs de la nature et des emblématiques monuments historiques de l’humanité. Sous une température qui oscille entre 25 et 35°c et un ciel vif en cette journée d’automne du 28 août 2024, le temps est favorable pour les visites, comme l’illustre la forte affluence des milliers de personnes sur le site de Juyongguan, à quelques encablures au nord de Pékin. Se rendre sur les lieux au paysage radieux et à l’architecture millénaire, au cœur d’une forêt montagneuse, c’est, pour le moins que l’on puisse dire, remonter le temps, notamment celui de l’histoire des guerriers de l’Empire du Milieu d’hier et héros de la République Populaire de Chine d’aujourd’hui.
A l’initiative du Centre international de presse et de communication de la Chine (CIPCC) qui nous accueille dans le cadre de la deuxième phase de son programme 2024, avec une centaine de confrères dont 24 journalistes issus des pays africains, nous sommes transportés sur le site, à une soixantaine de km au nord du centre-ville de Beijing (Pékin).
Les espaces au pied des montagnes que longe l’impressionnant mur (La Grande muraille de Chine), sont parés des parkings, boutiques d’objets d’arts et des restaurants. Vers les escaliers de l’une des deux portes du site, dans une cave pariétale se trouvent le temple et le mémorial de Ciuanyu, une des figures légendaires et symboles militaires. Là-haut, juste avant les premiers escaliers de la muraille, des canons de l’artillerie militaire d’antan plantent le décor autour d’une gravure d’un extrait de poésie du président Mao Tse Dong qui invite à gravir la muraille pour mesurer la détermination avec laquelle les héros se sont battus corps et âme pour que la Chine demeure, soit et prospère.
Mais avant de prendre les hauteurs, du haut de la tour d’entrée, les visiteurs s’attardent à immortaliser les premiers instants de leurs voyages à travers le temps. Entre les murs hauts de 6 à 7 mètres, des tranchées, des bâtiments monolithiques et des installations monumentales connexes, faits de rigides briques vraisemblablement en pierre, une vue magnifique s’offre sur la ligne de la muraille qui arpente, tel un serpent géant, les montagnes boisées qui se chevauchent. Qui avec leurs smartphones, d’autres munis d’appareils photos professionnels ou non, chacun faits ses images comme bon lui semble avec des amis et connaissances ou de parfaits inconnus.
« Marcher au bout de la Muraille, ici, c’est rendre hommage aux héros », nous explique un interprète à propos de la gravure citant le président Mao. Mais aller au bout de la Muraille de Juyongguan ne signifie pas parcourir la Grande Muraille en tant que telle car, il ne s’agit que d’une section symbolique du gigantesque mur long, selon l’encyclopédie chinoise Baidu, de plus 21.000 km, traversant 15 provinces (Hebei, Beijing, Tianjin, Shanxi, Shaanxi, Gansu, Mongolie intérieure, Heilongjiang, Jilin, Liaoning, Shandong, Henan, Qinghai, Ningxia, Xinjiang). C’est un rempart de forteresses, dont le plus bas niveau est à plus de 100 mètres au dessus du niveau de mer. La Grande Muraille a été construite durant les règnes des Qin, Yan, Zhao, Han et Ming pour se défendre contre les agresseurs et envahisseurs. Elle a été édifiée à la frontière nord du pays en continu du IIIe siècle avant J.-C. au XVIIe siècle après J.-C. Plus grand ouvrage de génie militaire du monde, d’importance historique et stratégique, la Grande Muraille est également une fascinante œuvre architecturale. Les anciens canons exposés sur le bâtiment sont des éléments phares de cette histoire. Un de ces modèles millénaires était connu sous le nom de « Mighty General ». « Il dispose de viseurs avant et arrière et a une portée de plus de 500 mètres. La fabrication et l’utilisation des canons prospérèrent dans la dynastie Ming, qui avait un bureau d’artillerie chargé de leur conception et de leur fabrication. L’empereur Chengzu a ordonné l’installation de canons le long de la Grande Muraille pour défendre le pays contre les envahisseurs », peut-on lire sur une gravure à côté des canons.
