
Premier bien culturel du Niger inscrit sur la liste du patrimoine mondial en 2013, le centre historique d’Agadez, composé des 11 plus anciens quartiers de la ville reflète à travers son modèle d’habitat avec une architecture spéciale et sa population, un brassage, témoignage exceptionnel sur une tradition culturelle toujours vivante. Ce qui lui confère le statut du patrimoine mondial consistant comme le définit l’UNESCO en un ensemble de biens culturels et naturels présentant un intérêt exceptionnel pour l’humanité. Un héritage commun dont les éléments emblématiques sont la Grande mosquée avec son haut minaret datant du début du 16ème siècle ; le monument de la Place des martyrs du 4 mars 1917 à côté de la mosquée où a étudié Ousmane Dan Fodio ; la maison du boulanger ; la maison du Cadi, etc. Ces nombreux bâtiments aux fonctions particulières que l’on découvre en visitant les « loungouna », ces ruelles caractéristiques du noyau historique d’Agadez, sont toujours des lieux vivants. Ils gardent un rôle important dans la vie de la ville et font perdurer la culture de paix et de prospérité insufflée par le sultanat de l’Aïr. Ce voyage dans l’histoire de cette de cette cité dont la fondation avait débuté vers le 11ème siècle suscite émerveillement mais aussi des interrogations voire des inquiétudes quant à l’avenir de ces monuments, maisons, lieux de mémoire au vu de leur vieillissement, et des transformations en cours sur le site.
Du coup de cœur au cri de cœur
Contiguë au palais du sultan d’Agadez, au cœur du quartier Katanga, la Grande mosquée communément appelée Emiskini, remarquable par son architecture avec son minaret surplombant le paysage environnant, est l’élément emblématique du bien culturel qu’est la vieille ville d’Agadez. Cet édifice religieux, dont le début de la construction remonte selon les historiens à 1515, est un passage privilégié pour la plupart des visiteurs de la capitale de l’Aïr, ville située au nord du Niger à la porte du désert. Rituel auquel nous avons naturellement sacrifié lors de notre reportage sur la situation du centre historique d’Agadez.

Mosquée
Après un petit déjeuner riche en ingrédients énergétiques, accompagné d’une tasse de café servie au restaurant « Palais des délices » situé en face de la Grande mosquée d’Agadez, on nous invita sans tarder à commencer la visite de cet édifice religieux et l’ascension du minaret. Ce que nous prenions pour une simple promenade de santé va très vite se révéler tout autre. Il faut en effet assez d’énergie, de souffle et bien plus pour parvenir au sommet de la tour, toute en banco. Car, on gravit, courbé, la grande partie des escaliers tournants qui se rétrécissent au fur et à mesure qu’on progresse. Cela, tout en essayant d’esquiver les chauves-souris s’envolant et frôlant parfois la tête ou le dos du visiteur. Au bout des escaliers, du sommet du minaret haut de 27 mètres, après avoir retrouvé un peu son souffle, on peut contempler la ville tout en bas : la cour du sultanat, les maisons des quartiers de la vieille ville d’Agadez dominés par la couleur du banco. On distingue aussi clairement la grande artère rectiligne tracée durant la colonisation et qui coupe la vieille ville du nord vers le sud où on aperçoit au fond l’aéroport.
En bas, au tour de cet édifice religieux qui attire le plus les visiteurs en séjour à Agadez, sont installés des artisans proposant des produits d’artisanat d’art qui font la réputation de la région. La visite de ce monument suscite des questions notamment sur l’ingéniosité de l’auteur de ce chef-d’œuvre. La construction de ce minaret, considéré comme la plus haute construction au monde dont la structure porteuse est exclusivement faite de terre crue, est attribuée à Cheikh Zakharia, cela à l’issue d’un long processus d’expérimentation. Cette prouesse technique fait de Zakharia présenté comme un saint homme d’origine orientale, un des personnages les plus vénérés de la ville.

