Que peut-on dire de la situation de la diversité culturelle en Afrique au sortir de la pandémie de COVID-19 et aussi des crises multiformes qui touchent nos pays, surtout en Afrique subsaharienne ?
La situation de la diversité culturelle n’est pas très rose. Elle est comparable à la situation de la culture en général, telle que cela se passe dans nos pays. Mais, la crise a renforcé la résilience et la fragilité du secteur culturel en Afrique. Parce que vous avez vu que pendant plusieurs mois, il a fallu fermer les salles de cinéma, fermer les salles de concert et empêcher les gens de circuler, et donc la circulation des œuvres et des artistes. Et on a assisté à une sorte de paupérisation du secteur culturel et des professionnels de la culture dont certains étaient obligés de recourir à la famille, a des dons pour pouvoir se nourrir.
Cette crise a révélé aussi la faiblesse de l’environnement numérique dans nos pays parce que, pendant que la plupart des gens étaient internés, cela donnait lieu dans d’autres environnements comme les environnements numériques occidentaux, par exemple à la vente des œuvres en ligne. Donc il y a des secteurs comme le cinéma, les arts plastiques, surtout dans les pays développés, qui ont tiré profit de cette situation-là. Pour la plupart, surtout nos pays, c’était difficile. C’est un peu vers la fin de la crise qu’on a eu à organiser certaines activités et essayer de payer les artistes.
Ce que les crises multiformes révèlent, ce qu’il faut vraiment beaucoup plus de mesures en faveur du secteur de la culture.
Quels sont selon vous les types de mesures à prendre?
En réalité, il y’en a plein. D’abord il y’a des mesures institutionnelles ; des mesures juridiques, il faut renforcer l’arsenal juridique de protection et de promotion dans la plupart des pays en développement parce qu’on s’est rendu compte que la protection des droits ne répond pas véritablement, par exemple les lois ne sont pas en phase avec la protection de l’environnement numérique, il y’a la question de la protection des données à caractère personnel, la protection des artistes tout court. Donc il faut renforcer la législation en matière de protection des œuvres et des créations, à la fois sur le plan de tous les jours et aussi sur le plan numérique. Il faut renforcer les politiques culturelles en faveur du financement du secteur de la culture parce qu’on se rend compte qu’il y’a une faiblesse dans le financement du secteur culturel et cette faiblesse déteint à la fois sur les créations, sur la circulation et sur la qualité des œuvres. Si vous prenez la plupart de nos pays africains, beaucoup n’ont pas d’infrastructures pour pouvoir exercer, pour pouvoir circuler. Par exemple si nous sommes à Niamey, si quelqu’un crée, c’est difficilement qu’il va faire un concert à Zinder ou à Tillabéri. Donc la plupart des activités se concentrent dans les grandes villes alors que l’arrière-pays aussi a besoin de consommer la culture. C’est ce qu’on appelle aujourd’hui les droits culturels. L’accès à la culture est un droit, on parle de la démocratie culturelle, c’est à dire la possibilité qui est donnée à tous les citoyens des pays où nous sommes, où qu’ils soient, d’accéder aux œuvres, aux créations. Il ne doit pas y avoir de favoritisme en matière de consommation de la culture. Et l’enjeu aussi c’est de permettre que toutes les expressions culturelles à l’intérieur de nos pays puissent s’exprimer. S’il y’a des musiciens modernes, il faut aussi qu’il y ait des musiciens dans nos chansons traditionnelles, dans nos arts traditionnels, qui aussi ont la possibilité de pouvoir vivre.
Justement, monsieur le président, comment préserver la culture ancestrale parce que, ce qu’on constate maintenant, on tend vers une façon d’homogénéiser toute la Culture et beaucoup de cultures traditionnelles, fragiles, sont en train de disparaitre?
Le problème de la fragilité de la culture c’est un problème de politique publique parce que, lorsqu’on parle de la diversité culturelle, on parle de la possibilité pour toutes les cultures d’avoir accès aux moyens de diffusion et de création. A partir du moment où on crée les conditions d’exercice de la création, de la créativité des œuvres modernes, il faut aussi créer les conditions d’accessibilité et de promotion des œuvres traditionnelles. C’est une question fondamentale dans laquelle nous devons être. Par exemple ici au Niger, on avait ici, paix à son âme, Malam Barka qui faisait dans une tradition musicale qui est décédé avec lui pratiquement. Malam Barka avait attiré l’attention sur le fait que cette tradition se mourrait. Lui-même était allé chez le dernier détenteur pour pouvoir prendre cette tradition et puis finalement est-ce que cela est resté? Ce qu’on sait, ce que ses sorties lui ont permis, notamment au festival Adra au Benin, d’enregistrer des CD. Mais, quand est-il de la transmission? Ce cas est emblématique de toutes les traditions ; c’est pour cela qu’au niveau même de l’UNESCO, il est posé la question de la protection des détenteurs de savoir et de savoir-faire traditionnels. C’est ce qu’on a appelé les trésors humains vivants. Il y’a une loi qui dit que chaque pays doit identifier les trésors humains vivants, c’est à dire les détenteurs de savoir, de savoir-faire dans tous les domaines et essayer de les préserver afin que ces gens puissent léguer à cette génération leur savoir-faire pour que le savoir-faire ne meure pas avec les détenteurs de savoirs.
