
Une séquence de la Finale 2025 apposant Abba Ibrahim de Niamey (à gauche) à Issaka Issaka de Dosso
La lutte traditionnelle, communément appelée «Kokowa», est bien plus qu’un simple sport ou une compétition au Niger. Elle incarne un patrimoine culturel vivant, ancré dans les traditions ancestrales des différentes régions du Niger. Si, pour beaucoup, la lutte évoque principalement le combat physique, il est important de souligner que cette pratique va bien au-delà du simple affrontement dans l’arène. Elle rassemble des éléments artistiques, musicaux et comiques qui enrichissent et donnent tout son sens à cette
Au cœur de la lutte traditionnelle, se trouve le «Goundouwa», le tam-tam mythique des lutteurs, véritable symbole spirituel et culturel. Un autre aspect incontournable de la lutte traditionnelle est l’intervention des « Tchalis -Tchalis », les bouffons des arènes, qui ont pour mission de divertir le public en parodiant les chutes des lutteurs avec des gestes comiques et des mimiques exagérées. Ces artistes, véritables maîtres de l’humour, détendent l’atmosphère et apportent une dimension festive aux compétitions.
Amadou Abdoulaye dit Sagalo : le gardien de la tradition
Le catalyseur des joutes au sein de l’arène et véritable faiseur d’ambiance au cœur de la lutte traditionnelle nigérienne n’est autre qu’Amadou Abdoulaye dit Sagalo. Originaire de Kakou, dans la commune rurale de Tsarnaoua, dans le département de Birni N’Konni, il incarne aujourd’hui l’âme vivante de la lutte traditionnelle au Niger. Ce titre prestigieux, qu’il considère comme un don divin, fait de lui bien plus qu’un maître de cérémonie. Sagalo est le cœur battant des arènes. C’est le tambour guerrier. Les chansons à la gloire des rois des arènes que joue son équipe, rythment les combats et galvanisent les lutteurs, insufflant force, courage, et détermination aux compétiteurs. Même les spectateurs sont envoûtés par la mélodie langoureuse et quasi-mystique de la troupe du grand Sagalo.

Dans la culture nigérienne, le Sagalo est le maitre de cérémonie pendant la lutte traditionnelle. Il est une sorte de commandant en chef de tous les griots qui officient au sein de l’arène. C’est un pilier incontournable de la lutte. Sans Sagalo, il n’y a point de lutte. D’ailleurs, il est inconcevable au Niger d’organiser un tournoi de lutte traditionnelle sans faire appel à lui. C’est lui qui donne sens et valeur à la lutte. Sa mission dépasse la simple animation, il est celui qui galvanise les arènes par des chants élogieux et des rythmes exécutés avec le Goundouwa. « Ces chants traditionnels ont une force presque mystique ; que tu sois lutteur ou non, le son du Goundouwa entre dans ta chair. Nos instruments réveillent une énergie galvanisante qui transcende, insufflant détermination et témérité aux lutteurs », déclare Amadou Abdoulaye dit Sagalo.
Pour devenir Sagalo, puisque c’est désormais un titre national, Amadou Abdoulaye a dû passer par une sélection rigoureuse organisée à l’échelle du pays. Une compétition qui a vu la participation de 16 candidats à Tahoua, où il s’est distingué comme le meilleur parmi les sept finalistes. Ce sacre, obtenu après le décès de l’ancien Sagalo, marque une continuité dans une tradition profondément enracinée dans le pays. Amadou Abdoulaye précise qu’il n’est pas le fils du défunt Mahaman Sagalo, mais qu’il a hérité de la passion du chant de son propre père. « Devenir Sagalo a été un coup du destin pour moi. Je n’avais jamais imaginé chanter dans une arène, mais Dieu en a décidé autrement », confie-t-il.
Le Sagalo Amadou Abdoulaye et son équipe de quatorze membres, comprenant griots, batteurs de tam-tam et chanteurs, sont les gardiens d’une tradition vivante. Parlant de l’importance du « Goundouwa », cet instrument emblématique de la lutte nigérienne, il explique que quelle que soit la force d’un lutteur, s’il n’est pas en harmonie avec le « Goundouwa », il ne peut jamais bien lutter. « Cet instrument glorifie, donne du courage et une énergie incomparable et incommensurable aux lutteurs. Sans Goundouwa, la lutte n’est plus la lutte » ajoute-t-il.
Amadou Abdoulaye salue l’organisation des compétitions du Sabre National dont la 45ème édition s’est tenue à Dosso en début d’année. Il se félicite également de l’évolution des traditions au Niger, soulignant que le respect des coutumes nigériennes transcende les frontières et inspire même les pays voisins. En tant que Sagalo, il est respecté et honoré, ce qu’il considère comme une bénédiction divine. « Tout le monde me salue et me respecte, peu importe leur âge. Grâce à cette tradition, je suis connu et respecté de tous », se réjouit-il.
Selon les dires d’Amadou Abdoulaye, être Sagalo n’est pas une fonction qu’on hérite, mais un honneur qui se mérite. Son engagement à perpétuer cette tradition fait de lui non seulement un artiste, mais aussi un gardien de l’identité culturelle nigérienne. Avec ses chants enflammés, il transforme l’arène en un lieu où tradition et compétition se mêlent dans une symphonie unique, célébrant l’unité du Niger et ses valeurs de courage et de résilience.
Le Goundoua : un instrument mythique dans la lutte
Pour Issoufou Kodo, journaliste, spécialiste de la lutte traditionnelle nigérienne, le Goundouwa est un élément incontournable de la lutte traditionnelle nigérienne, car il continue de fasciner par son rôle unique dans cet art ancestral. Il ajoute que dans la lutte traditionnelle, il n’y a que le Goundouwa qui possède ce pouvoir. Bien que la région de l’Arewa dispose d’une flûte particulière à la tonalité unique, aucune autre musique ou instrument ne rivalise avec le « Goundouwa » dans le contexte de la lutte traditionnelle. « Avez-vous vu jouer le Goundouwa ailleurs que dans la lutte ? », a-t-il interrogé, soulignant ainsi son lien spécifique et intime avec cet univers des combats de lutte.

