Monsieur le Directeur Général, qu’est-ce qui a motivé le gouvernement pour la mise en place d’une Agence spécifiquement dédiée à la sécurité routière ?
Je tiens d’abord à préciser que conformément à la lettre de mission confiée à lui par le Président du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP), le Général de brigade Abdourahamane Tiani, le Ministre des Transports et de l’Equipement nous a chargés de planifier des activités qui peuvent impacter positivement sur le taux d’accidentalité corporelle (nombre de personnes tuées et de personnes blessées) dans l’ensemble de notre pays.
Pour en revenir à votre question, l’Agence Nigérienne de la Sécurité Routière (ANISER) est née de la volonté de nos autorités de doter notre pays d’une agence nationale, chef de file de la sécurité routière, légalement mandatée et dotée de responsabilités intersectorielles de coordination. Elle fait suite à la ratification par notre pays d’un certain nombre d’instruments régionaux et sous -régionaux, notamment la Charte Africaine de la Sécurité Routière adoptée par les Chefs d’Etat de l’Union Africaine le 31 janvier 2016 à Addis-Abeba lors de la 26ème Session Ordinaire et ratifiée par le Niger le 15 mai 2020 et la Directive n°12/2009/CM/UEMOA du 25/09/2009 portant institution et schéma harmonisé de gestion de la sécurité routière dans les Etats membres de l’Union Economique et Monétaire Ouest-Africaine (UEMOA).
Le premier Code de la Route de notre pays, qui date de 1963, est devenu obsolète et inopérant compte tenu de l’évolution perpétuelle du secteur du transport. C’est ainsi qu’un nouveau Code de la Route créant l’ANISER par la loi n° 2014-62 du 05 novembre 2014, portant code de la route à son article 48, a été élaboré avec pour objectifs : la prise en compte de l’évolution dans le domaine la circulation routière ; la promotion de la sécurité routière ; la professionnalisation des acteurs de la sécurité routière ; le renforcement des sanctions.
La structure, dont la responsabilité nous est dévolue aujourd’hui, a pour mission de promouvoir, de coordonner et de suivre les actions et les programmes de prévention et de sensibilisation en matière de sécurité routière. A ce titre, en rapport avec les autres structures concernée elle est chargée, entre autres missions de contribuer à l’élaboration et la mise en œuvre de la politique nationale, de la stratégie, des programmes et des projets nationaux en matière de sécurité routière ; mettre en œuvre la stratégie globale de lutte contre les accidents de la route ; promouvoir et gérer les activités nationales de sécurité routière en liaison avec toutes les institutions œuvrant dans ce domaine ; organiser, en collaboration avec les forces de défense et de sécurité, des opérations de contrôle afin de s’assurer du respect des règles de circulation et de sécurité ; concevoir et mettre en œuvre des programmes de communication et de sensibilisation sur la sécurité routière ; centraliser, traiter et diffuser les données des accidents de la circulation routière ; faire réaliser les audits de sécurité routière des infrastructures routières.
Depuis sa création quelles sont les actions initiées par l’ANISER pour réduire les accidents de la circulation au Niger ?
Les Organes de Direction de l’ANISER ont commencé à être mis en place en 2018 avec la nomination du Directeur Général, la nomination du Président du Conseil d’Administration et la mise à disposition des agents du Ministère des Transports. A l’heure où je vous parle, le processus de mise en place du personnel n’est pas encore terminé. L’ANISER s’est donc attelée, entre 2018 et 2019, à des tâches plus administratives pour se doter d’un organigramme, de statuts du personnel, de règlement intérieur et pourvoir à la mise en place d’un programme d’activités prioritaires.