C’est un réel défi parce qu’il faudra que les pouvoirs publics mettent en place des moyens. Si nous prenons le cas du Niger où nous sommes, nous avons le ministre de la culture qui a parlé du cadre stratégique de politique nationale qui est arrimé sur la Convention de 2005 de l’UNESCO. Donc le Niger est un pays modèle en matière de ratification de tous les traités et accords internationaux, notamment ceux concernant la culture. Pour ce qui reste, c’est d’aller à des politiques précises. Par exemple, ce qu’on a remarqué dans la plupart de nos pays, il y’a la politique culturelle qui a prévu beaucoup de choses, mais on n’a pas budgétisé les actions, surtout en matière d’infrastructures, de financement, de soutien à la création, à la créativité, la circulation des biens et services culturels. Tout ça là, il faudrait le budgétiser pour faire en sorte que nous puissions avoir les meilleurs cadres pour pouvoir exporter ou consommer au plan local notre culture.
Dans l’Afrique orientée vers le développement durable à travers son industrialisation, à la recherche perpétuelle de Paix, quel sera l’apport de la diversité culturelle dans l’atteinte de ces objectifs?
La défense de la liberté et la liberté culturelle ou la défense de la diversité culturelle est un gage de Paix. A partir du moment où nous respectons toutes les cultures, nous accédons au respect de l’autre et la plupart des intolérances viennent de ce que nous ne voulons pas respecter les religions des autres, nous ne voulons pas respecter les paroles des autres, nous ne voulons pas respecter les pratiques des autres. Mais la convention de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions est un cadre idéal pour que toutes les expressions culturelles puissent s’exprimer et du coup, c’est un facteur important de paix et de cohésion sociale.
Aujourd’hui, on a démontré que non seulement la culture est un secteur qui est porteur de richesse et de création d’emplois en ce que ; les jeunes et les femmes sont pour la plupart dans des emplois culturels. L’UNESCO l’a démontré. Si nous mettons en place des cadres pour que les expressions culturelles puissent s’exprimer, il n’y a plus de place pour l’intolérance. La culture est donc le socle de la Paix et du développement durable parce que il y’a le respect des droits, il y’a le respect des créations des autres, il y’a le respect des cultures des autres, il y’a le respect des minorités et de toutes les composantes culturelles de nos pays, donc c’est un gage de développement durable.
Quel est le rôle de l’institution africaine, à travers ses démembrements, dans la protection de la diversité culturelle?
La convention de l’Unesco de 2005 qui a été ratifiée par la plupart des pays africains, est d’abord un mécanisme international de protection de nos propres cultures. En 2005, lorsqu’on a mis en place la convention pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, pour la première fois dans l’histoire du monde, on a mis en place un instrument juridique qui donne aux peuples la possibilité par eux-mêmes d’agir sur leur culture, de prendre toutes les dispositions idoines pour pouvoir développer leur propre culture. Mais, on ne le comprend pas suffisamment. Avant par exemple, si le Niger veut souverainement développer son art oratoire, ses traditions orales, etc, si on trouve que ces traditions orales empiètent sur des intérêts notamment des pays développés, on va lui dire de faire attention.
Si on est sur le territoire européen, il y’a un quota de diffusion des productions culturelles étrangères pour la simple raison qu’il faudrait donner la possibilité aux productions européennes de pouvoir être diffusée. On assiste à une sorte d’emprise de productions extérieures sur les productions locales. Sur nos télévisions et dans nos radios, très peu de contenus sont des contenus nationaux : 80 à 90% sont des productions internationales. Nous ne consommons pas nos films parce que nous ne donnons pas la possibilité à nos réalisateurs de faire des films qui sont des contenus nationaux. Si nous voulons que, par exemple, toutes les composantes des médias diffusent des contenus nationaux de musique, de cinéma, ou d’autres choses, il va falloir que nous donnions les moyens de diffusion. Mais nous assistons à une floraison de chaines par câble qui n’expriment pas forcement nos cultures locales. Même dans les journaux, c’est la même chose. En dehors de ce qu’on montre sur ce que le gouvernement fait, s’il faut couvrir des activités à l’intérieur du pays, il faut souvent demander à des chaines satellitaires de leur vendre l’image. On joue chez nous et quelques fois même c’est aux autres de nous donner le droit de diffuser nos propres footballeurs. Voilà ce à quoi nous assistons.
En tant que chercheur spécialisé sur le patrimoine culturel, pensez-vous que l’intérêt croissant des jeunes chercheurs à ce secteur a un impact positif sur l’innovation?
En réalité ceux qui travaillent dans le secteur de la culture ont des vocations. Ils font comme un travail sacerdotal parce que combien de travailleurs de la culture vivent de leurs arts? Ça n’encourage pas les jeunes à entrer dans cette profession. Si nous prenons la gamme des productions ou des métiers culturels, nos pays n’en ont pas. Les grands réalisateurs, combien en avons nous? Combien de producteurs de cinéma avons-nous? Si nous prenons par exemple le théâtre, combien de metteurs en scène avons-nous? Combien d’accessoiristes avons nous? Il est arrivé que nous fassions du théâtre chez nous et ce sont les autres qui doivent nous faire les costumes, etc. Combien de créateurs avons-nous? Mais si par exemple les secteurs culturels sont des secteurs où il y’a beaucoup d’investissements, alors nous verrons que les jeunes prendront la relève pour pouvoir aller dans ces secteurs-là ; aussi au niveau des métiers culturels, il y a encore des défis à relever.
Par Souleymane Yahaya(onep)