De la multitude des Journées célébrées à travers le monde, celle consacrée à la Culture Africaine et Afro descendante est l’une des plus récentes, puisque c’est seulement à partir de 2019 qu’elle a été officiellement instituée. À l’origine de cette initiative se trouve le togolais John Ayité DOSSAVI, président du Réseau Africain des Promoteurs et Entrepreneurs Culturels (RAPEC), qui a fait le plaidoyer ayant abouti à l’adoption par l’Assemblée Générale de l’UNESCO de la Journée Mondiale de la Culture Africaine et Afro descendante (JMCA) désormais célébrée le 24 janvier.
Dans cette interview, il évoque entre autres le processus ayant abouti à l’institutionnalisation de la JMCA, le sens du combat que sa structure mène pour la valorisation du patrimoine culturel africain, mais aussi la prise en compte du secteur des arts et de la culture comme un des piliers du développement durable du Continent.
Monsieur le président du RAPEC, n’est-il pas étonnant, voire choquant d’apprendre que c’est seulement à partir de 2019 que la Journée Mondiale de la Culture Africaine et Afro-descendante (JMCA) a été officiellement instituée ?
Je voudrais dire d’abord que cette question est très bonne, mais il faut aussi dire que cette Journée de la Culture Africaine et Afro descendante (JMCA) vient de très loin. Premièrement, c’est une idée que je nourrissais depuis 1986 étant jeune garçon, et jamais je n’avais imaginé que je serai le porteur de cette vision. Deuxièmement, quand vous avez une telle idée vous ne pouvez pas vous lever du jour au lendemain et vous dire que vous voulez rassembler tout un peuple. Comment vous allez faire ? Quels sont vos moyens ? Qui vous accompagne ? Ce sont des démarches souvent difficiles. En général ce sont les Etats, leurs dirigeants qui se rassemblent et qui décident d’une telle vision, d’un tel message à porter à l’universalité. Et je rends vraiment grâce au Dieu tout puissant qui m’a permis de porter ce message jusqu’à ce qu’il devienne un message d’universalité. Je voudrais remercier le Togo qui a accueilli le premier Congrès panafricain en 2011 et qui était placé sous le haut patronage du Chef de l’Etat togolais. C’est lors de ce congrès que j’ai proposé à ce que l’Afrique étant le berceau de l’humanité se dote d’une journée pour célébrer ses valeurs, ses traditions, ses us et coutumes. C’était une des recommandations fortes du premier Congrès panafricain. Chemin faisant, cette recommandation a été promue par le rapport général que nous avons présenté au siège des ACP à Bruxelles. Je crois que chaque chose a son temps, il faut suffisamment de patience pour faire grandir un projet et le faire valider.
Quelles sont les raisons qui justifient le choix du 24 janvier comme date dédiée à la Journée Mondiale de la Culture Africaine et Afro-descendante ?
J’avoue vraiment qu’il a été très difficile pour moi d’identifier une date qui sera irréfutable. Ce genre de messages, vous devez les porter sur une base solide. C’est important que les gens se posent des questions pourquoi le choix du 24 janvier et pourquoi pas le 23 ou le 20 ou tout autre date. J’avais au début pensé à un certain nombre de dates, par exemple la date de naissance de Nelson Mandela, puisqu’il fait l’unanimité, mais certaines personnes trouveraient que ma démarche est politique, j’avais pensé à la date de naissance d’une grande artiste comme Miriam Makeba, mais d’autres diraient que c’est un choix porté sur la musique, j’ai pensé à la date de naissance notre grand Paul Ayi, éminent plasticien, mais encore une fois la réponse serait pourquoi lui. Alors dans ma prière j’ai demandé à Dieu de m’éclairer sur une date que personne ne peut réfuter. A mon réveil très tard dans la nuit, j’étais sur internet et j’ai tapé « la renaissance culturelle africaine ». Je suis tombé sur la Charte de la renaissance culturelle africaine adoptée le 24 janvier 2006 à Khartoum par tous les Chefs d’Etat et de Gouvernement des pays membres de l’Union Africaine. Étant togolais, cette date est symbolique, douloureuse dans notre pays puisqu’elle rappelle l’attentat de Sarakawa en 1974. Mais puisque cette date est aussi celle de l’adoption de la Charte de la renaissance culturelle africaine, je me suis dit qu’elle sera plus compréhensible pour tout le monde. C’est extrêmement important pour moi de justifier mon choix et je vous remercie d’avoir posé cette question.
Quels sens avez-vous voulu donner cette année à la JMCA qui a fait l’objet d’une grande cérémonie au siège de l’UNESCO à Paris sous le thème « l’africanité pour une humanité réconciliée » ?
Ce que je voudrais dire à vos lecteurs, dans ma vision je veux prôner la paix entre les peuples. Notre peuple est éparpillé partout dans le monde, à travers la période sombre de l’humanité qui était celle des razzias, de la déportation, de la traite négrière malheureusement prolongée par la colonisation, le néocolonialisme. Je voulais sincèrement à travers cette journée mondiale rendre hommage à l’Afrique notre berceau. Nous tous savons que toutes les recherches convergent à reconnaître que l’Afrique est le berceau de l’humanité. À juste titre je voulais à travers cette manifestation, inviter l’humanité toute entière à rendre hommage à l’Afrique notre berceau commun, là où tout a commencé pour elle. La Journée Mondiale de la Culture Africaine et Afro-descendante a été promue sur ma demande, la délégation permanente du Togo auprès de l’UNESCO a porté ce projet de résolution auprès de l’organisation qui l’a voté par acclamation lors de sa 40ème Assemblée générale. Cinq ans plus tard, il est de notre devoir de ramener l’événement officiel mondial dans la maison de l’UNESCO. La JMCA est née le 24 janvier 2014 de par le compte à rebours qui annonçait l’événement officiel au Togo en 2016. Et, faire cette manifestation cinq ans après sa proclamation dans la maison de l’UNESCO n’est que pour nous une grande opportunité d’inviter tous les États du monde entier qui ont voté le projet de résolution porté par le Togo sur la demande de notre organisation qui est le Réseau africain des promoteurs et entrepreneurs culturels (RAPEC). La thématique « l’africanité pour une humanité réconciliée » se traduit à travers le fait que l’Afrique étant la maman de l’humanité, il est important que cette maman puisse prôner la réconciliation de toutes ses filles et tous ses fils pour une humanité réconciliée. Cette thématique répond aux aspirations de l’UNESCO, à la culture de la paix que nous prônons. C’est aussi une opportunité donnée à notre pays d’annoncer le prochain Congrès panafricain qui va se tenir au Togo.
