Tout d’abord, qui est Abdou Djibo ?
Je suis un ancien cycliste Nigérien, et je suis né vers 1957 à Talladjé Ko-bontafa. Mais je suis du quartier Saga de Niamey. Nos parents possèdent des champs dans toute cette zone et chaque année, ils quittaient Saga pour aller cultiver leurs champs. Au fil du temps, ils ont fini par s’installer là-bas.
Comment êtes-vous arrivés au cyclisme, je vais parler de vos premiers pas dans la ‘’petite reine’’ ?
Je me souviens bien qu’à l’époque, nous avions des vélos ordinaires sur lesquels nous faisions des compétitions entre amis. Et à chaque compétition, je terminais premier. La seule fois où j’ai fini deuxième de la compétition, c’était à cause d’un problème technique, car la chaine de mon vélo n’arrêtait pas de sortir, me provoquant ainsi de nombreux arrêts. C’est ainsi qu’un jour, à l’issue d’une de nos compétitions, un ressortissant européen du nom de Brandao m’a remarqué parmi les meilleurs coureurs et m’a offert un vrai vélo de course. Et j’ai été ainsi sélectionné pour courir avec les grands cyclistes nigériens de l’époque. Il s’agit de Abass Ousmane, Garba Madé dit « Madja », Sido Noufou, Souley Sanda, Younoussa Sabo, etc. Ils étaient nombreux à l’époque. J’ai donc commencé à m’entraîner avec ces grands coureurs. Moins d’un an après ma sélection, j’ai commencé à m’imposer devant ces grandes figures du cyclisme en les battant dans les compétitions.
Il y avait combien de clubs cyclistes à Niamey à cette époque ?
Il y avait beaucoup de clubs, comme ceux de la SNTN, de Dragages, de Sharps CFAO, et de Brandao. A l’intérieur du pays, il y avait également des clubs, notamment, à Arlit, Dosso, Zinder, et Maradi. A Tahoua également, il y avait des coureurs, mais ils n’étaient pas aussi actifs que les premiers cités qui eux participaient à toutes les compétitions organisées par la Fédération Nigérienne de cyclisme.
Quelles étaient les compétitions que la Fédération organisait à l’époque ?
Il y avait chaque année l’organisation du Tour du Niger portant sur des distances comme Arlit-Niamey ; Nguigmi-Niamey ; Zinder –Niamey ; ou Tahoua-Niamey. En plus de cela, il y avait le championnat national organisé annuellement pendant trois journées de compétition. Et tous ces calendriers étaient scrupuleusement respectés.
Quelles sont les compétitions auxquelles vous avez pris part à l’étranger ?
J’ai participé à de nombreuses compétitions à l’extérieur. Je ne peux certainement pas vous les énumérées toutes, mais retenez que j’ai fait la plupart des éditions du Tour du Café de Côte d’ivoire, plusieurs fois le Tour de l’arachide au Sénégal, quatre fois le Tour du Cameroun, de nombreuses fois le Tour du Faso, le Tour de la Mauritanie, et presque toutes les éditions des Tours du Togo, du Bénin et du Mali. Je crois que depuis que j’ai commencé à pédaler au sein de l’équipe nationale, je n’ai manqué qu’un seul Tour du Café. Notre équipe est généralement composée de coureurs qui sont en forme au moment de la compétition.
Je me retrouvais généralement en compagnie de Sido Nouhou, Abass Ousmane, Garba Madé dit « Maguia », Souley Sanda, Djibo Adamou, Adamou Maibero ou Madougou. Je disais que je n’ai manqué qu’une seule compétition, le Tour du café. Et je vais vous dire pourquoi j’ai refusé de me rendre à Abidjan. Notre mise au vert pour cette compétition était de quinze jours seulement. Or, la distance que nous devons parcourir sur le Tour du café était de plus de 1000 kilomètres. Il était donc évident que pendant ce laps de temps de préparation, nous ne pouvions pas couvrir la moitié des 1000 kilomètres.