Laissant derrière le quartier Katanga, on longe le restaurant le Pilier remarquable de par son architecture, pour pénétrer dans le quartier Ougberi, passant devant le centre de santé, les maisons situées sur l’emplacement du site qui fut le premier marché d’Agadez. Le passage se rétrécit par endroit car, les voies, plutôt les ruelles sont sinueuses et étroites. Comme dans les autres compartiments qui composent la vieille ville d’Agadez, ici aussi, les habitations ont presque toutes les mêmes caractéristiques. Elles sont en banco, avec une architecture témoignant du savoir-faire des maçons locaux. Certaines maisons ont un ou deux niveaux, avec des toitures terrasses et leurs portes d’entrées comportent de décorations, une banquette, appelée ‘’dakali’’, servant de siège pour les passants ou les visiteurs. Il y a aussi les vestibules d’entrée, appelés ‘’zauré’’, servant aussi bien de lieu de repos ou d’accueil des visiteurs. L’hospitalité reste en effet une valeur encore cultivée et pratiquée à Agadez ; en témoignent les salutations spontanées venant des personnes que l’on rencontre. Ce qui va de soi pourrait-on dire car, Agadez aurait pour origine, le mot tamasheq tagades, signifiant visite et par extension visiteurs.
Les noms des quartiers en haoussa, songhoï ou tamashek illustrent la diversité et la richesse culturelle d’Agadez : Katanga ou rempart quartier haoussa où siège le palais du Sultan était entouré d’une muraille ; Amarewat ancien quartier des Touareg Itessen ; Amdit quartier des Touareg Igdalen ; les quartiers Imourdan‐Magass, Imourdan Nafala et Akanfaya étaient des campements touaregs Kel Away ; Oungoual Bayi le quartier où campaient les serviteurs du Sultan ; Agar‐garin‐saka ou la place d’accueil des caravanes de chameaux ; Founé‐Imé ou ancienne porte secondaire de la ville ; Obitara : marché à l’extérieur de la ville ; Hougbéri ou grande maison. Ce quartier a joué pendant plusieurs siècles le rôle de centre économique en raison de la présence du marché Tamallakoye. Malam Mohamed Bilal actuel chef du quartier Founé-Imé rappelle l’histoire et le sens des noms de ces quartiers.

traditionnelle d’Agadez
Mais le sentiment de plaisir que procurent ces découvertes va laisser place à des interrogations, voire inquiétudes sur l’avenir de cet héritage qui a valu à Agadez son statut de bien commun à l’humanité. Une inquiétude qui se justifie bien chez ceux qui vivent les changements en cours menaçant la conservation et la sauvegarde de ce patrimoine fait de modèle d’habitat, adapté à l’environnement et au climat local avec des traditions culturelles témoignant d’un véritable art de vivre. Des facteurs climatiques et environnementaux, la poussée démographique et la modernisation mettent en mal la pérennité et le statut du bien culturel en question.
La situation vécue cette année par la ville d’Agadez où les pluies, rares d’habitude, ont été particulièrement abondantes, illustre l’impact ou la menace du facteur climatique sur le patrimoine. Au total, 556 maisons et murs effondrés ont été recensés dans les 11 quartiers de la vieille ville, suite aux pluies tombées surtout entre août et septembre 2024.

Mohamed Hassan, habitant du quartier Hougberi âgé de 57 ans fait partie des sinistrés. « C’est tout ce qu’il reste de notre maison familiale suite à la pluie tombée le 13 septembre », dit-il, montrant une vieille chambre en argile dans un état de dégradation avancé, avec tout autour un amas de terre et quelques morceaux de bois. « À vrai dire, je ne sais pas depuis quand ces habitations ont été construites ; ma mère qui est aujourd’hui âgée de 84 ans est née ici. Maintenant, je n’ai pas les moyens pour reconstruire la maison », soupire Mohamed avec une mine qui en dit long sur son désarroi.
