Communément appelée RTA, la Route Tahoua- Arlit, l’une des principales voies pour les transports en commun ou de marchandises au Niger, et très empruntée, est depuis des années en piteux état. Elle est devenue le calvaire des camionneurs et le cauchemar des voyageurs. Ainsi voyager de Tahoua à Arlit en passant par Agadez, constitue pour de nombreux nigériens un parcours de combattant. La dégradation de cette route affaiblit l’économie et concourt à la vie chère, notamment dans le département d’Arlit où les transporteurs ne savent plus à quel saint se vouer. Pour des trajets de quelques heures, les gros porteurs mettent environ cinq jours, voir des semaines en fonction de la destination.
La situation est chaotique selon M. Kalla Kanta, dit Teacher, vice-président de la faîtière des transporteurs d’Arlit. Il explique que pour parcourir les 245 kilomètres, d’Agadez à d’Arlit, avec un chargement, il faut compter au minimum trois jours. Il se souvient qu’à une époque où la route était en bon état, le voyage ne durait que quatre heures. L’unique souhait des habitants et des transporteurs de la région d’Agadez est de voir cette route reconstruite. Le transport est à l’agonie, l’économie subit un grand coup et les marchandises sont devenues très chères, se plaint M. Kalla. « Avant, lorsque tu venais ici, on était en mesure de t’offrir des cartons de pâtes alimentaires gratuitement, mais, aujourd’hui, nous en sommes incapables. Au moment où la route était en bon état, le carton coûtait 4500 F CFA au maximum. Actuellement, il vaut mieux l’acheter à Niamey parce qu’il coûte entre 9.000 et 10 000 francs CFA ici», dit-il.

En effet, dans cette partie du Niger, le transport est devenu extrêmement cher. Le vice-président de la faîtière des transporteurs souligne que les camions de Niamey ne prennent plus le risque de venir. Les camions d’Agadez qui circulent dans la zone cassent des amortisseurs et érodent des pneus régulièrement. Seuls les vieux camions acceptent de venir à Agadez et à partir de Niamey, il faut désormais faire 10 jours pour atteindre Arlit.

Vivant jadis dans l’opulence, la vie des conducteurs de camions n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut. « Tu vois cet homme qui est ici, cela fait un mois qu’il est revenu de Niamey. Et pour arriver ici, il a fallu qu’il s’endette pour pouvoir acheminer la cargaison qu’il transportait parce que le camion a tout absorbé sur la route. Tu peux faire un mois sur la route et pire même le peu que tu as déposé à la maison, tu es obligé de l’utiliser pour pouvoir arriver à bon port. Tu arrives à Arlit, mais tu ne trouves aucun chargement à prendre parce que tout est devenu cher. Certains, quand ils chargent à Assamaka, empruntent la voie sablonneuse pour sortir sur Tahoua parce que l’impraticabilité de la route a fait que les camions ne font que l’axe Assamaka-Tahoua », explique-t-il. L’unique moyen de mettre un terme à leur agonie, d’endiguer la pénurie de carburant et la cherté de la vie, c’est de reconstruire cette route, estime M. Kalla Kanta. La cherté et la pénurie de carburant sont liées au problème de routes, les camions-citernes refusent de passer par cette route. Un camion qui quitte Zinder peut faire jusqu’à cinq jours avant d’arriver à Arlit. Pire, certains refusent même les chargements d’Arlit parce qu’ils savent qu’avant d’arriver, l’argent du transport sera fini et qu’ils vont retourner vides et c’est dans l’argent du chargement qu’ils vont devoir mettre du carburant pour rebrousser chemin et aussi gérer les pannes. Aujourd’hui, lorsqu’un camion-citerne entre dans la ville, les gens s’arrachent le carburant. Même pour votre venue, il a fallu stocker du carburant pendant des semaines pour que vous n’en manquiez pas », fait-il savoir.
D’après M. Ali Kadri Abaché, chauffeur, on ne peut même plus parler de route Arlit-Agadez, parce qu’elle est inexistante. « Quand tu fais un chargement, même si tu es un génie, tu vas casser des amortisseurs et éclater des pneus. Regardez comment est la route, pour parcourir ces 245 km, il faut mettre 3 à 4 jours à condition que le camion soit bon. Si tu tombes en panne là, tu peux faire une semaine à dix jours avant d’arriver à Arlit. Tu arrives fatigué, le camion en piteux état et les apprentis épuisés. L’argent que tu as gagné ne suffit même pas à réparer le camion, il faut encore aller s’endetter ». Ce chauffeur raconte que, lorsque certains véhicules tombent en panne, ils sont obligés de les remorquer et, en voulant éviter des trous, parfois, ils patinent dans le sable et se retrouvent embourbés. Il y a des véhicules qui ont mis un mois entre Maradi et Arlit. Et tout cela est lié à l’état de la route. « Même si tu arrives sain et sauf, même si le véhicule n’a connu aucune panne, il y a quand même la fatigue du corps qui peut persister pendant des jours. Nous implorons Dieu et nous demandons au Président de la République de nous arranger cette route, de nous réduire les prix de certains documents comme la patente et la vignette. Ausi, des gens veulent que leurs marchandises provenant de l’Algérie arrivent à Arlit, mais les douaniers nous rendent la vie difficile. Les choses doivent être assouplies. En tant que chauffeurs, nous sommes réduits à emprunter 5 000 FCFA ou 10 000 FCFA auprès de nos apprentis », regrette-t-il.