Cela veut dire que notre préparation est insuffisante pour prétendre aller rivaliser avec des grands coureurs qui se sont très bien préparés en connaissance de cause. J’ai donc décidé de ne pas participer. Mais cela n’avait pas plu aux membres de la Fédération et au ministère de tutelle. On m’a raconté qu’à l’arrivée de la délégation nigérienne à l’aéroport Felix Houphouët Boigny d’Abidjan, les Ivoiriens ont demandé si j’étais là. Il leur a été dit que je n’ai pas fait le déplacement. « Djibo n’est pas venu ? Là, C’est la fête ! », avaient clamé les Ivoiriens. Et effectivement ce fut la fête parce qu’ils ont tout gagné en mon absence.
A l’occasion d’une édition du Tour du Café, vous avez été victime d’une chute spectaculaire dans la lagune de Bouaflé. Pouvez-vous nous raconter ce qui s’est passé ?
Le jour-là, il y avait un point chaud en jeu à l’entrée du pont de Bouaflé. Et comme vous le savez, un point chaud en cyclisme vous rapporte 15 points si vous êtes premier, 10 points si vous êtes deuxième et 5 points si vous occupez la troisième place. Et tous ces points vont compter dans le décompte final de la course. Donc quand on avait pris ce point chaud, le coureur qui était devant moi est tombé sur le pont. N’ayant pas pu l’esquiver, le choc m’a propulsé avec mon vélo au-dessus du pont pour finir dans les profondeurs de la lagune. Ma chance, est que pendant ce vol au-dessus du pont, mes pieds se sont détachés des pédales de mon vélo, me libérant ainsi avant la plongée dans la lagune. J’ai donc atteint le fond de la lagune et c’est en ce moment que je me suis mis à m’agiter pour remonter jusqu’à la surface. Pendant que les organisateurs étaient agglutinés au niveau du pont guettant ma remontée, je suis apparu plusieurs mètres plus loin.
Le médecin du Tour a tout de suite accouru vers moi pour me dire que je ne pourrais plus continuer la course pour cette étape. Je lui ai répondu que je ne suis pas blessé et je suis en mesure de pédaler. Il refusa net. Alors, pendant qu’il était en conciliabule avec le directeur du Tour et d’autres organisateurs, j’ai enfourché mon vélo de secours pour reprendre la route. Pendant de longues minutes, je pédalais seul, mais avec la ferme détermination de rejoindre le peloton. En accélérant avec acharnement, j’aperçu le dernier coureur que je dépasse aussitôt. Puis un autre coureur, et tout le peloton stupéfait de me revoir encore dans la course. Ce jour-là j’ai terminé 5ème sur 72 coureurs. Et à l’issue du Tour, le Niger s’est classé 2ème au classement général.
Depuis cet accident, les Ivoiriens considèrent que je suis un ‘’diable’’, car personne n’était jamais ressorti vivant de cette lagune, et surtout pas à l’endroit précis où j’ai plongé avec mon vélo. D’ailleurs, on m’a dit que c’est là où tous les vendredis, des offrandes sont faits à des divinités. Et jusqu’à la date d’aujourd’hui, des statuettes à mon effigie sont faites par les populations qui fréquentent cette lagune. Je suis érigé au rang de génie de la lagune, m’a-t-on dit.
Vous êtes connu pour être un grand champion en cyclisme. Est-ce que vous pouvez nous donner une idée de votre palmarès ?
Au plan national, je ne connais plus le nombre de compétitions que j’ai remportées. Je sais tout simplement qu’elles sont très nombreuses. A l’occasion d’une compétition de la zone 3 que le Niger a accueilli, j’ai pris la première place. Et je me souviens que ce jour-là, je me suis détaché du peloton depuis Tessaoua. Et lorsque je suis arrivé à l’étape de Maradi, j’ai dû attendre 5 minutes avant que le 2ème de la course, le burkinabè Ilboudo Sana, ne franchisse la ligne d’arrivée. J’ai également été une fois champion du Tour du Café en Côte d’Ivoire. Pendant toute ma carrière, j’ai remporté plusieurs fois le titre de vice-champion sur de nombreux Tours à l’étranger.