Un peu plus loin à l’angle d’une ruelle du quartier Agargarin Saka, à côté de la «Place des Martyrs du 4 mars 1917 », une autre maison est tombée. Son effondrement est source de vive préoccupation, notifie Abdoul Kader Alfidja, le président des comités mis en place par les 11 quartiers de la vieille ville pour contribuer à leur conservation. Cette maison, explique-t-il, est un lieu chargé d’histoire car, c’est l’endroit où se sont réfugiés des oulémas lors de la bataille qui a opposé en 1917 les troupes des Sultans Tagama et Kaocen aux militaires français. Ces Oulémas, raconte-t-il, furent massacrés dans cette maison d’où leur sang a coulé jusqu’à l’endroit qui porte le nom de ‘’Place des Martyrs’’ où ils ont été enterrés. Habsatou Goumour, habitante de ce lieu de mémoire, estime qu’il est important que cette histoire soit sauvegardée en réhabilitant très vite la maison tombée. « Il faut réhabiliter cette maison qui constitue un symbole pour notre histoire », insiste, Abdoul Kader Alfidja. Heureusement, poursuit-il, montrant du doigt une autre maison, celle-là tient encore. Il s’agit de la mosquée Abawaje et de la maison où est resté Malam Djibril qui fut un des maîtres d’Ousmane Dan Fodio. « Tous ces lieux et maisons chargés d’histoire doivent faire l’objet d’un suivi pour leur conservation. Sans oublier les dizaines de maisons tombées suite aux dernières pluies. Parmi les urgences nous en avons quatre qui sont des plus pressantes. Il y a ce lieu où nous sommes qui est appelé « Place des martyrs » ; la place de la grande mosquée Emiskini où l’eau stagne ; c’est également la même préoccupation au niveau du quartier Obitara. La quatrième urgence est la « Maison du boulanger » qui est endommagée par les récentes pluies », précise Alfidja. La « Maison du boulanger » était la première boulangerie d’Agadez créée à l’époque coloniale, vers 1917 par Sidi Kà, un sénégalais, installé à Agadez où il a fondé sa famille. Aujourd’hui ce sont ses arrières petits enfants qui habitent le bâtiment ayant servi de boulangerie. Sur un des murs de la maison, on peut y voir la date de 1917. Hassana, la petite fille de Sidi Kà et d’autres descendants du célèbre boulanger y habitent. « Au niveau de l’étage, les murs menacent de s’écrouler », prévient-elle. Mais le rez-de-chaussée soutenu par des gros piliers tient encore, et sert de vestibule où les gens passent la journée. Alfidja rassure Hassana que leur maison figure en bonne place de celles qui ont été recensées en vue d’une réhabilitation.
Un peu plus loin, au quartier Obitara, la situation est tout aussi préoccupante avec des dizaines de maisons effondrées suite aux pluies de cette année. Les sinistrés sont totalement démunis. Lamine Aboubacar âgé de 82 ans et sa famille n’ont plus qu’un hangar pour tout abri. Dans la concession voisine, Sakina est aussi dans la même situation. À notre vue, ils ont eu une lueur d’espoir croyant à l’arrivée de l’aide tant attendue.
Entre impératif du respect des normes « Unesco » et désirmodernisation
La préoccupation sur la réhabilitation ou la reconstruction des maisons de la vieille ville effondrées suite aux intempéries relance le débat en cours depuis quelques années sur la conservation de ce patrimoine et de son statut en tant que tel.
La démarche qui a abouti à l’inscription en 2013 de la vieille ville d’Agadez au patrimoine mondial était motivée par la volonté de l’Etat du Niger de protéger, conserver et promouvoir son patrimoine culturel. Un statut auquel le site a réussi à accéder car, la candidature présentée a satisfait au critère requis pour être un bien culturel présentant un intérêt exceptionnel pour l’héritage commun de l’humanité. Dix critères permettent d’inscrire un site ou un bien sur la liste du patrimoine mondial. Et l’inscription est actée quand la candidature proposée satisfait à un de ces critères.
