Au terme d’une mission de quatre jours au Niger, le Vice-président de la Banque Mondiale pour l’Afrique de l’Ouest et Centrale, M. Ousmane Diagana a accordé une interview exclusive à l’ONEP. Dans cet entretien à bâtons rompus, M. Diagana revient sur les raisons du choix de trois pays du Sahel (Burkina Faso, Mali et Niger) pour sa première sortie depuis sa prise de fonction. L’impact des crises sécuritaire et sanitaire sur les pays du Sahel ; les initiatives de la Banque mondiale en cours et celles à venir étaient aussi abordées au cours de cet entretien. Le Vice-président de la Banque Mondiale pour l’Afrique de l’Ouest et Centrale, n’a pas manqué de souligner les progrès réalisés par le Niger. Des progrès qui ne surprennent guère ce «Sahélien fier du passé glorieux du Sahel, de sa contribution au patrimoine mondial» surtout quand on connaît son optimisme quant au devenir du Niger et de la région du Sahel en général. «Je pense que dans cinq ans, le Niger sera un pays qui se transformera de manière significative dans l’intérêt de ses populations», tranche M. Diagana.
Monsieur Ousmane Diagana, vous venez de procéder, avec le Chef de l’Etat, au lancement d’un nouveau projet dénommé ‘’LIRE’’. Pourquoi le choix de l’éducation ? Quels sont les objectifs attendus de ce projet ?
Merci beaucoup, l’éducation est un secteur prioritaire pour le gouvernement du Niger. C’est un secteur qui est aussi central dans les objectifs du développement économique et social d’un pays. Nous nous n’interviendrons pas que dans le secteur de l’éducation. Nous avons un portefeuille de plus de 30 programmes au Niger, dont près de 20 programmes nationaux et une dizaine de programmes régionaux qui couvrent des secteurs divers et variés : les infrastructures, les routes, l’énergie, l’agriculture, l’accès à l’eau potable, la santé, un programme dédié à l’adaptation à la problématique changement climatique.
Aujourd’hui, nous sommes très fiers d’avoir contribué avec ce programme pour la mise en œuvre de la vision du nouveau Chef de l’Etat qui a placé l’éducation au centre de ses priorités. Comme je l’ai dit ce matin dans mon intervention, c’est une compilation des efforts que la Banque Mondiale a toujours faite dans le domaine de l’éducation. Je pense, aussi longtemps que je me souvienne, on a toujours financé l’éducation de manière holistique, du primaire jusqu’à l’enseignement supérieur en passant par l’enseignement technique et professionnel.
Et la communauté des partenaires au Niger a également négocié beaucoup de ressources dans le secteur de l’éducation. Mais quel que soit ce que nous ferons dans le secteur de l’éducation, on n’aura des impacts plus visibles et tangibles que lorsqu’on investira davantage sur la formation des enseignants, sur le renforcement de la qualité c’est-à-dire les ingrédients essentiels pour une bonne éducation qui sont la disponibilité, des manuels scolaires, la formation continue des enseignants, la mise en place des enfants dans les bonnes conditions y compris d’avoir accès à la bonne alimentation, la proximité de l’école avec les lieux de résidence des populations. Evidemment les objectifs vont tarder à se réaliser et c’est pourquoi nous allons continuer à investir significativement dans ce secteur.
M. Ousmane Diagana, vous séjournez au Niger dans le cadre d’une série de visites dans trois pays du Sahel à savoir le Burkina Faso, le Mali et le Niger, qu’est ce qui a motivé le choix de ces trois pays pour votre première sortie depuis votre prise de fonction ?
Ces trois pays sont des pays du Sahel, des pays qui sont confrontés à des défis de développement communs, des pays qui font face à une crise sécuritaire depuis quelques années, des pays qui sont affectés par le changement climatique, des pays dont les économies ont été particulièrement éprouvées par la COVID-19, mais également des pays pour lesquels la Banque Mondiale a décidé d’accroitre de manière significative ses financements.
Il y a un an et demi, un des responsables de la Banque Mondiale m’a précédé ici, il avait annoncé que dans le cadre deses financements pour les trois prochaines années en plus de tout ce que nous avions fait au niveau de ces trois pays là, on va ajouter une enveloppe de 8,5 milliards de dollars. Cette enveloppe a commencé à se matérialiser par des projets concrets.
Notre visite dans ces pays nous a permis de voir dans quelle mesure on peut accélérer la mise en œuvre des projets qui existent, mais également la poursuite d’un dialogue fructueux avec les autorités pour la préparation de nouveaux programmes. Certains de ces programmes seront nationaux c’est-à-dire spécifiques à chacun des pays, d’autres seront régionaux y compris par exemple un projet très important qui est emblématique qu’on appelle projet de la zone trois frontières dans le Gourma qui concerne le Burkina Faso, le Mali et le Niger.