Il y a eu au 20ème siècle des mouvements politico-culturels dont entre autres, la Négritude, la Renaissance de Harlem ; mais aujourd’hui quels sont les objectifs que poursuit le RAPEC en mettant en avant la culture africaine et afro descendante ?
Je veux paraphraser ici un grand homme, Frantz Fanon qui disait, « dans une relative opacité, chaque génération doit chercher sa mission, la trouver, l’accomplir ou la trahir ». Il est de notre génération d’être dans la continuité de ces pères de l’unicité de notre peuple, tels que Frantz Fanon, Gontran Damas, Aimé Césaire, Léopold Cedar Senghor, Cheick Anta Diop, Bob Marley, et toutes ces grandes personnalités, qui à un moment donné de l’histoire ont porté un message d’unité. Nous sommes à l’orée du 21ème siècle, notre génération aussi veut rentrer dans l’histoire en mettant en place une agora. Aujourd’hui il n’y aucune date qui lie notre peuple à travers le monde entier. Je sais qu’il y a la journée de l’Afrique qui est célébrée le 25 mai ; je sais aussi qu’il y a la journée des personnes d’ascendance africaine, célébrée le 31 août. Mais la journée Mondiale de la Culture Africaine et Afro descendante est l’arbre qui sert d’ombre à toutes les filles et tous les fils issus de ce continent. Il est extrêmement important d’avoir un repère. Je crois que cette journée est la meilleure chose qui peut arriver à notre génération. Nous avons mis en place une date symbolique qui sert de passerelle entre tous nos peuples, mais au-delà de nos peuples, cette date permet également à l’humanité toute entière de rendre hommage à l’Afrique notre berceau commun. La démarche du RAPEC est socio-culturelle, c’est une démarche de la diplomatie culturelle. En intervenant le 19 janvier dernier devant tous les ambassadeurs des pays d’Amérique Latine et des Caraïbes accrédités à l’UNESCO je ne suis pas dans la promotion de certains pans de la culture, je suis dans la promotion du rapprochement des peuples. Ce que j’ai fait également devant tous les ambassadeurs du groupe arabe en 2019 et les ambassadeurs du groupe Afrique en 2018. Aussi, la JMCA a été promue par le président en exercice de l’Union africaine en 2022, M. Antoine Felix Tshisekedi dont j’ai été l’invité spécial. A juste titre le RAPEC essaie de créer toutes les conditions afin que la culture puisse être reconnue comme une activité économique à part entière. C’est ça qui nous a conduit à organiser le premier Congrès panafricain sous le thème « la Culture levier de développement » avec toutes les institutions à savoir, l’UNESCO, l’OIF, Cités et Gouvernements Locaux Unis d’Afrique, etc. J’ai aussi voulu rappeler ici que le rapport général de ce premier congrès panafricain sur le rôle de la culture dans le développement de l’Afrique a été présenté avec le Secrétariat général des ACP au siège de cette Organisation. Nous voulons à ce que la culture qui a une dimension transversale soit au cœur des préoccupations de nos États.
Comment comptez-vous réussir à faire des Arts et de la Culture, un levier de développement économique et social en Afrique alors que ce secteur est le parent pauvre des politiques publiques dans la majeure partie des pays du continent ?
A chaque jour suffit sa peine ! Il ne faut pas oublier que le RAPEC est né il y a quinze ans de cela. Et si le RAPEC prône que l’activité culturelle soit reconnue comme une activité économique à part entière, il faut comprendre que notre objectif c’est justement de parler de la culture et de l’économie. Depuis des années on fait la promotion de la Culture à travers le monde, de la protection du patrimoine culturel africain, beaucoup d’institution font cela et le troisième chaînon qui manque c’est la création des conditions pour que l’activité culturelle soit reconnue comme une activité économique à part entière. C’est sur cela que le RAPEC se penche. Le premier congrès panafricain a déployé des batteries dans ce sens et nous allons continuer dans le cadre de notre prochaine grande rencontre qui se déroulera cette année ou au pire des cas en 2025. Ce sera l’acte 2 du premier congrès panafricain. Il y aura des thématiques avec la mise sur pied d’une commission de suivi du premier et du deuxième congrès panafricain, sous la bannière du grand Symposium sur le rôle de la culture dans le développement du continent. Nous aurons besoin de tout le monde pour nous accompagner, car l’Afrique nous est chère, l’Afrique est notre maison commune. Ceux qui œuvrent pour promouvoir la culture africaine, ceux qui protègent le patrimoine culturel africain doivent être portés, et je veux compter sur vous. Je suis le père de cette Journée Mondiale de la Culture Africaine et Afro descendante, (JMCA), mais c’est un message qui nous appartient désormais ; à nous de faire vivre cette Journée, de veiller à ce qu’elle soit l’Agora, le rendez-vous annuel de notre peuple où que nous soyons sur cette planète.
Interview réalisée par Souley Moutari