« Concernant Agadez, nous avons satisfait aux critères, numéro 2 et 3 », rappelle M. Ali Salifou conservateur du site qui faisait partie de l’équipe ayant conduit le processus. Pour le critère numéro 2, il s’agit de « témoigner d’un échange d’influences considérable pendant une période donnée ou dans une aire culturelle déterminée, sur le développement de l’architecture ou de la technologie, des arts monumentaux, de la planification des villes ou de la création de paysages » et pour le 3 « apporter un témoignage unique ou du moins exceptionnel sur une tradition culturelle ou une civilisation vivante ou disparue ». En effet, explique M. Ali Salifou, le bien culturel inscrit se caractérise par l’architecture en terre que l’on retrouve sur 98 % des constructions dans la vieille ville d’Agadez notamment les principaux monuments dont le plus emblématique est la grande mosquée chapeauté par son minaret de 27 mètres de hauteur ; le palais du Sultan ; la maison du boulanger ; l’hôtel de l’Aïr ; le restaurant le pilier, mais aussi les habitations des 11 quartiers constituant le centre historique d’Agadez, qui sont entièrement construits en terre. Aussi, le sultanat créé depuis le 15ème siècle a beaucoup contribué à faire de cette ville un grand carrefour où les gens venant du nord et du sud se rencontrent. Cela a favorisé les échanges sur le plan commercial, religieux, technico-architectural, social et culturel.
Ce sont donc tous ces éléments qui ont permis cette inscription, et lors de la 37ème session du comité du patrimoine, tenue à Phnom Penh au Royaume-Uni du Cambodge et à l’unanimité des 21 membres du comité en présence d’une délégation nigérienne dont le Maire d’Agadez, le Sultan de l’Air, le directeur du patrimoine culturel, le dossier de candidature a été approuvé, résume le conservateur du site. Le centre historique d’Agadez vaste de 77’6 ha est devenu alors le premier bien culturel du Niger à être admis sur cette prestigieuse, liste. (Les Réserves naturelles de l’Aïr et du Ténéré ; Parc national du W, y figurant à titre de biens naturels).
Pour les États-parties, l’inscription de sites au patrimoine mondial est une fierté nationale et une reconnaissance internationale. Les sites inscrits au patrimoine mondial font généralement l’objet d’une exploitation touristique mettant en avant cette reconnaissance. Aussi, cette inscription peut être une occasion pour obtenir une assistance internationale, notamment financière, pour la conservation de son patrimoine national.
Cependant, une dizaine d’années après son inscription, la gestion de l’aspect architectural du site d’Agadez s’avère un grand défi.
« L’idéal est aujourd’hui que les habitations ou monuments endommagés soient reconstruits selon le modèle de leur architecture originale avec des matériaux bien indiqués à cet effet pour ne pas le dénaturer », a souligné Abdoul Kader Alfidja. Ce dont disent en être conscients les habitants des différents quartiers même s’ils manquent de moyens pour le faire. « Les habitant de ces vieux quartiers sont pour la plupart des artisans qui n’arrivent plus à profiter des retombées de leurs activités car, les principaux clients qui étaient des touristes sont rares maintenant du fait de l’insécurité. Ainsi ils ne peuvent plus entretenir régulièrement leurs maisons selon le modèle traditionnel auxquels ils tiennent pourtant. Aussi, en plus de ce facteur, il y a les grands richards qui achètent ces anciennes maisons, les détruisent et reconstruisent en ciment ou matériaux définitifs », déplore M. Ali Salifou, le conservateur du site.