Une merveille touristique mondiale qui vaut l’escalade
La muraille forme une boucle à Juyongguan. À l’instar de la plupart des excursionnistes du jour, nous escaladons l’aile ouest pour joindre ultimement la 12ème forteresse, la plus élevée et aussi lointaine que nous ne l’apercevons pas au départ. La pente est raide et les escaliers montent graduellement au fur et à mesure. Au niveau de chaque forteresse, distante l’une de l’autre d’environ 50 à 100 mètres, au moins un restaurant, une boutique et des sanitaires sont annexés pour permettre de reprendre un peu son souffle en se rafraîchissant surtout ou se soulageant. Toutefois, il est consigné sur une affiche en gravure que « si vous avez des antécédents de maladies cardiovasculaires et ou cérébro-vasculaires, veuillez tenir compte de votre condition physique et de vos capacités lorsque vous escaladez la Grande Muraille ».
Ce faisant, à bout d’énergie ou de souffle, beaucoup s’arrêtent à mi-parcours et y redescendent. Rare sont ceux et celles qui franchissent la 7ème forteresse. Et très peu continuent après la 10ème étape, craignant bien sûr que la descente ne sera pas autant voire plus épuisante. Outre l’incitation au challenge tirée des poésies du président Mao Tse Dong, plus on avance mieux on mesure l’ampleur du chef d’œuvre, d’ailleurs classé patrimoine de l’humanité par l’UNESCO depuis 1987, étant non seulement le plus magnifique projet de défense militaire de la Chine ancienne mais aussi l’une des « huit merveilles du monde ».
Au bout de plus d’une heure et trente minutes de marche d’escalade d’environ 2km, à la 12ème forteresse, nous y sommes. De là, l’aventure trouve tout son intérêt. Plus besoin de jumelles de visualisation installées au niveau des étapes précédentes pour contempler le paysage de splendeur nature qui entoure les plateformes du site dans leur caractéristique architecturale unique, ainsi que d’autres bâtiments historiques à l’intérieur de la boucle de la muraille. L’on peut apercevoir aussi en miniature la ville de Pékin.
Aujourd’hui, la Grande Muraille est une attraction touristique de renommée mondiale. Beaucoup de visiteurs du monde entier aiment longer ses forteresses. Selon les guides touristiques, les trois sections les plus populaires sont le col de Juyongguan, celui de Shanhai, et la Grande Muraille de Badaling. La Grande Muraille de Juyongguan est une section majeure de la Grande Muraille. Dans les temps anciens, elle était considérée comme l’une des défenses les plus impénétrables de la Chine en raison de son terrain hostile.
Cette section était aussi hautement stratégique car, elle était un bastion solide encerclant une vallée qui était l’accès direct du nord de Pékin dans le passé. À l’intérieur de la Grande Muraille se trouve également une structure datant de la dynastie Yuan et connue sous le nom de Cloud HOW Platform, qui était autrefois la base de trois tours dagoba. La plate-forme Cloud est un chef-d’œuvre exquis des arts de la sculpture de l’ère Yuan.
En 1961, « la plate-forme de nuages » de la Grande Muraille de Juyongguan a été nommée l’un des principaux sites du patrimoine national de la Chine. En 1987, le Comité du patrimoine mondial de l’UNESCO a déclaré la Grande Muraille site du patrimoine mondial. En 2001, l’Administration nationale du tourisme a désigné la Grande Muraille de Juyongguan comme une « attraction AAAA ». La Grande Muraille, à travers ses différentes sections, accueille chaque année entre 15 millions et 16 millions de visiteurs.
Les visiteurs témoignent de leurs impressions
« C’est magnifique, c’est extraordinaire, c’est de la magie », s’exclame une algérienne du haut de la cinquantaine. Professeure en biologie dans une université du sud de l’Algérie, Mme Mouna Méhani confie avoir longtemps rêvé visiter la Grande Muraille. En compagnie d’une jeune fille, elle prenait une bouffée d’oxygène juste avant la dernière étape de l’escalade. C’est l’une des rares femmes, de surcroît de son âge, à y parvenir.
« Je ne suis pas venue dans le cadre des études ou de recherches. Je suis là pour faire du tourisme. Et en tant que biologiste, j’aime la nature et ses merveilles. C’est pour cela que j’ai pris la destination de cette aventure. Il nous a fallu beaucoup de courage pour marcher jusque-là. Les femmes algériennes nous sommes courageuses », clame Pr Mouna Méhani.