Néanmoins, de 2018 à aujourd’hui, elle a mené plusieurs activités faisant partie de ses missions régaliennes visant à contribuer à la réduction des accidents de la route. Sans être exhaustif, nous pouvons vous citer : l’organisation de plusieurs ateliers de formation sur les conséquences de la surcharge à l’endroit des transporteurs, des conducteurs routiers, des commerçants et autres acteurs régionaux à Maradi et Zinder en 2021 et 2022 ; la vulgarisation du nouveau code auprès des principaux acteurs de la sécurité routière et celle des instruments internationaux, régionaux, sous régionaux et nationaux de la sécurité routière auprès de ces mêmes acteurs ; le renforcement des capacités opérationnelles de la Police nationale et de la Gendarmerie nationale dans la collecte des données des accidents par le remplissage du Bulletin d’analyse des accidents de la circulation (BAAC) ; l’inspection de la signalisation routière et la détermination des ponts à risque sur près de 4.000 km de réseau routier interurbain ; l’élaboration, l’édition et la validation du rapport annuel de statistique d’accidents de la route ; le renforcement des capacités des maires des villes concernées par le Projet de Mobilité Rurale et de Connectivité (PMRC) sur la sécurité routière ; l’organisation, récemment, d’une formation sur l’utilisation des radars mobiles de contrôle routier de vitesses et de pèse-essieux mobiles de contrôle de surcharges des véhicules à l’endroit des officiers et sous-officiers de la Police nationale et de la Gendarmerie et de leurs points focaux au niveau de l’ANISER ; le renforcement des capacités des conducteurs des bus de transport voyageurs des compagnies RIMBO et EMA sur la sécurité routière. Voilà, un peu succinctement, les activités que nous avons réalisées en termes de formation et de renforcement des capacités des acteurs intervenant dans le domaine de la sécurité routière.
Pour la sensibilisation de proximité, nous organisons, chaque 3ème dimanche du mois de novembre de chaque année, des activités entrant dans le cadre de la célébration des Journées africaines de la sécurité routière dans pratiquement tous les chefs-lieux des régions, de manière tournante. Nous avons mené, entre 2021 et 2022, des campagnes de sensibilisation de proximité sur la sécurité routière, à travers des Organisations Non Gouvernementales (ONG), dans 117 villages traversés par les routes rurales construites par le PMRC et contribué à la mise en place de brigadiers villageois de sécurité routière pour pérenniser les acquis. Nous menons aussi des campagnes à travers la Presse, les réseaux sociaux et par affichage sur des panneaux…
Grâce à ces actions conjuguées et par la volonté de nos plus hautes autorités nous avons pu constater une réduction du nombre des accidents de la route, entre 2022 et 2023, de -10,40% selon le bilan que nous avons établi après exploitation des données de la Police Nationale et de la Gendarmerie Nationale. Mais nous devons redoubler davantage d’efforts pour garantir une meilleure sécurité routière.
Malgré les efforts des pouvoirs publics on constate malheureusement ces dernières années une augmentation des accidents de la circulation. Qu’est-ce qui explique cet état de fait et d’après vos analyses quels sont les facteurs qui favorisent le plus des accidents de la voie publique au Niger ?
Les risques de l’insécurité dans les transports se conjuguent avec la croissance démographique, l’urbanisation croissante et l’augmentation du taux de motorisation. Il faut donc s’attendre à ce que le nombre des accidents ne cesse de croître à mesure que la population et le parc de véhicules augmentent et que le réseau routier s’améliore si des mesures efficaces de prévention ne sont pas mises en œuvre.
Au Niger, en 2023, le nombre d’accidents, de blessés et de tués reste très élevé malgré une relative baisse par rapport à 2022. En effet, l’on a enregistré 7.671 accidents corporels, 12.556 blessés et 1.075 tués. Parmi ces tués, 29,17% sont des piétons et 20,54% des motocyclistes et des cyclistes. Ces chiffres alarmants ont pour causes principales la vitesse excessive (23,57%), le non-respect des règles de priorité (18,75%), la non maîtrise du véhicule (15,34%) et l’imprudence du piéton (12,56%).
Ce qu’il faut retenir, c’est qu’il y a trois (03) facteurs qui interviennent dans les causes des accidents de la route : le mauvais comportement humain ; le mauvais état du véhicule ; le mauvais état de la route. De tous ces facteurs, le plus aggravant est celui humain qui intervient à plus 80 % des causes des accidents de la route. C’est pourquoi l’OMS considère l’accident de la route comme étant une Maladie Non Transmissible (MNT) qu’il est possible de prévenir, d’en réduire la gravité et de traiter.