M. Diagana, on se rappelle qu’en décembre 2020, à un moment où la situation sécuritaire était encore très critique dans la zone sahélienne, vous aviez publié une tribune assez retentissante sous le titre ‘’Une vie meilleure au Sahel est possible’’, dont notre journal a d’ailleurs fait un large écho. Qu’est-ce qui justifie cet optimisme affiché pour le Sahel ? Est-ce que cet optimisme est toujours de mise chez vous ?
Absolument ! Je pense que nous sommes tous sahéliens dans cette salle. Nous sommes fiers du passé du Sahel, de sa contribution au patrimoine mondial et nous reconnaissons aussi l’existence de talents au niveau du Sahel, que ce soit sur le plan des ressources humaines, sur le plan culturel, mais également sur le plan du potentiel économique. Il est aujourd’hui difficile de trouver dans le monde des pays qui ont un potentiel plus important que les pays du sahel dans le domaine de l’agriculture et de l’élevage. L’économie se développe grâce essentiellement à l’agriculture. C’est un secteur de création de richesse par excellence ; c’est un secteur qui crée de l’emploi ; c’est un secteur qui génère de revenus ; c’est un secteur qui permet aux gens de ne pas avoir faim notamment ceux qui s’y adonnent, mais également les consommateurs.
Donc, avec une bonne gouvernance, des institutions de qualité, des investissements appropriés dans des secteurs qui débloquent les goulots d’étranglement et les contraintes au développement des autres secteurs, le Sahel renouera avec son passé glorieux en créant des conditions d’une vie meilleure pour ses enfants d’aujourd‘hui et du futur.
C’est cela le sens de notre lutte et nous travaillons à la fois avec des projets spécifiques. Dans le cadre stratégique que nous avons développé pour l’Afrique de l’Ouest et l’Afrique centrale, se trouvent des interventions particulières pour le sahel. Nous allons veiller à la mise en œuvre de ce programme. C’est pour cela que je pense que vous ne serez pas fatigués de moi, parce que vous allez me voir très souvent au Niger.
Mais l’inquiétude, M. Diagana, c’est que dans ce genre de situation, les interventions des institutions comme la Banque Mondiale concernent le plus souvent les secteurs formels. Or on sait que pour le cas des pays du Sahel, le secteur informel occupe une part importante dans l’économie et il n’a pas été épargné par ces crises. Comment comptez-vous intégrer ce secteur dans vos appuis ?
Vous avez parfaitement raison de poser cette question. Je pense que cela fait partie de changement de paradigme que nous voulons avoir au Sahel. Hier après-midi, j’étais sur le site d’apprentissage agricole de Say où nous avons financé un centre de formation qui récupère des enfants qui n’ont pas réussi dans des cycles scolaires. Pour ne pas les abandonner, il faut leur donner une deuxième chance.
Nous avons aussi ciblé des filles comme des garçons qui n’ont pas eu la chance d’aller à l’école pour leur donner une formation rapide, adaptée pour qu’ils puissent à la fin s’adonner à des activités de production et de transformation dans le secteur de l’agriculture. C’est à travers ces formations qu’un nouveau type de secteur informel et formel va se mettre en place. Je pense qu’avec le renforcement des capacités des jeunes, accompagné d’un financement approprié, nous avons aujourd’hui des projets qui se mettent en place. Nous travaillons ensemble à cela pour justement faire en sorte que tout celui qui a le potentiel pour pouvoir contribuer à quelque chose, que ça soit dans le secteur public ou privé, formel ou informel, qu’il puisse avoir la chance de participer à la croissance économique du pays.
Lorsque nous parlons de création d’emplois, nous savons aujourd’hui que dans les différents pays de la sous-région, la plupart des personnes qui travaillent sont dans le secteur informel. Et si les revenus qu’elles arrivent à tirer de ce secteur informel ne sont pas suffisants pour les faire sortir de la pauvreté, c’est que la façon dont l’appui à ce secteur a été fait n’est pas appropriée. Nous avons des programmes qui contribuent justement à travers des renforcements des capacités, mais également des reformes sectorielles et structurelles pour faire en sorte que l’économie dans son ensemble puisse se compléter, y compris la contribution du secteur formel et informel.
Au cours de votre séjour, vous avez certainement eu à faire le point sur l’état de la coopération entre la Banque mondiale et le Niger ? Quels sont les domaines où on a enregistré des succès et quels sont ceux qui nécessitent des améliorations ?
J’ai l’habitude de dire que le développement est une œuvre de longue haleine et qu’il n’est jamais un fleuve tranquille, surtout lorsqu’on opère dans une situation où les crises sont importantes et récurrentes. Donc quel que soit le progrès qui a été réalisé dans ce processus, il faut le reconnaître et garder le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide.
Quand je regarde le secteur de l’éducation, (on en a longuement parlé ce matin à l’occasion du lancement du projet LIRE-Niger), malgré toutes les insuffisances qui restent, lorsqu’on voit que le Niger a atteint un taux d’accès à l’éducation primaire qui dépasse les 70%, on doit célébrer ça. C’est un progrès pour un pays qui, lorsqu’il a accédé à l’indépendance avait un taux d’accès à l’éducation de seulement 3%. Certains pays de la sous région comme le Bénin ici à côté, avaient un taux d’accès l’éducation de 30% au moment il accédait à l’indépendance.
