Monsieur le président, la Commission Nationale des Droits Humains que vous dirigez depuis une année vient de réussir brillamment son examen de ré-accréditation à Genève. Quel est le sentiment qui vous anime à l’issue de ce succès ?
Je suis animé par un sentiment de fierté et de grande satisfaction suite à la ré-accréditation de notre Institution au Statut « A » de l’Alliance Mondiale des Institutions Nationales des Droits Humains (GANHRI), à l’issue de l’examen d’évaluation passé le 06 octobre 2022 à Genève et dont les résultats nous sont parvenus le 11 octobre 2022 après les délibérations du jury. En effet, réussir, en un an de fonction, à conserver à la CNDH-NIGER ce statut tant convoité par les Intitulions Nationales des Droits de l’Homme (INDH) du monde entier était un défi majeur à relever. Cela est d’autant plus vrai que le statut « A » représente le plus haut niveau de crédibilité auquel aspire toute Institution de défense, de promotion et de protection des droits de l’homme. C’est une reconnaissance à l’échelle mondiale.
Notre succès à cet important examen est le couronnement d’intenses actions menées un (01) an durant par l’équipe en place à la Commission. Pour atteindre cet objectif nous avons travaillé en synergie avec les partenaires techniques et financiers, les organisations de la société civile et l’Etat.
Nous avons eu ce succès à un moment où une alternance démocratique est intervenue en 2021 au niveau de la Commission qui a vu le renouvellement de sept (07) Commissaires sur neuf (09) et la totalité des membres du Bureau Exécutif. Il a fallu à la nouvelle équipe que je dirige, de déployer beaucoup d’efforts pour capitaliser les acquis de l’équipe précédente qui a obtenu ce Statut « A » en 2017 assorti de six (06) recommandations. Il nous appartenait de faire suivre d’effets ces recommandations au nom de la continuité de service, tout en évitant, à travers de bonnes pratiques, de provoquer de nouvelles.
Dieu merci, à l’issue de l’examen de cette année nous avons réussi à faire lever quatre (04) des six (06) recommandations en obtenant la ré-accréditation au Statut « A » avec deux (02) seulement. Cela s’explique par le fait qu’aucune œuvre humaine n’étant parfaite, quelle que soit la qualité d’un dossier, son examen est susceptible de donner lieu à des observations.
Ce succès est l’œuvre de l’ensemble des Commissaires aux Droits Humains et du personnel administratif et technique de la CNDH qui se sont mobilisés comme un seul homme pour aboutir à ce résultat. Cet échange me donne l’occasion de remercier sincèrement toutes les parties prenantes pour cette belle victoire qui, au-delà de la Commission, honore le Niger tout entier. C’est en effet l’Etat du Niger qui est honoré à travers le maintien de ce statut. Avec cette décision, l’Alliance Mondiale « GANHRI » reconnait que le Niger fait partie des Etats qui sont soucieux de la promotion et de la protection des droits humains sur leurs territoires, œuvrant pour la jouissance effective de ces droits pour tous les citoyens.
C’est le lieu pour moi de saluer les appuis importants de l’Etat dont les efforts au profit de la Commission, ont contribué à obtenir cette victoire. A cet égard, c’est avec un réel plaisir que je rends un hommage mérité aux hautes autorités de la République particulièrement à Son Excellence Monsieur le Président de la République qui a toujours eu une oreille attentive vis-à-vis des préoccupations de la Commission qu’il a tenu constamment à accompagner dans l’accomplissement de ses missions au service des citoyens. J’associe à cet hommage les organisations de la société civile nigérienne ainsi que tous nos partenaires techniques et financiers dont les actions à nos côtés ont largement contribué à ce succès. Aux usagers de nos services, je leur dis merci de continuer à nous faire confiance car, leurs saisines et le traitement de leurs dossiers contribuent au rayonnement de la Commission.
L’examen de ré-accréditation au statut A est un examen difficile pour les Institutions des Droits Humains. Qu’est-ce qui fonde votre maintien à ce prestigieux statut au bout d’un an d’exercice de votre bureau?
C’est vrai que l’examen d’accréditation au Statut « A » de la GANHRI est particulièrement difficile pour les INDHs. Beaucoup d’INDHs des pays européens n’ont pas de Statut « A ». En Afrique très peu d’INDHs ont réussi l’examen d’admission à ce Statut. Cet exploit, après un (01) an à la tête de la CNDH, est dû au travail ardu accompli, pour la cause des droits humains, par l’équipe soudée constituée par le collège des Commissaires, les cadres et le personnel administratif et technique de la Commission. Au-delà de la consolidation des acquis de l’équipe à laquelle nous avons succédé qui a géré la Commission huit (08) ans durant en deux mandats, nous avons, dès notre installation le 11 octobre 2021 œuvré à exécuter immédiatement notre programme d’actions avec une vision prospective dans le respect de nos textes tout en privilégiant les bonnes pratiques de gestion qui nous ont valu la confiance de tous nos partenaires et de l’Etat. Avec peu de moyens gérés de manière rationnelle et transparente nous avons pu remplir notre cahier de charges à la satisfaction de nos concitoyens. Actuellement un audit organisationnel est en cours à la Commission dans le but d’engager des réformes de fond de nos procédures, nos pratiques quotidiennes, nos méthodes de travail et nos textes qui ont besoin de toilettage après dix ans de mise en œuvre. Toutes ces initiatives et actions salvatrices menées de manière inclusive avec rigueur et détermination ont, en si peu de temps, accru la notoriété et la crédibilité de la CNDH fondant ainsi le maintien mérité de ce prestigieux Statut « A ». Dans cette posture, la Commission est désormais revigorée et plus en mesure de prendre en charge convenablement les légitimes préoccupations de nos concitoyens en matière de jouissance effective de leurs droits et libertés consacrés par la Constitution et les instruments juridiques internationaux ratifiés par le Niger.