Les accidents sont causés, entre autres, par l’excès de vitesse, l’utilisation du téléphone au volant, le non-port de la ceinture de sécurité ou de dispositif de sécurité pour les enfants et de casque pour les motocyclistes. On peut ajouter à cette liste l’infrastructure routière dangereuse, le non-respect du code de la route, la divagation d’animaux, le mauvais état mécanique du véhicule, la surcharge, la somnolence au volant, la prise de substances psychotropes, le non-respect des signalisation et de la priorité, le mauvais positionnement du véhicule, le mauvais dépassement, la manœuvre non-signalée, l’imprudence du piéton, l’éblouissement des phares, le croisement défectueux, l’arrêt ou stationnement dangereux…
Comme, on le constate et comme je le disais tantôt, le facteur humain est la cause de la majorité des accidents qui se produisent. C’est pourquoi, nos interventions doivent être beaucoup plus orientées vers la sensibilisation et la formation des usagers de la route.
Monsieur le Directeur Général qu’en est-il du projet de modernisation du système de collecte de données au niveau de l’ANISER ?
Le Niger s’est engagé dans des réformes dont celle visant à se doter d’une Base de Données des Accidents de la circulation (BDA) par arrêté interministériel N°001009/MDN/MISP/D/AC/R/MSP/MT du 26 décembre 2014 portant institution d’un Bulletin d’Analyse des Accidents de la Circulation (BAAC) pour la constitution et le fonctionnement d’une Base de Données des accidents de la route au Ministère des Transports. Au terme de cet arrêté, les deux (2) principales sources de données pour alimenter la Base de Données sont la Police nationale et la Gendarmerie nationale à travers leurs unités en charge de constat d’accidents de la circulation. La mise en exploitation de cette Base de Données a été effective en janvier 2015 avec une phase pilote couvrant deux (2) régions (Niamey et Tillabéri). En juin 2021, elle a été étendue dans les autres six (6) régions du Niger à savoir : Agadez, Diffa, Dosso, Maradi, Tahoua et Zinder.
Toutes les unités de ces régions en charge de constat d’accidents ont été formées sur le remplissage et la transmission du BAAC et sur l’usage du Global Positioning System (GPS) utilisé pour recueillir les coordonnées géographiques sur les lieux d’accidents. Tout récemment, en avril 2024, les cadres de l’ANISER et les points focaux de la Police nationale et de la Gendarmerie nationale ont été formés à l’utilisation des smartphones dans la collecte de données des accidents de la route.
Actuellement, c’est grâce à cette Base des Données que nous fournissons, chaque année, des statistiques fiables sur les accidents de la route au Niger aux pouvoirs publics et à nos partenaires.
Quels sont les obstacles auxquels l’Agence fait face actuellement dans l’accomplissement de ses missions ?
Les obstacles sont d’ordre financier, humain et matériel. Financier, car le Budget de l’ANISER pour l’année 2024 n’est que de 451 millions, en diminution par rapport à celui de 2023. A titre comparatif, celui des autres pays membres de l’Alliance des Etats du Sahel (AES) est de 2 milliards pour le Mali et 3 milliards pour le Burkina Faso. D’où l’urgence de créer le fonds national de la sécurité routière pour le compte de l’ANISER et lui allouer une subvention budgétaire conséquente. L’autre obstacle réside dans le manque de matériels et d’équipements de contrôle routier et pour le personnel l’ANISER dispose de moins de vingt (20) agents.
Nous nous attelons à trouver des solutions à ces obstacles, le plus rapidement possible, pour permettre à l’ANISER de bien remplir sa mission.
Quel est votre appel à l’endroit des différents acteurs de la sécurité routière au Niger ?
L’appel que je lance est une interpellation de tous les acteurs de la sécurité routière pour une synergie d’actions pour lutter contre le fléau de l’insécurité routière. Que nous soyons du secteur public ou du secteur privé, citadins ou paysans, femmes, hommes ou enfants, nous sommes tous concernés et impactés par les accidents de la route. Soyons prudents sur les routes et respectons le code de la route car le respect de la réglementation routière est un acte patriotique.
Interview réalisée par Farida Ibrahim Assoumane (ONEP)