
Gabi ce jour-là était rentré chez lui à deux heures du matin. Il était exténué. Il expliqua à Maïrah, son épouse qui l’attendait, qu’il était à une réunion politique qui s’était prolongée jusqu’à cette heure-là. Puis, Gabi se dirigea vers sa « chambre d’homme », dont il était le seul à garder la clé, se dévêtit tout en traversant sa chambre à coucher entra dans sa salle d’eau, pour se rafraîchir, se disait-il. Maïrah le suivit après, pour lui faire son lit. Elle sentit quelques senteurs d’encens typiquement féminins, comme du Tchouraye sénégalais, panachés de ces multiples muscs et autres fragrances exotico-érotiques d’Orient, ces « affaires de Femmes ».
Pendant qu’elle lui faisait son lit, avec dans sa tête un véritable carambolage de pensées atroces, des questions pénibles sur la provenance des féminines émanations des habits de son cher mari. Maïrah était absorbée par ses sombres méditations quand le téléphone portable de Gabi sonna. C’était un BIP.
Maïrah intriguée, rappela machinalement le numéro. Elle n’a pas reconnu le numéro, c’était une femme, qui, sans se faire prier, se mit à parler : « J’ai encore sur la peau l’odeur de ton parfum …je n’ai même pas envie de me laver pour te garder encore un peu en moi….Je compte ces maudites heures qui me séparent de demain pour être dans tes bras mon bébé ! Gabi, tu sais ,tu m’as ensorcelée j’en suis sûre !Ah !Mon DIEU !que ne ferais-je pas pour sentir ton souffle si vigoureux traverser mes pores ,hérisser mes sens, je t’aime tellement Gabi….Hey mon bébé, n’oublie pas que la voiture que t’avais commandée pour maman arrive demain du port, je passerai demain au bureau à l’heure habituelle pour récupérer les deux Millions restants pour les frais de route et de dédouanement comme convenu .Tu sais maman m’embête tout le temps parce que j’ai refusé que tu divorces d’avec Maïrah à cause de moi. Tu sais que c’est ma meilleure amie et que si on s’est connu toi et moi, c’est bien grâce à elle. Bien que tu l’appelles la Vache Qui Rit ….ou plutôt nous l’appelons la VQR….rires…je t’aime mon bébé…je t’embrasse paaaarrrrtout……mooooonnn douououx Gaaabi Mmmmm ! »
Maïrah est restée totalement abasourdie, pétrifiée.
Lorsqu’elle entendit son mari s’apprêter à sortir de la douche, elle finit de faire le lit, coupa la communication, fit tomber le téléphone dans un petit angle entre le lit et la table de chevet et sortit, en espérant que Kiné qu’elle a finalement reconnue par sa voix, rappellerait Gabi. Elle se mit dans une salle attenante, servant de bureau à son mari et elle-même quand elle veut étudier ses cours ou quelques dossiers. Elle attendit en vain. Kiné ne rappellera pas car elle avait cru que Gabi avait interrompu la communication parce que sa femme était désormais à côté de lui. Alors, Maïrah attendit un long moment avant d’envoyer un message. C’était indétectable, car Gabi a son téléphone sur mode « silencieux ». Mais, c’est sans compter avec le fameux sixième sens des femmes. Maïrah savait que Kiné, n’ayant pas rappelé, elle va certainement envoyer un message, car elle connaît Kiné, elle est, ou plutôt était sa meilleure amie. Gabi préparant un voyage pour le surlendemain, son amie voudrait régler toutes les affaires en instance au plus tard demain. Kiné est comme cela, si ça se trouve, ils en avaient déjà parlé Gabi et elle, mais elle doit toujours s’assurer que tout est clair et net quand elle traite une affaire. Il était déjà trois heures du matin.
Pour faire diversion, Gabi appela sa femme auprès de lui. Elle vient le rejoindre dans sa chambre. Entre faux câlins et quelques feintes tendresses, Maïrah lui rappela les cinquante mille francs qu’elle lui avait demandés depuis bientôt un mois, pour faire venir sa vieille mère malade à Niamey pour la faire soigner. Gabi lui demanda d’attendre son retour de voyage, avec ses frais de mission complémentaires, il lui remettrait la somme, dans deux semaines au moins. A ces mots Maïrah se glaça et quitta la chambre sans rien laisser transparaitre. Elle se refugia dans sa chambre. Le reste de la nuit elle le passa à pleurer, pleurer toutes les larmes de son corps. Pendant qu’elle pleurait, elle se remémorait les paroles de Kiné au téléphone de Gabi. Elle résolut de tout faire pour voir le dernier message que celle-ci a certainement envoyé à son mari. C’est décidé, elle va tout faire pour lire ce message. C’est absolument nécessaire.