La défense et la protection des droits humains est une immense tâche dans un pays aussi grand que le Niger. Comment votre institution travaille-t-elle dans l’accomplissement de cette mission ?
L’immensité du territoire national n’est nullement un obstacle à l’exécution du mandat de la Commission qui a le devoir de réserver un traitement équitable à tous les citoyens d’Ayorou à N’Gourti et de Madarounfa à Madama pourvu que nous ayons les moyens de nos actions au service de la population. Pour ce faire, nous sommes entrain de créer les conditions de mobilisation davantage de moyens matériels et humains devant nous permettre d’atteindre les nobles objectifs de la Commission. Effectivement la défense, la promotion et la protection des droits humains dans un pays ayant une superficie de 1 267 000 Km² est un grand défi, surtout quand il fait partie des pays les moins avancés du monde et est confronté à l’insécurité due aux agissements des groupes terroristes qui sèment la terreur dans plusieurs régions. Cependant, comme notre mission constitutionnelle est la défense, la promotion et la protection des droits humains, nous ne saurons baisser les bras malgré les faibles moyens dont nous disposons. C’est ainsi que, pour être plus proche des citoyens qui n’ont pas les moyens de se déplacer jusqu’à notre siège à Niamey, nous avons mis en place cinq (05) antennes régionales et deux (02) points focaux qui sont quotidiennement à leur écoute.
En plus, comme les violations des droits humains se font le plus souvent loin des grandes villes, nous organisons des missions d’investigation sur le terrain jusque dans les zones les plus difficiles d’accès pour écouter les victimes et les témoins. En outre la CNDH effectue périodiquement des missions de monitoring c’est-à-dire de suivi et d’observation des lieux de privation de liberté dans toutes les régions. Elle organise également le monitoring des procès criminels pour s’assurer que les normes d’un procès équitable sont respectées. Ces différentes missions sur le terrain se font non seulement avec les moyens que l’Etat met à notre disposition, mais aussi grâce au soutien des partenaires techniques et financiers de la Commission.
Monsieur le président notre pays subit depuis quelques années des attaques terroristes sur certaines de ses frontières, avec souvent une persécution des populations civiles par les groupes armés. Comment dans un tel contexte assurer la jouissance des droits humains de ces personnes meurtries ?
C’est vrai que depuis quelques années, notre pays fait face aux attaques des groupes terroristes particulièrement dans certaines zones frontalières. Malgré cette situation d’insécurité la CNDH reste résiliente et continue à assurer ses fonctions de promotion et de protection des droits humains partout au Niger, y compris dans les zones affectées par les attaques des groupes terroristes. Nous arrivons à accéder à ces localités grâce à l’appui des forces de défense et de sécurité qui nous escortent chaque fois que de besoin.
Ainsi, en mai 2022, la CNDH a organisé en partenariat avec l’Institut Danois des Droits de l’Homme (IDDH), une étude sur l’impact de l’insécurité sur la santé et l’éducation dans les régions de Diffa, Tahoua et Tillabéry. Du 25 au 29 mai 2022, la CNDH a organisé en partenariat avec ABA-ROLI (financement USAID) une mission d’investigation dans les régions de Tillabéry, Tahoua et Diffa sur l’impact de l’insécurité sur le droit à la vie et l’accès à la Justice. Du 1er au 07 juin 2022, la CNDH a effectué une mission d’investigation sur l’effectivité de la jouissance par les populations déplacées internes (DPI) des départements de Torodi, Téra et Gothèye sur leurs droits fondamentaux. Cette mission a été réalisée en partenariat avec le Haut-Commissariat aux Droits de l’Homme des Nations-Unies (HCDH).
Monsieur le Président avez-vous un message particulier à l’endroit de vos concitoyens ?
J’en appelle à mes concitoyens d’avoir foi en la démocratie qui, dans tous les pays du monde est une conquête permanente. Au Niger, la vie politique et sociale se démocratise de plus en plus au point où pour la première fois dans l’histoire de notre pays, un Président civil démocratiquement élu a succédé en 2021 à un autre sur fond de passation pacifique du pouvoir d’Etat. Il nous appartient tous d’œuvrer à consolider les fondements du système démocratique qui, en dépit de son imperfection inhérente à toute œuvre humaine est meilleur à l’Etat de non-droit en ce qu’il est le seul susceptible de garantir aux citoyens la jouissance effective de leurs droits et libertés.