« La Grande Muraille, c’est actuellement l’une des plus belles merveilles de ce monde. Marcher ici, c’est une grande satisfaction pour moi », estime Fernando, un touriste italien. Ce natif et habitant de Rome visite la Grande Muraille de la Chine pour la toute première fois. « C’est très épuisant de marcher jusqu’ici, mais ça vaut la peine. Je suis ébloui de ce je vois », affirme le touriste italien.
« C’est incroyable ce que je vois. J’ai toujours voulu visiter la Chine pour venir ici un jour et là je suis remplie de joie. Cette Grande Muraille nous la connaissons dans les photos, dans les films mais vivre l’expérience, c’est incroyable, c’est beaucoup plus impressionnant », exulte Avara, étudiante mexicaine dans la vingtaine. « J’étudie la langue chinoise dans une université de mon pays. Je découvre la culture et l’histoire de la Chine », ajoute l’étudiante. « C’est grandiose ! C’est vrai, j’en ai entendu beaucoup parler. Mais, pour certains aspects, il faut voir pour y croire », poursuit la jeune femme. « Je me demande comment ces gens ont pu, plus de 2000 ans avant nous, concevoir et réaliser tout cela ! C’est de l’ingéniosité, de la clairvoyance et de la détermination », estime l’étudiante.
Les bâtisseurs de la Grande Muraille
Pour beaucoup, quand on évoque la Grande Muraille de Chine, on associe, tout naturellement, le nom de Qin Shihuang, premier Empereur de Chine et fondateur de la dynastie Qin (221–207 avant J.C.) qui en commença la construction. Néanmoins, il faut noter qu’avant lui, les royaumes chinois érigeaient des murs de terre à leurs frontières. Après son règne, la Grande Muraille va connaître de nombreuses modifications au cours des dynasties qui vont se succéder et sous l’impulsion de différentes autorités mais, aussi, grâce à une main d’œuvre impressionnante composée de millions d’ouvriers et d’artisans.
Après l’unification de la Chine, au début de la dynastie Qin, le premier empereur devenu célèbre pour son armée, raccorde entre eux, les murs déjà existants, hérités des trois états du nord (Qin, Zhao, et Yan). Réalisé sous la dynastie Qin, cet ensemble devient alors, la première Grande Muraille, longue de 5.000 km et plus connue sous l’appellation de «Wan-Li Changcheng» ou Grande Muraille de 10 milles li (li désignant l’unité de longueur ancienne correspondante à un demi kilomètre).
La Grande Muraille a été, par la suite, agrandie voire reconstruite, à certains endroits sous le règne d’au moins six dynasties, et finalement restaurée par le gouvernement chinois pour devenir le célèbre chef d’œuvre touristique tel que nous le connaissons aujourd’hui. Et la longueur totale de la Grande Muraille est construite sur une période de plus de 2000 ans. Bien que le nombre exact d’ouvriers ayant contribué à ce chantier gigantesque demeure, toujours, inconnu, il doit vraisemblablement, se chiffrer en millions.
Si on se réfère par exemple à l’ouvrage “Mémoires Historiques”, 300 000 soldats furent envoyés pour bâtir la Grande Muraille sous la dynastie Qin, sur une durée totale de neuf ans. Après une étude de cinq ans, on connaît enfin la longueur totale de la Grande Muraille. Le 5 juin 2012, en effet, l’Administration Nationale du Patrimoine Culturel annonce que la Grande Muraille mesure officiellement 21.196,18 km.
La Grande Muraille symbolise ainsi la clairvoyance, la persévérance et le courage du peuple chinois. Elle rappelle également les nombreux sacrifices, le dévouement de millions d’ouvriers qui ont construit cet imposant chef d’œuvre architectural. Considérée comme un des fleurons de la Chine, la Grande Muraille révèle, non seulement, une culture chinoise de fierté nationale, de grands projets et de résistance à toute épreuve, mais également, une histoire émaillée de nombreuses légendes et de mythes passionnants.
Par Ismaël Chékaré (ONEP), à Pékin