»Habou Lambo, Barkasi kani gandji » sont des vocables connus des mamans nigériennes. Ce sont des noms de plantes qui servent à préparer le ‘’Djitti » en Zarma et « Baouri » ou ‘’Daouri’’ dans certaines régions haoussa. Ces décoctions sont administrées aux nourrissons et aux enfants pour, dit-on, renforcer leur organisme ou pour les soigner de certaines maladies. Il s’agit là d’une pratique aussi courante qu’ancienne qui fait partie intégrante de l’histoire de la médecine traditionnelle et des coutumes. Vendues sous forme d’écorces ou de racines, ces plantes étaient jadis incontournables pour les mamans. En effet, après l’accouchement, les mamans ou les matrones, pour celles vivant au village et ayant connaissance des secrets des plantes, se rendent dans la brousse pour couper des racines ou des écorces qui serviront à la préparation de décoction pour le nouveau-né. En ville, par contre les mamans se rendent dans les marchés auprès des tradipraticiens ou des vendeurs de plantes médicinales pour en acheter. Selon les coutumes locales, l’administration de ces décoctions permet de nettoyer le ventre du bébé en faisant sortir les impuretés mais aussi le préserve ou prévient contre « les petites maladies ». Cependant, si jadis le choix était très porté sur ces plantes, de nos jours, les gens ont plus ou moins délaissé la consommation de ces plantes au profit de la médecine moderne.
Beaucoup de mamans ne jurent que par ces écorces et racines qui, affirment-elles, permettent de prévenir et de traiter certains maux. Elles ont coutume de dire que lorsqu’un enfant tombe assez souvent malade, c’est parce qu’il n’a pas suffisamment bu de ces décoctions. Ces plantes que l’on trouve sur place à travers le pays ou en provenance des pays voisins comme le Nigéria, le Mali ou le Togo, seraient selon les témoignages, les produits miracles de la nature.
Assis sous son hangar en banco, dans le petit couloir qui fait face au Commissariat du petit marché de Niamey, le vieux Hama Soumaila, vendeur de ‘’Djitti’’ depuis des années, soutient que ces plantes font partie de notre culture et ont des bienfaits cachés que seuls les anciens et les initiés connaissent. En effet, ayant une grande connaissance des vertus de chaque plante, il sait exactement quoi vendre aux clients.
Selon lui, chaque maman doit commencer à donner les décoctions au bébé, quelques jours après la naissance et cela afin de nettoyer les impuretés du ventre du bébé. Par le passé, ce sont des décoctions à base de plante comme habou lambo, barkasi kani gandji qui sont en premier lieu données au bébé. Certaines mamans les préparent en trois marmites. Par la suite, la mère doit continuer avec d’autres plantes telles que akasantouri, habaka, kobasayi, kambe gou, arkoussou bon koiray, namari ; doré. Et ces plantes peuvent être mélangées et données à l’enfant soit deux fois par jour tout en ajoutant un peu de natron. Et à partir de 3 à 5 mois, a-t-il ajouté, les mamans peuvent augmenter d’autres plantes comme : falounfa et tamarza banda.
Ces plantes, selon le vieux Hama, en plus de prévenir les petits maux, ont également des vertus de protection contre par ce qu’on appelle en jargon local «le mauvais œil et la mauvaise bouche». Et la consommation se fait jusqu’au sevrage de l’enfant.
Parlant de la préparation de ces décoctions, le vieux Hama a confié qu’autrefois, les mamans avaient pour coutume de préparer trois marmites pour les garçons et 4 marmites pour les filles. Toutefois, il affirme que cela n’est pas une obligation mais juste une pratique ancestrale. Et il n’y a pas de gavage, le peu que l’enfant aura avalé suffit. «Nous ne conseillons pas le gavage même si certains le font et vont jusqu’à purger l’enfant avec. C’est là une pratique des côtiers qui font cela et lavent même l’enfant avec», a-t-il précisé.
C’est avec un air nostalgique que le vieux Hama confie que par le passé il y avait une affluence autour de ces plantes. «Autrefois, les vieilles femmes venaient beaucoup payer les écorces pour aller préparer les décoctions pour la nouvelle maman, mais avec le modernisme, la donne a changé. Les gens d’aujourd’hui ne s’intéressent pas trop à la médecine traditionnelle, ils sont plus portés vers la médecine moderne», déplore-t-il. Les prix de ces plantes aux milles vertus varient de 50fcfa, 100fcfa, voire 200fcfa par rouleau.
Gna Aissa, tradipraticienne depuis 22 ans et ayant été plusieurs fois matrone ou «antougay gna» ou «Ngozoma» affirme que les décoctions ont plusieurs bienfaits pour les bébés. «Dès qu’un bébé boit les décoctions, cela se remarque. En effet, il prend du poids, sa peau devient belle et ça immunise son organisme contre les parasites», explique-t-elle. Pour elle, il est important de donner les décoctions aux bébés. Cet avis n’est hélas pas partagé par les médecins.
Des pratiques qui peuvent constituer un danger pour la santé des nourrissons et des enfants, prévient Dr Moulay Ahmed Ali
Même si les vieilles personnes soutiennent que les décoctions sont bénéfiques pour la santé des bébés et des enfants, le Docteur Moulay Ahmed Ali, pédiatre à Niamey ne partage pas cet avis. Cette pratique, estime-t-il, se base sur des considérations culturelles pour prévenir et traiter certaines maladies auxquelles on pense que l’enfant est exposé ou atteint. Par exemple a-t-il affirmé, il existe une forte croyance traditionnelle selon laquelle, le premier lait jaune contient une maladie mortelle appelée «kaikai», qu’il faut soigner par des remèdes traditionnels. Et selon d’autres croyances poursuit-il, il faut donner ces décoctions pour ouvrir la gorge et l’estomac du nouveau-né ou mieux faire une purge pour éliminer les déchets. Les grand-mères et les belles mères, souligne Dr Moulay Ahmed Ali, ont une grande influence sur ces pratiques.
Il relève que l’utilisation de ces décoctions constitue un obstacle à une alimentation adéquate de l’enfant. «De la naissance à 6 mois, l’enfant doit être allaité exclusivement au sein car, le lait est le meilleur aliment qui contient tous les nutriments nécessaires à cet âge», soutient-t-il. De ce fait, cette pratique de donner de décoction à la place des tétées prive l’enfant de cet avantage et l’expose a des conséquences grave sur le plan nutritionnel.
Pour Dr Moulay Ahmed Ali, ces décoctions peuvent constituer un grand danger pour la santé des nourrissons et des enfants, puisque associées à la survenue des maladies diarrhéiques avec déshydratation qui peuvent être graves et mortelles. Elles peuvent également être à la base de la survenue de la malnutrition qui comporte aussi beaucoup de complications médicales. «Sur un autre plan, il faut aussi noter la toxicité que peuvent avoir les plantes utilisées sur des organes vitaux tels le foie, les reins engageant le pronostic vital du nourrisson ou de l’enfant», prévient Dr. Moulay.
Pour lui, la maman et les parents en général doivent comprendre que l’utilisation des décoctions est néfaste pour la santé de l’enfant et qu’elle doit être abandonnée. «De 0 à 6 mois l’enfant doit être nourri exclusivement au sein sans lui donner aucune décoction ni même de l’eau. L’enfant doit être traité au centre de santé quand il est malade et non par des décoctions de la grand-mère ou du tradipraticien», tranche Dr Moulay.
Rahila Tagou(onep)