La Commission Nationale des Droits Humains ainsi que toutes les Institutions de la République sont des structures citoyennes au service de toute la population et à ce titre nos concitoyens doivent s’abstenir de les fragiliser par des actes d’intoxication et de désinformation car, seules des Institutions fortes sont en mesure de répondre aux légitimes aspirations des populations à la paix, à la sécurité et à la stabilité indispensables au bien être tant individuel que collectif. A titre illustratif je peux vous relater un cas parmi tant d’autres, relatif à l’actualité ambiante. En effet, le vendredi 07 octobre 2022 j’ai été réveillé vers 03 heures du matin par un message d’un citoyen me transmettant une lettre manuscrite relatant la situation critique d’un Officier de l’armée détenu gravement malade en état de détresse humaine.
J’ai immédiatement réagi en demandant de faire signer la lettre et la faire enregistrer à la Commission où en dépit de la descente du service, s’agissant d’un vendredi, elle a été traitée avec la saisine d’urgence des services compétents de la CNDH chargés de la mise en œuvre des actions à accomplir. Dès la reprise de service, le lundi une mission de la CNDH a été dépêchée au chevet du détenu concerné avec lequel elle s’est entretenue dans la salle de l’infirmerie de la prison où il est gardé. Dans la même veine, son médecin a été rencontré et un rapport circonstancié a été établi et soumis à l’appréciation de l’ensemble des Commissaires aux Droits Humains qui l’on approuvé. Immédiatement, l’autorité de tutelle des établissements pénitentiaires a été saisie par lettre N°418/CNDH/SG du 12 octobre 2022 adressée au Ministre de la Justice, Garde des Sceaux que j’ai aussitôt rencontré à ce sujet.
Présentement l’intéressé est pris en charge dans un établissement de soins adapté à son état. Malgré toutes ces prévenances et diligences, des individus mal intentionnés aux desseins inavoués dans une manœuvre malsaine de manipulation de l’opinion continuent d’inonder les réseaux sociaux de fausses informations tendant à dénigrer des Institutions de la République particulièrement la CNDH à tort accusée de léthargie voire d’inertie dans le traitement de ce dossier. A tous ceux qui me pressaient de leur répondre sur la toile j’ai expliqué que les Institutions n’ont pas vocation à traiter leurs dossiers à travers les réseaux sociaux, c’est pourquoi nous avons plutôt organisé un point de presse le jeudi 13 octobre 2022 à notre siège au cours duquel nous avons sacrifié au devoir de redevabilité consistant à rendre compte officiellement de notre action particulièrement sur ce dossier qui suscite tant d’émoi et de passion. Nous devons nous réjouir que le contexte politique actuel de notre pays soit favorable à l’accomplissement de la mission de la CNDH. En effet, les nouvelles autorités politiques montrent leur volonté de faire de la jouissance des droits humains par tous les citoyens une réalité dans notre pays. A cet égard, il convient de rappeler que le Niger a ratifié toutes les conventions et les traités internationaux relatifs aux droits humains.
Il faut également noter que la CNDH du Niger s’est fait distinguer de 2017 à nos jours par son expertise, son indépendance et son engagement à œuvrer dans la promotion et la protection des droits humains aussi bien au niveau national qu’international.
Au niveau national plusieurs actions phares ont permis à la Commission de mériter la confiance de beaucoup d’acteurs. Il s’agit notamment des partenaires techniques et financiers dont le nombre s’accroît de plus en plus et les organisations de la société civile avec lesquelles nous envisageons de créer un cadre de concertation qui va nous permettre de réunir nos atouts respectifs pour l’effectivité du respect des droits de l’homme au Niger.
Dans le cadre de la mise en œuvre de son mandat de promotion des droits humains, la CNDH a mené une série d’actions de sensibilisation et de formation de différents acteurs et cela a permis de préserver la cohésion sociale. Elle a effectué dans le cadre de son mandat de protection des visites aux détenus civils et militaires accusés de tentative de coup d’Etat militaire pour vérifier leurs conditions de détention. La CNDH a par ailleurs dénoncé dans ses rapports les violations des droits humains reprochés aux groupes armées non étatiques et même aux forces armées régulières engagées dans les opérations militaires. Au niveau international la CNDH du Niger est membre de plusieurs organisations régionales et/ou internationales de promotion et de protection des droits de l’homme. Jusqu’à une date récente elle a présidé certaines organisations (Association Francophone des Commissions Nationales des Droits Humains, Réseau des INDH du G5 Sahel). Elle a aussi accompagné plusieurs autres INDH par son expertise à savoir le Mali, le Burkina Faso, le Rwanda, le Togo, la Guinée et la Centrafrique. Tous ces efforts ont renforcé la crédibilité de la CNDH et lui ont valu l’attribution du mandat du Mécanisme National de Prévention de la Torture (MNP) suivant la loi 2020-02 du 06 mai 2020.
Par Oumarou Moussa(onep)