En 2023 encore, dans certaines régions du Niger, des petites filles sont toujours traumatisées par certaines pratiques néfastes qui ont la vie longue, très longue. Contre leur gré, ces filles continuent d’être victimes de ces pratiques et de verser des larmes sous le regard impitoyable de ces femmes aux lames et aux couteaux tranchants qui dans le silence complet procèdent à leur excision. Ni les larmes, ni les gémissements, encore moins le flux de sang qui coule au cours de l’opération ne sauraient arrêter les femmes exciseuses dans leurs œuvres. Sous la bannière de la tradition et même de la religion clament certains, beaucoup de femmes nigériennes sont aujourd’hui handicapées par cette pratique classée parmi les mutilations génitales féminines (MGF) qui en général, présentent des conséquences sur la santé.
C’est certainement pour cette raison que depuis 20 ans, la communauté internationale a institué le 6 Février de chaque année comme journée internationale de lutte contre les Mutilations Génitales Féminines (MGF). Le thème retenu d’ailleurs cette année est : « 20 ans de célébration de la Journée Internationale Tolérance Zéro aux Mutilations Génitales Féminines : bilan, défis et perspectives pour plus de synergie d’actions ». Le jeu, il faut le dire en vaut la chandelle ; les conséquences des MGF sur la santé des femmes sont multiples et multiformes. Plus précisément, Les MGF ont des répercussions graves sur la santé sexuelle et reproductive des filles et des femmes.
Parmi ces conséquences, le chargé des programmes du coniprat (Comité nigérien sur les pratiques traditionnelles) cite l’hémorragie. lorsque le sang refuse de s’arrêter affirme M. Amadou Moumouni Soumaila, cela peut conduire à la mort. « Il y a aussi la mauvaise cicatrisation qui peut impacter sur le bien-être de la femme. Ce sont des pratiques qui peuvent entrainer des difficultés lors de l’accouchement si la femme n’est pas assistée par un spécialiste » ajoute-t-il avant de préciser que la femme peut être même victime d’une fistule vaginale.
En général, selon une source de l’UNFPA, les effets des MGF dépendent du type pratiqué, de l’expérience des praticiennes, des conditions d’hygiène dans lesquelles l’intervention est réalisée, de la résistance et l’état de santé général de la personne qui subit l’intervention. « Des complications peuvent survenir quel que soit le type de MGF, mais elles sont particulièrement fréquentes avec l’infibulation, relève le document. Il précise que certaines complications peuvent survenir immédiatement : douleur violente, choc, hémorragie, tétanos ou infection bactérienne, rétention d’urine, ulcération génitale et lésion des tissus adjacents, infection de la plaie, infection urinaire, fièvre et septicémie. En cas d’hémorragie ou d’infection graves, les mutilations génitales féminines peuvent entraîner la mort ».
Parmi les conséquences à long terme, la même source cite notamment l’anémie, la formation de kystes et d’abcès, le risque accru de transmission du VIH, de complications lors de l’accouchement, ainsi que des répercussions psychologiques.
Malgré tout cela, la pratique est toujours en cours. Ce sont les régions de Niamey, Tillabéri et Diffa qui enregistrent les plus forts taux de prévalence des MGF au Niger. La difficulté dans la lutte contre les MGF explique M. Amadou Moumouni Soumaila, c’est parce que c’est des pratiques qu’on fait en cachette. « Ce n’est pas au vu et au su de tout le monde. Une communauté peut vous dire qu’elle ne la fait pas alors qu’elle la pratique parfaitement. C’est des traditions et vous savez que pour changer de comportement aux uns et aux autres par rapport à leur culture, c’est un peu compliqué », affirme-t-il.
« Mais Dieu merci, avec les différentes interventions, l’adoption de la loi en 2003 qui réprime les MGF, les choses sont en train d’aller dans le sens positif et c’est ce qui nous a valu la baisse de ce taux », ajoute le chargé des programmes du Coniprat. Il explique que selon l’Enquête Démographique et de Santé au Niger (EDSN) de 1998, le taux était de 5% au Niger. En 2006, le taux est tombé à 2,2%. En 2012, l’enquête a révélé 2%. UNFPA a réalisé une étude sur l’ampleur des VBG en 2021 et qui a révélé un taux de 0,7%. « Donc aujourd’hui, on peut se féliciter de ce taux. Et peut-être d’ici 2030 qui est l’année de l’atteinte des ODD, le Niger sera le premier pays à atteindre la tolérance zéro aux mutilations génitales féminines », précise M. Amadou Moumouni Soumaila.