Quand on regarde la taille du Niger, on se rend que c’est un véritable défi pour amener des enfants à l’éducation. Il faut construire des écoles dans le vaste territoire, il faut recruter et affecter des enseignants. C’est donc des ressources assez significatives qui ont été allouées à ce secteur. Et lorsqu’on fait ces efforts de construction, il est clair que d’autres éléments importants qui contribuent à l’amélioration de la qualité ne seront pas suffisamment financés.
C’est pourquoi, nous devrons simplement continuer à travailler ensemble en se disant qu’est-ce qu’on peut faire davantage pour le chemin qui reste à parcourir. Je préfère aborder la question sous cet angle plutôt que de dire qu’il ya des insuffisances, parce que les insuffisances seront toujours là.
L’autre secteur que j’aimerais évoquer, et il n’est pas le seul avec l’éducation, mais il est extrêmement important pour ouvrir des opportunités pour tout le monde, c’est le secteur de l’énergie. Le taux d’accès à l’énergie au Niger est aujourd’hui de 20%. Lorsque j’ai quitté mes fonctions ultérieures de Responsables des opérations pour les pays du Sahel il ya huit (8) ans, le Niger était à peine à 11%. C’est dire le pays a pratiquement doublé le taux d’accès à l’énergie en 11 ans. Vous savez, il est plus difficile de faire des progrès lorsqu’on vient de très bas que lorsqu’on est à une échelle plus élevée. C’est pourquoi, je suis parfaitement optimisme que dans les quatre ou cinq années à venir, le Niger pourra doubler son taux d’accès à l’énergie pour passer de 20% à 40%.
Un renforcement du système éducatif, accompagné de l’accès du maximum de la population à l’énergie permettra aux secteurs de l’agriculture, de l’élevage, de l’artisanat pour ne citer que ceux là, de se développer. Je pense que dans cinq ans le Niger sera un pays qui se transformera de manière significative dans l’intérêt de ses populations.
Vous connaissez bien le Niger, pour avoir été en poste à Niamey. Après quelque temps d’absence, on dirait que vous gardez encore des liens particuliers avec ce pays…
J’ai des liens particuliers avec le Niger ! Je me sens Nigérien en étant un Africain et un Sahélien. Quand j’étais en poste ici, il n’ya pas une seule région que je n’ai visitée au Niger. J’ai été partout jusqu’à Diffa (NDLR : Diffa est à environ 1500 km de Niamey). J’ai été toujours impressionné par la résilience des populations nigériennes.
Quand on voit les conditions de vie dans un pays aussi vaste avec des zones désertiques, un pays qui est aussi entouré des pays en conflits, je salue les efforts des Nigériens d’abord les populations nigériennes pour leurs efforts pour s’adapter à ce contexte assez difficile. Mais je salue aussi les efforts des gouvernements qui se sont succédés à la tête du Niger, eux qui ont pu assurer dans ce contexte, je pense pour l’essentiel, des conditions de sécurité. Lorsqu’on regarde le voisinage du Niger, on se dit que ce pays a pu garder l’essentiel, c’est-à-dire un Etat qui fonctionne et qui travaille pour ses populations même si il existe des défis sécuritaires importants.
Vous avez dit que vous êtes Nigérien. Oui, car vous comptez parmi vos multiples distinctions celle de Commandeur dans l’Ordre du mérite du Niger. Aussi, cette visite est comme un retour en zone pour vous, mais qu’est-ce qui vous a le plus frappé en posant le pied à Niamey, à votre arrivée ?
D’abord, je tiens à renouveler mes remerciements aux autorités nigériennes pour cette distinction (NDLR : Commandeur dans l’Ordre du mérite du Niger) qui en réalité s’adresse à tout le staff de la Banque Mondiale qui travaille au Niger, aussi bien ceux qui sont ici que ceux qui sont ailleurs, qui travaillent sur le Niger et qui viennent régulièrement en mission. Je crois que cette distinction est la reconnaissance de leur engagement en faveur du Niger et de l’impact qu’ils ont pu avoir. Moi je suis juste à un niveau de signature (sourire). Et j’ai toujours dit à mes collègues que lorsque la situation de la Covid me permettra de voyager, l’un des tous premiers pays que je vais visiter sera le Niger. C’est un pays qui me tient beaucoup à cœur. Et je ferai en sorte que toutes les promesses que nous avons faites au cours de cette mission se concrétisent. Quand je reviendrai, on aura l’occasion de faire le compte.
Enfin, l’une des choses qui m’a beaucoup frappé, c’est le nouvel aéroport. La Représentante résidente ne m’en as pas informé, elle voulait me faire la surprise. Et c’en est vraiment une ! Quand je quittais Niamey, ce n’était pas cet aéroport là. De même, je constate qu’il y a une totale transformation de la ville de Niamey, et cela fait partie du processus de transformation d’un pays.
Réalisée par Assane Soumana et Siradji Sanda(onep)