C’était quoi le secret du grand champion que vous étiez ?
Je pense que mon seul secret, était la régularité dans les entrainements. En fait, en dehors des entrainements du club ou de l’équipe nationale, j’ai mes propres séances d’entrainement. A l’époque, je travaillais à la PERISSAC-Niger, et j’habitais au quartier Aéroport. Le soir, je me réveillais à 2 heures du matin et me rendais sur mon vélo au quartier Liberté pour réveiller mes deux coéquipiers qui sont Sido Nouhou et Abass Ousmane. Ensuite, nous allions à trois vers la Présidence sur un circuit éclairé pour faire un critérium. Nous choisissons les routes éclairées, de la Présidence, puis nous passons vers le rond-point du Palais de Justice, et nous remontons jusqu’au quartier Yantala bas.
Et nous répétons cet exercice jusqu’aux environs de 6 heures du matin, trois fois par semaine. En plus de cela, j’ai moi-même mes entrainements personnels. Le matin, je vais à la PERISSAC sur mon vélo. A la descente de midi, j’enfourche mon vélo et je prends la route de Dosso. Je fais demi-tour à partir du point kilométrique 40 qui est au village de Ko-Koirey et je reviens chez moi à l’aéroport. Après avoir pris mon déjeuner, je me repose un peu, et je reprends la route de la PERISSAC à 15 heures.
A la descente de 18 heures, j’enfile ma tenue de sport et monte sur mon vélo, avec pour destination Guesselbodi à 30 kilomètres de Niamey. De retour de Guesselbodi, je me lave, je dîne, et je vais au lit. Je ne sors pratiquement pas de chez moi. Le lendemain, je reprends le même rituel. Et quand je prépare une grande compétition, j’augmente sur les distances. Nous avons aussi les entrainements de l’équipe nationale, tous les samedis et dimanches matin, et tous les mardis et jeudis soir. Avec ce rythme d’entrainement, j’ai toujours abordé les compétitions sans difficultés jusqu’en 1998 où j’ai décidé de mettre fin à ma carrière.
Aussitôt après votre retrait du milieu du cyclisme nigérien, cette discipline a périclité. Quelles en étaient selon vous les raisons de cette léthargie ?
Je pense que les cyclistes de ma génération, et ceux qui sont venus après nous, nous n’avons pas la même mentalité. Moi, lorsque je courais, je ne le faisais pas pour de l’argent. Mais je le faisais pour hisser mon pays au rang des grandes nations. Si tu me bats dans une compétition aujourd’hui, ne va surtout pas croire que tu peux dormir sur tes lauriers. Non, parce qu’à la prochaine rencontre, je te démontrerai que tu n’es pas le plus fort. Je ne sais pas si nos jeunes d’aujourd’hui ont cette mentalité qui doit les pousser à relever les grands défis au nom de la Nation. Pour réaliser de grands succès dans le sport, il faut d’abord avoir l’amour de son pays, il faut être jaloux de l’image de son pays et tacher de l’honorer, avec la rage de vaincre au cœur. C’est pourquoi jusqu’à la fin de ma carrière, je n’ai jamais fait un abandon au cours d’une compétition.
Vous avez remporté de grandes victoires à l’international pour le Niger. Est-ce que la Nation vous a honoré comme vous, vous l’aviez honorée ?
Jusqu’à la date d’aujourd’hui, je n’ai reçu aucun acte officiel de reconnaissance des sacrifices que j’ai fait pour mon pays en matière de cyclisme.
NDLR : Cette interview, qui a été publiée dans les colonnes du ‘’Sahel Dimanche’’ du 11 Août 2017, trouve toute sa pertinence au regard du contexte du moment.
Réalisée par Oumarou Moussa(onep)