Au quartier Obitara, dans la zone voisine du marché des constructions en ciment ou béton émergent. De l’autre côté, au quartier Agargarin Saka, le contraste est plus frappant. Deux bâtiments en « dur », dont un en finition et l’autre déjà habité surplombent le paysage contrastant avec le décor fait de maisons en banco, d’architecture traditionnelle. « Nous n’avons rien pu faire face aux propriétaires de ces immeubles. Nous avons alerté, saisi les différentes autorités, en vain », se désole le coordonnateur des comités de conservation de la vieille ville. Ces bâtiments qui dénaturent le site menaçant ainsi son statut de patrimoine mondial de l’Unesco de la Vieille ville sont présents dans diverses zones de l’emprise de ce bien culturel, y compris dans le quartier Katanga où est situé le palais du sultan. « L’inscription du centre historique d’Agadez sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco est accompagnée d’engagements pour le respect des prescriptions contenues dans la convention de 1972 et les orientations qui la guident. Il y a ce qu’il faut faire et ce qu’il ne faut pas faire pour pouvoir conserver ce que l’Unesco appelle la valeur universelle qui repose sur un certain nombre d’attributs », insiste le conservateur du site.
Dans le processus de la candidature pour l’inscription de la vieille ville d’Agadez, le gouvernement avait dès 2011 pris des mesures visant la conservation du site pour prévenir toute action qui va le dégrader ou le dénaturer. L’arrêté N° 87-MJS/C-MULA du 15 décembre 2011 portant règlement d’urbanisme applicable à la vielle ville d’Agadez et à sa zone tampon a bien prévu des mesures concernant ce qui n’est pas autorisé afin d’assurer la pérennité de ce patrimoine culturel.
« Malheureusement, ceux qui construisent des bâtiments en violation des prescriptions ont souvent le soutien des personnes ou personnalités censées les en empêcher », déplore M. Ali Salifou, regrettant la léthargie du Comité officiel mis en place pour la gestion du site au lendemain de son inscription. Ce comité présidé par le maire devrait regrouper des acteurs représentant la communauté, des personnes ressources, avec le sultan comme président d’honneur et doit être renouvelé tous les trois ans. La structure dont les membres n’ont jamais été renouvelés n’est pas fonctionnelle.
« Doit-on forcer les gens à entretenir leur patrimoine ? Nous ne pouvons que les amener à comprendre. Mais, je pense que tout cela s’explique aussi par le fait que depuis l’inscription du site au patrimoine mondial, les populations n’ont pas gagné en lien avec ce statut », estime le conservateur du site. Mais prévient le professionnel du patrimoine, si on continue de dénaturer le site, il pourrait perdre cette valeur universelle qui lui donne son statut et l’Unesco peut le retirer de la liste du patrimoine mondial.

Le représentant du Sultan d’Agadez, Elh Mohamed Touraoua est conscient des préoccupations relatives à la gestion et la conservation de la vieille ville. Affirmant son attachement à la conservation de ce bien culturel, il dit ne pas savoir qui autorise les constructions en ciment sur le site. « Nous avons toujours préféré garder notre architecture traditionnelle. C’est pour cette raison que nous continuons à faire la sensibilisation sur l’importance de l’inscription de la vieille ville d’Agadez sur la liste du patrimoine mondial et les engagements pris suite à cela », assure Elh Mohamed Touraoua. Aussi, il appelle à « des actions efficaces pour l’entretien et la réhabilitation des maisons faites avec du banco pur, tel qu’il était préparé il y a des siècles et que le travail soit fait par des maçons qui connaissent la construction de la maison agadezienne».

Nommé Administrateur délégué de la commune urbaine d’Agadez en Avril 2024, le Chef de Bataillon Assarid Almouspaha s’est vite imprégné de la problématique de la gestion de la vieille ville. « Depuis notre arrivée nous avons pris cette question à bras le corps pour préserver ce qui peut l’être. Nous avons dans ce sens échangé avec les différents acteurs, notamment le sultan et le maire sortant », assure l’Administrateur délégué. Aussi, il déplore les nouvelles constructions qui dénaturent le paysage de la vieille ville qui lui a valu son inscription au patrimoine de l’Unesco. « On ne sait même pas qui permet ces travaux puisque l’autorisation ne vient pas de la mairie », s’indigne l’Administrateur délégué. Mais il estime que l’Unesco ne fait pas assez pour aider à la préservation ou la réhabilitation du site, ne serait-ce que les principaux monuments, comme le minaret de la grande mosquée, le palais du sultan, la place des martyrs ou la maison du boulanger.