La sensibilisation comme stratégie
En attendant, les stratégies se multiplient pour sauver les petites filles victimes de ces pratiques. « En premier lieu, nous avons la sensibilisation. Nous sensibilisons beaucoup les communautés sur les conséquences de la pratique des MGF » dit-il. Pour protéger les petites filles, d’autres armes comme la reconversion des exciseuses existent selon le chargé des programmes du Coniprat.
Toutefois, la reconversion des exciseuses est un processus à plusieurs étapes. « Nous partons sur le terrain où nous rencontrons d’abord les autorités pour les informer de ce que nous souhaitons faire », explique M. Amadou Moumouni Soumaila. « Puis nous identifions les différentes couches de la communauté : les hommes, les femmes, les jeunes, les adolescentes et adolescents, les gardiens de la tradition, chacun dans sa sphère de compétence. Nous les sensibilisons, nous leur donnons des informations sur les MGF » ajoute-t-il. Nous profitons de ce canal pour identifier les exciseuses, ajoute le chargé des programmes du Coniprat. « Une fois les exciseuses identifiés, nous allons les former sur les droits humains, la santé de la reproduction, les pratiques traditionnelles qui ont des effets sur les femmes et les enfants que ça soit les pratiques néfastes comme les mutilations génitales féminines ou les pratiques positives comme l’allaitement maternel. Nous leur donnons ces informations en premier lieu. Ensuite, nous leur donnons une autre formation qui consiste à leur apprendre comment faire une activité génératrice de revenus (AGR) » souligne le chargé des programmes. Après la formation, indique-t-il, ils leur donnent un micro crédit pour qu’elles fassent une activité autre que l’excision.
« Parallèlement, nous cherchons à identifier certaines femmes influentes dans la communauté que nous mettons autour de ces exciseuses pour constituer un groupement féminin. Donc au lieu de donner le micro crédit uniquement aux exciseuses, nous associons également les autres femmes constituées en groupement. Elles mènent des activités et tous les six mois, nous retournons auprès d’elles pour voir la mise en œuvre et les difficultés qu’elles rencontrent. Si ça marche très bien et qu’elles ont des bénéfices, nous récupérons les montants pour donner à d’autres femmes de la même communauté. Une façon d’autonomiser les femmes pour qu’elles puissent continuer à influer sur la lutte contre les MGF » indique Amadou Moumouni Soumaila.
Comment s’assurer que les exciseuses ont définitivement déposé les lames et les couteaux ? A la fin, répond le chargé des programmes de coniprat, ces femmes-là vont publiquement déclarer l’abandon de la pratique de l’excision. Et c’est toute une cérémonie qui est organisée autour de cette déclaration. Les autorités sont invitées, la communauté est invitée et les femmes viennent jurer devant tout le public qu’elles ont laissé la pratique de l’excision. « A ce jour, nous avons pu reconvertir 186 exciseuses qui ont déposé les lames et les couteaux pour faire des activités génératrices de revenus. Et jusqu’aujourd’hui, nous n’avons pas eu des exciseuses qui ont récidivé. Sauf une seule reconnue finalement comme étant malade. Et par la suite, elle-même a affirmé qu’elle ne pratique plus l’excision », explique M. Amadou Moumouni Soumaila.
Les obstacles dans la lutte contre les MGF
La première difficulté, selon le chargé des programmes de Coniprat, c’est la rareté des ressources. « Les partenaires s’intéressent de moins en moins à la lutte contre les mutilations génitales féminines. Les MGF sont mises aujourd’hui dans le panier des violences basées sur le genre. Ça ne donne pas vraiment l’esprit de lutte que nous avons autour de ce phénomène » affirme le chargé des programmes du coniprat. Ensuite, il y a la résistance au changement, ajoute-t-il avant de préciser ceci : « les communautés tiennent beaucoup à leur culture, à leur tradition. Des fois quand vous venez, les gens vont vous écouter, ils vont vous affirmer qu’ils ne font pas l’excision et aussitôt que vous tournez le dos, ils vont faire ça. Ou bien au moment même où vous vous entretenez avec eux, il y a des filles qui sont en train d’être excisées ».
A ces difficultés est venue se greffer l’insécurité explique Amadou Moumouni Soumaila. « Par exemple dans la région de Tillabéri dans la majorité des poches où l’excision se fait, il y a l’insécurité. Donc on ne peut pas avoir accès à ces zones » ajoute-t-il.
Heureusement, le Niger a adopté la loi n° 2003-025 du 13 Juin 2003, qui réprime les Mutilations Génitales Féminines. Selon M. Amadou Moumouni Soumaila, cet acte prouve l’engagement ferme du Gouvernement à éliminer ces pratiques qui, loin d’honorer la Femme la mettent plutôt dans la situation d’handicap.
Fatouma Idé (ONEP)