Ce spécialiste estime que sans le Goundouwa, on ne peut même pas envisager la pratique de ce sport. Le Goundouwa, ajoute-t-il, agit comme un stimulateur, un instrument qui galvanise les lutteurs. « Lorsque les combattants tombent dans une passivité ou restent immobiles, le joueur de Goundouwa entre en action en interprétant une mélodie spécifique destinée à réveiller leur énergie. Cette musique ciblée inspire un redoublement de courage et incite le lutteur à retrouver sa force et sa concentration. Le Goundouwa donne aux lutteurs une préparation psychophysique », explique l’expert Kodo.
En effet, cet instrument joue un rôle essentiel dans l’équilibre émotionnel et la préparation mentale des combattants. Il agit comme une voix qui parle directement à leur âme, renforçant leur détermination et leur résolution à triompher dans l’arène. Dans la culture nigérienne, la mélodie du Goundouwa accompagne chaque instant du combat, transformant l’arène en un espace vibrant d’énergie et de compétition. Comme le souligne Issoufou Kodo, le Goundouwa est un élément essentiel, sans lequel l’âme de la lutte perdrait une partie de son essence. Ce tam-tam mythique continue d’être un véritable héritage culturel, témoignant de la richesse et de la profondeur de la tradition nigérienne.
Les «Tchalis-Tchalis», ces stars incontournables des arènes
Dans le monde fascinant de la lutte traditionnelle au Niger, les «Tchalis-Tchalis» occupent une place unique. Ces bouffons des arènes, véritables ambassadeurs de l’humour et de la bonne humeur, sont bien plus que de simples animateurs. Ils sont le cœur battant de l’ambiance dans les arènes. La 45è édition de la lutte traditionnelle a réuni une quarantaine de «Tchalis-Tchalis» venus de toutes les régions du Niger, ce qui démontre la valeur du métier. À chaque nouvelle édition, le trio fabuleux, surnommé «les Trois Jumeaux», se démarque par leur originalité et leur énergie contagieuse. Lors des différentes compétitions de lutte, ces artistes illuminent les arènes et leur présence devient de plus en plus incontournable, et le public attend avec impatience leurs prestations à chaque édition.

Les Trois Jumeaux ne sont pas liés par le sang, mais par une passion commune et une complicité forgée au fil des éditions du Sabre National. Composé de Dan Allo Jam’iyya Jilka de Tahoua, et de deux artistes de Zinder, Zoul Deyni et Issa Bitique, ce trio s’est formé lors de la 40è édition du Sabre National à Tillaberi. Cinq ans de relations ; et depuis, ils ne se quittent plus, formant un groupe indissociable. Leur surnom, «les Trois Jumeaux», illustre leur proximité et leur parfaite coordination dans les prestations de danse cadencée.
Les Trois Jumeaux se distinguent par leur capacité à apaiser les tensions dans les arènes. Alors que la compétition peut parfois augmenter les rivalités, leur humour et leurs spectacles comiques apportent la joie et la sérénité dans les gradins surchauffés. « Quand les spectateurs sont mécontents ou que les tensions montent, nous intervenons pour détendre l’atmosphère. Notre objectif est de voir tout le monde sourire et partager la joie, peu importe le résultat du combat », explique Dan Allo Jam’iyya Jilka, le leader du groupe.

