Situé à plus de 1600 km de Niamey, la capitale, le Kawar (région d’Agadez) qui regroupe : Bilma, Djado, Fachi et Dirkou, regorge de nombreuses potentialités, qui n’attendent que leur mise en valeur. La commune de Dirkou, qui a une population estimée à plus de 15.000 âmes en 2016, à elle seule, possède comme opportunités la phœniciculture (culture de dattes), qui est une spéculation de rente, la production du sel, du natron, auxquelles s’est récemment ajouté le phénomène des migrations clandestines. Le président du conseil communal de Dirkou, Mahamat Boubacar Djaram nous parle de toutes ces potentialités, des contraintes ainsi que des perspectives de la commune rurale de Dirkou.
Monsieur le Maire, quelles sont les potentialités dont regorge la commune de Dirkou ?
Comme potentialités à Dirkou, nous avons la culture des palmiers dattiers (phœniciculture) qui constitue une des activités traditionnelles et de rente de tout le Kawar. Notre parc dattier est le plus important du département de Bilma. Nous sommes aussi une des communes qui produit du natron dont le natron rouge d’Achounouma et le natron blanc d’Argui. Comme autres potentialités, nous avons aussi le maraîchage qui était avant associé à la production du palmier dattier dans des jardins qui ne sont pas très loin du village. Aujourd’hui, les gens la pratiquent sous forme moderne sur des vastes superficies. Nous avons aussi, parmi ces potentialités, les nappes phréatiques qui ne sont pas à plus de trois ou cinq mètres et qui peuvent faciliter le maraîchage. L’autre potentialité peut être liée à tout cela, c’est l’eau qu’on a en faible profondeur en grande quantité. On a des forages traditionnels que les villageois font en quantité pour faire le maraîchage et la phoeniciculture. S’y ajoutent l’espace qu’on a jusqu’à ‘‘Dune 400’’ le puits de l’Espoir sur au moins 350 km. Comme potentialités touristiques, nous avons les différents Forts d’Achounouma, de Dirkou même, et celui de Chimindou. Ce sont des anciennes installations autour de la falaise que nous sommes en train de vouloir valoriser. Pour les potentialités culturelles, c’est là où on a beaucoup régressé, c’est pourquoi nous sommes avec Garkua et l’OIM, en train de vouloir valoriser ce que les communes de Fachi et de Dirkou ont su garder de leurs traditions, leur patrimoine culturel et matériel. Mais la commune de Dirkou a presque tout perdu, cela nous tient à cœur et c’est un des aspects de la migration et du brassage. D’autres potentialités très importantes pour notre commune sont le sel et le natron dont la production est saisonnière. Le sel blanc est produit pour la consommation humaine et le sel de couleur brune est destiné à la consommation animale. L’exploitation du natron de la mare d’Achounouma réunit, chaque fin de l’année, entre octobre et novembre, de nombreuses personnes qui installent des maisons temporaires à base de feuilles de palmiers pour la campagne d’extraction du natron. C’était un trajet de plusieurs kilomètres que nous parcourions à pieds pour assister à ces festivités chaque année, car c’est une grande fête comme celle des mariages des palmiers dattiers. Ces denrées, très prisées, sont exportées vers plusieurs localités nigériennes (Madaoua, Madarounfa, Baleyara, Niamey, Zinder, etc) et dans d’autres pays africains comme le Nigeria, le Bénin, le Burkina, le Togo, le Ghana, etc. Il faut rappeler que ‘‘la Route du Sel’’ part de l’Air, traverse le désert du Ténéré et arrive enfin à Bilma où se trouvent les salines, lieu d’extraction du sel indispensable aux transactions. Cette route a fait l’objet d’un commerce caravanier pendant plusieurs siècles. Au cœur de la transaction : l’échange du mil contre du sel et des dattes. L’exploitation des salines qui était du seul ressort des populations autochtones, dépassait le cadre de l’économie locale et le natron constituait la denrée principale du courant commercial. Il est donc important de revaloriser ces deux filières, et cela ne peut se faire qu’à travers ce qu’on appelle le développement économique local (DEL). La faible valorisation des productions, la menace d’ensablement, le coût de transport dû à l’enclavement des zones de production, la concurrence des produits industriels, constituent aujourd’hui les différents défis liés à l’exploitation et à la commercialisation des filières du sel et du natron. L’autre potentialité, à mon avis est économique, il s’agit du marché moderne de Dirkou, qui est installé depuis les années 90 et qui est également le fruit de la migration et du passage migratoire, et qui aujourd’hui, ravitaille en vivres les communes de Fachi et de Bilma.