Cet avis est partagé par Mohamed Aboubacar dit Amma, de l’association scout d’Agadez, structure ayant participé à la sensibilisation de la population de la vieille ville sur les tenants et aboutissants de l’inscription sur la liste du patrimoine mondial mais aussi ce qui doit en résulter. « Nous pensons que cette inscription doit être bénéfique à la population qui est dans la vieille ville. Mais cette population se sentait délaissée, voire exploitée, d’où peut-être cette attitude d’indifférence pour la conservation du modèle d’habitat qui faisait la particularité du centre historique parce que les gens ne trouvent aucun appui », explique Amma. Ainsi, ajoute-t-il, les habitants de ces vieux quartiers se voient juste considérés comme des pensionnaires d’un musée qu’on vient regarder. Aussi, selon Amma, ce qui est révoltant pour ces populations auxquelles il est demandé de maintenir le modèle traditionnel, c’est le fait de voir certaines personnes aisées construire des maisons en ciment.

Bianou Ousmane, web activiste est un jeune promoteur d’une agence spécialisée dans le circuit touristique dans la ville d’Agadez. Son entreprise (Masnat) qui a vu le jour après l’inscription de la vieille ville au patrimoine mondial œuvre pour la promotion de ce bien culturel. Sur le débat concernant les retombées de l’inscription au patrimoine mondial, Bianou a un avis nuancé. « Je suis un animateur principal de la vieille ville ; il y a toutes les interprétations sur les implications de ce statut, mais les gens ne savent pas que cela est un potentiel pour nous. C’est un début pour nous. Et pour les critiques, je fais partie de ceux qui les font. Les gens se demandent où sont l’Etat et la commune en termes d’actions concrètes ? Il y a eu des attentes du programme Sokni qui sont restées vaines. Il y a toutes ces critiques », reconnaît Bianou Ousmane. Pour lui, qu’il s’agisse de l’assainissement dans la vieille ville ou de la réalisation de certains projets, tout doit se faire en concertation avec tous les acteurs et les bénéficiaires afin que cela ait des impacts positifs. « Au nom de la population et en tant qu’habitant de la vieille ville qui est tant chantée mais oubliée dans les actions, j’appelle à un consortium pour des réalisations concrètes et des infrastructures », lance Bianou Ousmane.
Préserver ce qui peut l’être
« L’état fait des efforts pour inscrire le site. Mais c’est à la communauté de s’engager pour sa conservation. C’est pourquoi quand il y a eu l’inscription par l’Unesco on a demandé le consentement du défunt Sultan qui avait donné dans ce sens une autorisation écrite », martèle le conservateur Ali Salifou rappelant que tout le processus avait été mené en associant et sensibilisant la population sur la convention de 1972, la valeur universelle. « Les autorités communales ont pris la parole devant les représentants de l’Unesco pour dire qu’elles sont prêtes à conserver le site », fait-il savoir.

La commune d’Agadez à travers l’actuel Administrateur délégué réaffirme son engagement pour la conservation du site. En plus de la sensibilisation pour prévenir les constructions anarchiques, l’Administrateur délégué annonce des travaux face au problème d’assainissement considéré comme une des causes de l’effondrement des maisons. « Nous sommes en train de résoudre ce problème avec le Projet Intégré de Développement Urbain et de Résilience Multisectorielle (PIDUREM) qui va nous doter de citernes tricycles qui peuvent entrer dans tous les couloirs de la vieille ville pour curer les fausses sceptiques et des caniveaux sont également prévus », précise le Chef de Bataillon Assarid Almouspaha. Selon Mamane Nazir Kassoum, responsable du PIDUREM, il est prévu spécifiquement pour la vieille ville d’Agadez la réalisation de 834,2 m linéaires de chaussées drainantes, la construction d’un centre culturel et des jeunes sur le site de décongestionnement de la vielle ville à la sortie d’Agadez sur la route Tahoua, l’appui à la mise en œuvre du Plan de Gestion des déchets de la ville. Aussi, l’aménagement du Kori Agzermadren (principal exutoire de la ville d’Agadez), le prolongement du caniveau de Rotchi pourrait impacter positivement la vielle ville.