Leur talent repose sur une combinaison de chants improvisés, de danses comiques et d’imitations hilarantes des chutes des lutteurs. Ces performances suscitent des éclats de rire et des applaudissements nourris de la part du public. Leur mission va au-delà du divertissement, ils incarnent l’esprit de paix et de cohésion sociale qui caractérise la lutte traditionnelle.
Être bouffon d’arène n’est pas seulement un métier, mais aussi une vocation pour ces artistes. Malgré leur popularité, les revenus des Trois Jumeaux restent irréguliers. « Nous pouvons gagner jusqu’à 50 000 francs CFA par jour lors des bonnes journées, mais il arrive aussi que nous rentrions les mains vides », confie Dan Allo. Ce travail reste néanmoins une source de satisfaction personnelle et une opportunité de subvenir à leurs besoins tout en valorisant la culture nigérienne. En dehors des arènes, ils bénéficient parfois de dons en vêtements ou en argent de la part de spectateurs reconnaissants. Ce soutien témoigne de l’affection et du respect que le public leur porte. Les Trois Jumeaux espèrent cependant une amélioration de leurs conditions de travail et une plus grande reconnaissance accrue de leur rôle crucial dans la lutte traditionnelle.
Les Trois Jumeaux ont tenu à appeler les Nigériens à rester solidaires et à continuer de soutenir cet art unique. « La lutte traditionnelle est plus qu’un sport, c’est une célébration de notre culture et de notre unité », conclut Dan Allo.
A travers leur humour et leur talent, les Tchali-tchali rappellent que la lutte traditionnelle n’est pas seulement une compétition, mais une fête où le rire et la bonne humeur occupent une place centrale. En tant que piliers de cette ambiance festive, ils méritent admiration et soutien.
Chamsoudine May Nabouta, un comédien-chanteur
Parmi les figures marquantes des grandes compétitions, Chamsoudine May Nabouta s’impose de plus en plus aussi comme une véritable attraction, car son humour et sa musique magnifient la lutte traditionnelle à chaque compétition. C’est un talentueux chanteur et un comédien, venu tout droit du Nigeria. Il captive les spectateurs dans les arènes avec son style unique et son humour contagieux. Son style combine humour et musique dans un mélange unique. Habillé comme un clown, Chamsoudine May Nabouta affiche un look aussi comique qu’inoubliable, un large pantalon marron, un long bonnet fait de sac, des chaussures volumineuses et des t-shirts floqués des logos des partenaires de l’événement. Armé de son instrument de musique, la maracas en main ou « Tchaki » en haoussa, instrument issu d’un assemblage comprenant un manche, une boite métallique ou une canette avec des graines à l’intérieur, lui permettant de battre la cadence, de chanter pour donner du rythme et apporter une valeur ajoutée musicale.
May Nabouta compose des chansons comiques en agençant des mots et des noms de manière à captiver et le public. « Il passe toutes ses journées à l’arène pour faire rire les gens », témoigne un spectateur ravi. Chamsoudine a su instaurer une ambiance joviale et décontractée, transformant l’arène en un véritable théâtre populaire. May Nabouta souligne l’excellente hospitalité nigérienne. « A chaque fois que j’assiste à une compétition au Niger, je ne constate aucun problème. Les Nigériens sont un exemple d’accueil et d’hospitalité. Je suis parfois impressionné par les changements positifs que je remarque lors des éditions. Le Niger va bien, contrairement à ce que pensent certains. Si Dieu me prête une longue vie in shâ Allah, je reviendrai sûrement à chaque grande compétions », déclare-t-il en souriant.
La lutte traditionnelle nigérienne, «Kokowa», est un pilier culturel profondément enraciné dans les traditions du pays. Bien au-delà du simple combat physique, elle mêle art, musique et humour, créant une expérience festive. Elle dépasse le cadre sportif pour devenir une célébration de l’identité nigérienne. «Kokowa», incarne des valeurs de courage, de résilience et d’unité, tout en préservant et en transmettant un patrimoine culturel inestimable.

C’est donc a juste titre que cette discipline est considérée comme ‘‘le sport roi’’ au Niger. Pour s’en convaincre, il suffit de visiter le Niger au moment où se tient la compétition annuelle du Sabre National de lutte traditionnelle ‘’Kokowa’’. L’événement retransmis en direct par la Radiotélévision du Niger, captive toute l’attention de la Nation pendant une dizaine de jours. Même la diaspora nigérienne reste connectée au pays quel que soit le lieu où elle se trouve dans le monde. Dans les villes, villages et jusque dans les hameaux les plus reculés du pays, les Nigériens restent accrochés à leurs postes téléviseurs ou radios et, contexte oblige, les réseaux sociaux qui sont entrés dans la danse, relayant en temps réel les compétitions.
Et il n’y a pas d’âge ou de statut pour cet attachement à la lutte traditionnelle. C’est tout simplement une passion nationale.
Assad Hamadou (ONEP), Envoyé Spécial