Monsieur le Commissaire, la CEDEAO a pris en 2020 une Directive relative à l’harmonisation des spécifications des carburants automobiles (essence et gasoil) dans son espace (Directive C/Dir.1/9/2020), qu’est ce qui a motivé l’adoption de cette Directive ?
Je rappelle que la Directive C/Dir.1/9/2020 relative à l’harmonisation des spécifications des carburants automobiles (essence et gasoil) a été adoptée par le Conseil des Ministres et endossée par la Conférence des Chefs d’Etat et de Gouvernement de la CEDEAO en septembre 2020 à Niamey. S’agissant des motivations qui ont conduit à l’adoption de cette Directive, il convient d’indiquer dans un premier temps que notre espace régional qui regorge de nombreuses potentialités énergétiques, notamment du pétrole et du gaz, reste malgré tout, tributaire du marché international pour satisfaire sa demande en carburant. En effet, selon nos dernières statistiques, sur une demande annuelle estimée à environ 29 millions de tonnes (essence et gasoil), près de 80% est importé et cela, malgré l’existence de huit raffineries dans la communauté. Pourtant, nous disposons d’une capacité installée de 31 millions de tonnes par an, donc pouvant couvrir théoriquement la demande. Ensuite, nous avons relevé une forme de carence réglementaire matérialisée par une divergence des spécifications d’un pays à un autre, particulièrement la teneur en soufre du gasoil et de l’essence, situation qui offre ainsi l’opportunité aux traders de livrer dans la région des carburants à des teneurs en soufre excessivement élevées par rapport à la pratique et normes internationales. Vous savez comme moi que la combustion des carburants à forte teneur en soufre entraine des rejets de polluants avec des impacts négatifs sur la qualité de l’air et la santé des populations. La nécessité pour notre région d’introduire des spécifications harmonisées des carburants automobiles s’est donc avérée impérative compte tenu de ce qui précède mais aussi pour le développement d’un véritable marché intégré des hydrocarbures dans notre espace.
Je voudrais profiter de votre lucarne pour remercier les Ministres en charge du secteur des hydrocarbures de la CEDEAO qui ont bien perçu les enjeux liés à cette problématique et qui y ont apporté tout le concours nécessaire en instruisant la Commission de la CEDEAO d’élaborer ce texte communautaire, de même que nos partenaires de l’Association des Raffineurs et Distributeurs Africains (ARDA), l’Organisation des Producteurs de Pétrole Africains (APPO) et le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE). Enfin, je vous informe qu’en réalité ce sont deux Directives qui sont complémentaires qui ont été adoptées aux mêmes dates. La seconde Directive C/DIR.2/9/2020 est relative à l’harmonisation des limites d’émission des gaz d’échappement et de particules des véhicules légers, lourds, à deux roues, tricycles et quadricycles dans l’espace CEDEAO en collaboration avec les Ministres en charge de l’Environnement.
Pour les profanes, en quoi consiste concrètement la spécification des carburants automobiles ?
De manière très simple, il faut comprendre par spécifications des carburants, un document réglementaire ou une norme, qui établit pour chacun des carburants, les teneurs admissibles d’un certain nombre de paramètres dont la détermination permet d’apprécier la qualité et la conformité du combustible. Ces paramètres sont vérifiés par l’autorité publique avant la mise en consommation publique. Au niveau des Etats membres de la CEDEAO, ces spécifications sont soit édictées par le Ministère en charge des hydrocarbures, soit par l’organe de régulation du secteur pétrolier aval pour les pays qui en possède. La Directive émise par la CEDEAO a été très pointilleuse car elle concerne 35 paramètres pour l’essence, et 25 pour le gasoil. Les paramètres les plus essentiels sont la teneur en soufre, la teneur en benzène, la teneur en manganèse, l’indice d’octane, l’indice de cétane etc…Particulièrement, concernant la teneur en soufre, les spécifications harmonisées la fixe à 50 ppm(ppm : partie par million, indicateur du niveau de qualité) pour l’essence (contre des teneurs comprises entre 50 et 3500 ppm actuellement dans la région) et à 50 ppm pour le gasoil (contre des teneurs comprises entre 50 et 10.000 ppm actuellement dans la région).
Les technologies et l’expertise nécessaires pour faire ce travail, sont-elles disponibles dans l’espace communautaire?
Je peux vous assurer qu’au sein de notre région, la plupart des structures habilitées possèdent l’équipement et l’expertise nécessaires pour analyser les carburants et s’assurer de leur conformité vis-à-vis des spécifications édictées par la Directive. Bien évidemment, la Directive harmonisée de la CEDEAO étant plus détaillée, certains laboratoires pourraient nécessiter des équipements additionnels pour pouvoir analyser certains paramètres. Mais de manière générale, l’analyse des carburants est un exercice permanent qui se fait régulièrement sous la supervision des Ministères en charge des hydrocarbures ou des structures compétentes dans les Etats membres. De même, les raffineries ont en leur sein des laboratoires qui assurent un premier niveau de d’analyse des carburants produits. Ce qu’il faut retenir, c’est qu’aucun gouvernement ne mettra en consommation du carburant qui ne respecte pas les spécifications officielles nationales. Dans chaque pays, il existe des textes nationaux sur les normes des carburants.