C’est une question de vie ou de mort se disait-elle, fermement résolue d’en savoir un peu plus sur cette affaire. Depuis combien de temps ces deux-là se payaient sa tête en roucoulant dans son dos, ces œillades furtives sous son propre toit qu’elle refusait de prendre pour des indices, tellement elle se croyait intime de Kiné, et en avait une confiance aveugle. Elle a toujours considéré Gabi comme l’Homme de sa Vie pour lequel elle pouvait tout sacrifier, y compris sa propre vie, s’il le fallait. Une soudaine lassitude envahit le corps de Maïrah, une fatigue générale inexpliquée, elle s’est sentie comme vidée de toute substance vitale. Pour la toute première fois de sa vie elle se sentit larguée, complètement à côté de ses pompes, perdue même. Elle vient de rejoindre le club des femmes trahies par un mari et une meilleure amie, le club des Tapées-Dos (ou le club des T-Dosées).
Ce matin-là, Maïrah a décidé de faire ce qu’elle n’avait jamais pensé faire un jour. Au moment où son mari priait sur la terrasse, elle entra dans sa chambre et trouva le portable en charge. Elle transféra ce fameux message qu’effectivement Kiné avait envoyé et ressortit. Elle s’habilla et rejoignit Gabi à table pour le petit déjeuner. Il lui était si facile de trouver le code d’accès au téléphone de son mari, bien sûr. Gabi est ce qu’on appelle une « intelligence moyenne », Maïrah le savait mais elle l’aimait pour des tas d’autres raisons mais dont l’acuité intellectuelle ne semble pas faire partie.
C’était un petit déjeuner particulièrement silencieux. Et l’atmosphère était glaciale. Gabi, tout à ses pensées ne s’était même pas rendu compte que les yeux de Maïrah étaient rouges et enflés. Puis, croyant qu’elle boudait pour les cinquante mille de sa mère, il lui proposa la moitié pour la calmer. Elle essaya de faire bonne figure et rétorqua qu’elle va attendre son retour de la mission pour disposer de la totalité de la somme, car disait-elle, elle ne voulait pas le contrarier. Elle força le trait jusqu’à s’extraire un beau sourire qui a fini par convaincre Gabi que Maïrah est décidément toujours aussi facilement manipulable et d’une crédulité à toute épreuve. Il l’apprécie bien, peut-être justement, parce qu’il la croyait naïve, voire même puérile.
Pour un joueur comme Gabi, se prenant toujours pour le grand séducteur de ces dames, il ne lui faut surtout pas une femme intelligente qui aurait un esprit critique bien structuré, une futée quoi ! Cela nuirait à ses exercices de prédilection, c’est à dire séduire les dames, mariées ou non. Il se sentit ainsi ragaillardi et l’a même gratifiée d’une de ses nombreuses blagues cocasses dont il a la manie. Or, Maïrah n’est ni stupide, ni naïve, mais Maïrah est simplement une femme amoureuse. Elle l’aimait au-delà de toute mesure et comme elle le disait souvent « JE L’AIME AU-DELA DE TOUT ».
Mais cette fois, Maïrah est une femme amoureuse qui vient d’être profondément blessée ! Elle ne sourit plus à ces blagues qui d’habitude l’étouffaient de fous rires. Elle qui a interrompu ses études de droit, pourtant si prometteuses, contre l’avis de toute sa famille, pour épouser Gabi. Elle qui a renoncé à tant de « beaux partis », à tant de jouissives sorties avec tant de beaux mecs. Elle qui a enduré pendant tellement longtemps la rigueur de la colère de son père qui refusait de lui adresser la parole pendant plus de trois ans pour avoir interrompu ses études. Elle qui était devenue une recluse, qui a perdu toutes ses amies, mêmes celles d’enfance-à l’exception regrettable, aujourd’hui, de Kiné. Elle qui s’est privée de ses sports favoris, le basket-ball et la natation, et qui avait renoncé à bien d’autres choses qui ornaient et agrémentaient la vie des jeunes filles de son âge.
En quelques instants elle fit un Bio Express et elle s’effondra en larmes, terriblement triste. Tellement le tableau lui parut soudain sombre et lamentable. Elle se sentit si seule, abandonnée et surtout doublement trahie !
« Je me suis faite avoir sur toute la ligne » marmonnait-elle.
(À suivre)
A.B.CONTI