Maintenant, quelles en sont les contraintes et les perspectives ?
Il y a des sérieux défis, pour la culture du palmier dattier, c’est la question de la commercialisation, le problème même de sa production. Car celle-ci est restée archaïque et rudimentaire avec des moyens ancestraux. Et aujourd’hui la population a augmenté pendant que la quantité de la production des dattes a régressé. Du coup, il y a un fossé assez grand et les jeunes ont compris que cette culture ne peut pas les faire vivre. Ils sont dans d’autres activités. Le défi lié à cela c’est le délaissement des activités traditionnelles par ces jeunes, au profit de la migration et du transport. Le peu de dattes qu’on arrive à récolter ne se commercialise pas. Mais ce que les gens ne comprennent pas, c’est que les dattes du Kawar sont vendues dans le manga, un peu dans le Damergou mais aussi au Nigéria. A cela s’ajoute la contrainte de la concurrence des dattes étrangères qui viennent de l’Algérie et de la Libye, qui sont de très bonne qualité et que les consommateurs préfèrent plus que celles du Niger. Il y a donc un manque de publicité et de visibilité pour nous même, le manque de transformation car, nos dattes peuvent être transformées en beaucoup de sous-produits comme par exemple le ‘’Arça’’(ou dattes pilées avec de l’arachide grillée). C’est la même chose pour le natron, qui est vendu à 750 francs le sac de 100kg, et revendu entre 10 à 15.000 francs à Kano au Nigéria. C’est surtout le transport qui coûte cher dans ce circuit. Il faut seulement revaloriser la filière, et cela ne peut se faire qu’à travers ce qu’on appelle « Développement Economique Local (DEL) ». Pour le maraîchage, le défi c’est l’encadrement technique. Nous avons un seul directeur, responsable de l’agriculture à Bilma, qui manque de moyens suffisants pour faire son travail. Nous avons vu le résultat de cette année 2021 avec la présence d’un technicien de l’environnement et de l’agriculture mandaté par l’Ong Garkua sur lequel on a mis 17 agriculteurs modèles. Il les a encadrés, les a suivis du début jusqu’à la fin. Aujourd’hui, la tomate que vous voyez partout, est produite à Dirkou, que l’on amène à Bilma, au Djado et jusqu’à Agadez. Nous demandons donc à l’Etat la mise à disposition d’un agent d’agriculture des services techniques qui sont indispensables pour les activités qui se font dans la commune. Pour le tourisme et la culture, c’est là que le bât blesse, même les collectivités n’ont jamais initié des idées pour la revalorisation des activités touristiques. Ça aussi c’est la responsabilité primaire des collectivités, au moins au niveau de l’éducation, il faut initier ces genres d’activités. A Dirkou, les activités culturelles sont totalement à terre, en dépit des appuis de certains partenaires comme Garkua. Je pense que cela est surtout dû à l’apparition dans les années 1990 du mouvement ‘‘Izala’’, qui a interdit les tam-tams et les soirées nocturnes, qui empêchait les jeunes de “s’eclater”. L’autre défi, c’est la migration qui a beaucoup d’aspects positifs mais aussi négatifs, avec souvent la difficile cohabitation entre les migrants et les autochtones. Au niveau socioéconomique, on constate un abandon des activités économiques par des jeunes. On accorde des subventions jusqu’à 1 million pour la culture maraîchère, sur les vingt jardins financés, il n’y a pas 3 qui sont fonctionnels. On vend tout pour se rendre en Libye. Les jeunes ne croient plus aux activités traditionnelles. Depuis 2018, les communes du Kawar sont en train de réfléchir sur comment ramener les jeunes à reconsidérer leurs positions. Comme autre défi au niveau de l’éducation, la pression sur les infrastructures de l’éducation. Actuellement on a trois blocs de classe, offerts par l’OIM et qui sont en chantier. Nous avons dans le pipeline, 6 blocs de classe encore à Dirkou. Pour la santé, à Dirkou on a construit deux salles d’observation, deux maternités et on projette de construire un autre bloc d’observation pour les hommes. Pour l’hydraulique, on avait un mini AEP de 25 m3 jusqu’en 2018, PROGEM et OIM ont ramené la capacité de cet AEP à 100 m3 et même avec ça, on a encore des problèmes d’eau à Dirkou. C’est vous dire la pression sur ces infrastructures