Pour la réhabilitation des maisons endommagées ou tombées, l’Administrateur délégué relève qu’il s’agit des travaux qui demandent beaucoup de moyens financiers et humains. S’agissant des maçons, Agadez en dispose de ceux qui sont bien spécialisés dans les constructions en terre crue. Attouboul Amma, Sarkin Maguina ou chef des maçons, est le représentant de cette coopération. « Ça fait 51 ans que j’exerce le métier de maçon, il y a des jeunes qui s’intéressent au métier et qui sont la relève. Déjà, ces jeunes participent aux travaux de construction ou de réhabilitation de maisons, même s’ils ont besoin de notre appui pour certaines techniques et nous le faisons avec plaisir », affirme le Sarkin Maguina. Cependant, il appelle les bonnes volontés à s’investir pour encourager la formation afin que cet héritage que constituent les techniques traditionnelles de construction soit sauvegardé.
« Notre cri de cœur est qu’avec l’Etat, nos partenaires, nous nous mobilisons pour réhabiliter, reconstruire ce qui peut l’être et dans les normes de l’architecture traditionnelle sur l’ensemble du site », plaide l’Administrateur délégué de la commune urbaine d’Agadez.
Bien que peu nombreuses sur le terrain de la culture et du patrimoine, quelques associations et ONG apportent leurs contributions pour la prise en charge de certaines préoccupations comme la réhabilitation ou la reconstruction des habitations dans la vieille ville d’Agadez. Le conservateur du site, M. Ali Salifou rappelle dans ce sens les interventions de certaines ONG. Le CISP a procédé à la réhabilitation de 105 maisons et des mosquées dans les 11 quartiers de la vieille ville et a lancé un programme de conception et de construction de 500 logements sociaux bioclimatiques en architecture de terre battue à la périphérie d’Agadez pour décongestionner la vieille ville.
L’association Imane Atarikh signifiant en tamasheq « donner vie au patrimoine » présidée par Mohamed Alhassane, un jeune architecte, œuvre aussi dans la conservation des biens culturels et du patrimoine à Agadez. La jeune association créée en 2021 qui accompagne les acteurs de la gestion de la vieille ville a procédé à la restauration de 30 maisons. « Nous faisons le crépissage, le renforcement de la toiture, sans toucher la structure. Je suis pour qu’on conserve seulement, mais on s’est rendu compte que c’est compliqué ; il faut qu’on trouve une méthode car, avec les changements climatiques il pleut beaucoup. Peut-être faut-il de la terre stabilisée ? Mais ce n’est pas à nous de décider de la meilleure technique de le faire », affirme le jeune architecte. Dans le cadre de ce travail Imane Atarikh a contribué à la formation de jeunes maçons.

Mais pour Mohamed Alhassane, il est urgent de revoir la démarche de la conservation de la vieille ville d’Agadez en faisant de la prévention. Mohamed Alhassane fait aussi un travail de numérisation des éléments du patrimoine de la vieille ville en vue de leur conservation et aussi d’une éventuelle reconstitution si jamais ilsvenaient à être détruits. « Je m’intéresse aussi aux expositions numériques afin d’informer et sensibiliser la jeunesse sur les richesses culturelles du terroir et du Niger », ajoute-t-il. Pour lui, la communauté, l’Etat, les bonnes volontés au niveau national peuvent bien prendre en charge la conservation du patrimoine. Ce à quoi appelle aussi M. Ali Salifou, le conservateur du site. « Il faut que nous nous intéressions d’abord à notre patrimoine pour convaincre les partenaires à nous aider pour sa conservation », soutient-il, déplorant le fait que le Niger est souvent absent des rencontres portant sur la question du patrimoine.