Quels sont les objectifs visés à travers cette Directive ?
La CEDEAO s’est résolument engagée dans la perspective de passer d’une CEDEAO des Etats à une CEDEAO des peuples. Cela sous-entend, que l’ensemble des actions que nous posons vise à concourir au bien-être et à l’amélioration des conditions de vie des populations. Cette Directive vise dans un premier temps à préserver la santé des populations et à améliorer la qualité de l’air à travers l’utilisation de carburants plus propres dans la région, dans la perspective d’un développement durable. Ensuite, notre objectif est également de développer un marché régional intégré des hydrocarbures et donc promouvoir le commerce intrarégional des produits pétroliers pour renforcer la sécurité énergétique dans notre espace. A l’image des autres secteurs (mines, énergie, agriculture, transport, eau, télécoms, genre, éducation, culture, etc..), le secteur des hydrocarbures doit avoir ses propres textes communautaires pour une harmonisation et un alignement par les Etats membres.
Que fait la Commission de la CEDEAO et particulièrement le Département dont vous avez la charge pour accompagner les Etats membres dans la mise en œuvre de cette Directive ?
La Directive ayant été adoptée, il revient aux Etats membres de prendre les mesures nécessaires en vue de son application. Nous accompagnons les Etats membres dans ce processus à travers un rôle de conseils et d’appuis.
Il faut rappeler que le Département travaille en étroite collaboration avec les Etats membres pour aboutir à cette Directive, dont la mise en application est censée avoir débutée depuis le 1er janvier 2021 pour les importations hors CEDEAO et le 1er janvier 2025 pour la production émanant des raffineries locales de l’espace comme la SORAZ par exemple. Dans ce cadre, nous conduisons actuellement des missions de sensibilisation dans les Etats membres au cours desquelles nous abordons avec les autorités compétentes, les actions et dispositions déjà entreprises par celles-ci pour transposer la Directive dans les spécifications nationales, les difficultés rencontrées et les solutions envisagées. Nous avons déjà visité dans ce cadre 5 pays que sont le Niger, le Burkina Faso, le Mali, la Côte d’Ivoire et le Sénégal. Notre mission consistera également à créer une plateforme d’échanges pour permettre aux Etats membres de partager leurs expériences spécifiques et à faire le plaidoyer nécessaire auprès des Etats pour un accompagnement des raffineries en vue de leur mise en conformité.
Notre sensibilisation touche aussi la seconde Directive sur son volet de l’âge des véhicules à l’importation. Ainsi, il a été adopté la limitation d’âge d’importation des véhicules a cinq ans pour les véhicules légers, les engins à deux roues, les tricycles et les quadricycles et à dix ans pour les véhicules lourds. Toutefois, une dérogation de dix ans est accordée aux pays n’ayant pas encore arrêté ces limites d’âge pour se mettre progressivement à jour.
Quel est le niveau actuel de mise en œuvre de ladite directive au sein de l’Espace ?
Nous avons noté un début d’appropriation positive de la Directive au sein des Etats membres malgré quelques contraintes logistiques identifiées mais non insurmontables. La plupart des pays ont déjà engagé des actions allant dans le sens d’une transposition de la Directive et nous avons bon espoir que dans les mois à venir, l’ensemble des pays se conformeront. De manière officielle, les pays qui sont déjà en conformité parfaite avec la Directive avant même son adoption, sont le Ghana et le Cap vert.
Spécifiquement, quelle est la situation du Niger relativement à l’application de cette Directive ?
Je voudrais exprimer à nouveau notre gratitude au Ministère en charge des Hydrocarbures qui a mobilisé ses services compétents, de même que la SONIDEP, la SORAZ, l’ARSE et les Marketers de la chaine pétrolière lors de notre visite au Niger en mai 2021, avec qui nous avons eu des échanges fructueux.
Concernant la situation du Niger, nous pouvons affirmer que les autorités nationales sont bien sensibilisées aux enjeux et à la nécessité de l’opérationnalisation de la Directive C/DIR.1/9/2020. Des dispositions sont déjà en cours pour élaborer des textes nationaux pour l’alignement et la transposition aux clauses de ce document communautaire. Nous ne pouvons qu’encourager le Ministère sur cette voie. Enfin, je vous remercie une fois de plus pour m’avoir accordé cette interview sur un volet de l’énergie, celui des hydrocarbures, dont les contours sont complexes et méconnus du grand public.
Réalisée par Siradji Sanda(onep)