au niveau de l’éducation et de la santé. La conséquence de la migration nous oblige à concentrer nos activités autour de la santé et de l’éducation. Le défi de l’éducation est en lien avec la migration parce que depuis les années 90-2000, même si la barre du taux d’alphabétisation n’a pas chuté, au finish le résultat de ceux qui vont jusqu’au lycée est en baisse. Les jeunes arrêtent l’école à partir de la 3ème. Et on n’a pas un système alternatif de formation professionnelle réellement adapté. C’est surtout les filles qui étudient, les garçons sont surtout pressés d’aller en Libye. Comme solution, on a fait deux rencontres avec l’UNICEF pour financer un forum sur l’éducation et la migration avec tous les acteurs, qu’on puisse partager ces genres d’informations sur les chiffres d’abandon des garçons, et les alternatives. Le défi de la migration en lien avec la cohésion sociale et la sécurité, c’est la méfiance entre les locaux et les Forces de défense et de sécurité (FDS). Ce climat a comme conséquence une faible ou mauvaise collaboration entre les acteurs essentiels de la paix, les FDS qui détiennent la Force publique et la population qui détient les renseignements. Pour cela, la Haute Autorité à la Consolidation de la Paix (HACP) est en train de faire des initiatives en vue de créer un Comité de paix qui peut réfléchir sur des probables brimades et problèmes et qui peut prendre les devants pour prévenir les conflits. L’autre défi, c’est les questions des jeunes et des femmes. Ce sont des appuis des partenaires qui ne viennent pas directement chez les femmes et les jeunes, et qui n’ont pas d’autres activités de nature à les autonomiser. En résumé, je dois dire que le Kawar, en général et Dirkou en particulier, cette zone enclavée en proie aux flux migratoires dans un contexte d’insécurité et de divers trafics, dispose d’énormes potentialités (dattes, sel, natron, patrimoines culturels, réserves eaux, ressources minières dont or et pétrole) est en butte à l’enclavement, à la faible valorisation de ses richesses et à la faible intervention des partenaires. En raison de cet enclavement et des longues distances qui relient les zones de production et les zones de commercialisation, qu’il s’agisse des marchés du sud de la région de Zinder, de Diffa ou même du chef-lieu de la région qu’est Agadez, les prix de revient sont extrêmement bas. Dès notre installation au niveau communal, nous avons commencé à faire un certain nombre de plaidoyers au niveau de l’Etat et de nos partenaires pour un appui, non seulement pour la commercialisation, mais pour l’amélioration de la principale production économique qu’est le sel et les dattes et maintenant des productions maraîchères. Je suggère de doter les exploitants des moyens de transport pour la commercialisation des dattes vers les autres régions du Niger ; de lutter contre l’ensablement des oasis. Mais pour cela, il serait nécessaire avant tout d’effectuer une étude préalable sérieuse en se basant sur un relevé photographique aérien permettant d’établir un plan d’action réaliste et réalisable. La stabilisation des sables conditionne l’exploitation des jardins et la pratique des sous-cultures et cultures associées. Celles-ci étant absolument nécessaires pour l’existence des populations. Il serait même possible de créer des secteurs de cultures irriguées à l’aide de forage. Ce qui permettrait, d’améliorer la production des dattes et des cultures maraîchères surtout durant ces dernières années où la ruée vers l’or du Djado a drainé une forte concentration des orpailleurs. Il faut aussi initier des actions d’intensification agricole comme des périmètres irrigués intensifs pour les palmeraies avec sous-cultures et cultures associées qui pourraient porter surtout sur les secteurs de l’Agram-Kawar où la population sédentaire s’intéresse aux problèmes agricoles notamment à Fachi, Chimoundour, Bilma et Séguédine. Des formations de renforcement des capacités des exploitants et des campagnes de vulgarisation des méthodes culturales appropriées doivent être organisées pour encourager la production des dattiers et des cultures associées, sont aussi nécessaires pour développer le Kawar.
Par Mahamadou Diallo(onep), (Envoyé Spécial)