Pour Elhadji Idrissa Tambari, président de MIPD Taguitaou, le titre honorifique de Ville patrimoine de l’Unesco obtenu par Agadez est d’une très grande importance pour le Niger tout entier. « C’est quelque chose à saluer et à protéger. Nous sommes issus de la vieille ville ‘’loungouna’’ comme on dit ici, mais ces quartiers sont confrontés aujourd’hui à des problèmes qui menacent leur pérennité. Ces préoccupations sont liées à l’augmentation de la population, notamment la question d’évacuation des eaux usées, des déchets qui sont les premiers facteurs de l’effondrement des maisons en banco. Il faut donc trouver une solution pour éviter la disparition de ces vieux quartiers », alerte le président de MIPD Taguitaou. « Les autorités coutumières, administratives et nationales doivent avoir une oreille attentive afin de pallier les problèmes auxquels est confrontée la vieille ville d’Agadez en initiant des travaux conséquents pour faciliter l’évacuation des eaux usées et de pluies afin de réduire les risques d’effondrement des maisons. La population doit aussi s’investir pleinement pour la conservation de ce patrimoine en évitant surtout de le dénaturer avec des constructions qui contrastent avec architecture traditionnelle », plaide-t-il. Pour ce qui est des autorités traditionnelles, Elhadji Idrissa Tambari les appelle à donner davantage de responsabilités aux chefs des quartiers pour qu’ils s’investissent davantage dans leurs actions de bénévolat.

Les problèmes liés à la conservation du centre historique d’Agadez ont été relevés déjà en 2018 par le rapport de l’Unesco. Ce qui a suscité plusieurs recommandations dont celles relatives au renforcement des capacités de la cellule de conservation et de gestion de la vieille ville d’Agadez ; l’élaboration de manuels de procédures et de bonnes pratiques pour les interventions sur les constructions ; l’application du règlement d’urbanisme et l’obligation du permis de construire pour toute intervention dans le centre historique ; le soutien à la dynamique autour de l’emploi pour le patrimoine ; la révision du plan de gestion arrivé à échéance, etc.
Si le grand comité « officiel » prévu pour la gestion de la vieille ville reste en léthargie, les représentants des 11 quartiers qui composent la vieille ville ont érigé des petits comités. Avec pour seuls moyens, leur volonté et leur passion, ces bénévoles s’investissent pour la conservation de ce patrimoine que représente leur site d’habitation. Souleymane Amma, chef du quartier Agar garin Saka porte leur cri de cœur.
Par Souley Moutari, Envoyé spécial à Agadez
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L’appel des 11 chefs des quartiers de la vieille ville

«Nous rendons hommage au Sultan Ibrahim Oumarou, le père de l’actuel Sultan car, c’est avec son implication et son accord que la vieille ville a été inscrite au patrimoine mondial. Nous n’oublions pas aussi les acteurs au niveau de Niamey, le gouvernement et ici à Agadez les autorités et agents de l’Etat qui ont contribué à ce succès qui honore le Niger. Au début, il y avait plus d’engouement de la part des autorités, du ministère dans la gestion de la vieille ville. Ce qui n’est plus le cas. Aussi, nous pensons que le problème est lié à la politique, la chefferie qui laisse les gens faire des constructions anarchiques. Nous voulons vraiment qu’on redonne à ce patrimoine toute son importance. Une autre doléance très importante pour nous, c’est la reprise de la fête de la célébration de la vieille ville qui avait lieu il y a quelques années. C’était une opportunité pour toute la communauté, les autorités de s’impliquer dans la sensibilisation sur la sauvegarde de notre patrimoine, notre culture. Il y avait à cette occasion des expositions sur nos produits artisanaux, la salubrité, etc. Enfin, il y a la question de la réhabilitation des maisons tombées suite aux pluies de cette année. Il y a eu un appui dans ce sens mais beaucoup reste à faire et les gens sont dans le dénuement ».
Par Souley Moutari, Envoyé spécial à Agadez