Il dénonce surtout le nombre exorbitant de postes de contrôle. Selon ce dernier, sur une seule barrière, il est possible de trouver dix agents et chacun d’eux espère un geste. « C’est trop, le chef de l’État doit voir cette situation », estime Ali Kadri Abaché.
Une route pleine de mésaventures pour les transporteurs
Sanoussi Oumarou est un autre chauffeur de la ville d’Arlit qui fait ce métier depuis 1999. Il raconte qu’il a mis une semaine pour parcourir la distance Tabalak-Agadez et qu’à cause des secousses, il a eu plusieurs éclatements de pneus. La route, dit-il, n’épargne ni le véhicule encore moins le chargement et, dans leur métier, « lorsque tu prends un chargement, quoiqu’il arrive sur la route, le propriétaire n’accepte jamais de perte, il se dédommage dans la somme convenue pour l’acheminement. Actuellement, mes deux ressorts sont cassés. Je suis tombé dans un trou aux environs d’Akoubounou, mais, Dieu merci, avec l’arrivée du Chef de l’État, nous avons appris qu’ils ont été bouchés. C’est des nids de poule qui sont comme des puits. Quand le camion penche, tu te dis qu’il ne pourra plus se redresser. Là-bas, j’ai trouvé trois camions qui sont tombés. C’est une route où il faut s’arrêter pour réfléchir par où passer. Si Dieu t’aide, tu passes. C’est des risques énormes dans lesquels on peut à tout moment perdre la vie », explique-t-il.

Pour ce camionneur, c’est une bonne route qui développe un pays, et tous les problèmes qu’ils vivent présentement sont imputables au mauvais état des routes. Il souligne que plus le trajet n’est long, plus les transporteurs perdent de l’argent et plus les charges augmentent. « Avant, tu pouvais économiser beaucoup lorsque la route était en bon état, mais aujourd’hui, tu reviens sans un sou car tu as fait deux semaines pour un trajet qui prenait avant deux jours. Maintenant que le Président de la République est venu, plus besoin de le lui raconter, il l’a vu avec ses yeux et nous attendons qu’il nous apporte une solution. Par rapport à l’argent qu’on nous prend sur la route, nous demandons à ce que cela soit revu. Les camionneurs sont des personnes qui occupent une place importante au Niger, mais aujourd’hui, les circonstances ont fait que nous ne sommes plus considérés. Aujourd’hui, rien ne peut se faire sans les camions. Il faut donc voir quels sont les problèmes de ce secteur parce que sans les transporteurs, rien ne peut être acheminé et beaucoup d’activités dépendent de nous », affirme M. Sanoussi Oumarou.

Avec M. Issoufou Abdoulaye, la route et le karma n’ont pas été cléments. Ayant égaré les documents de son camion et malgré la déclaration de perte qu’il avait faite, il raconte qu’une fois arrivé à Amataltal, l’agent chargé de vérifier les patentes ayant constaté l’absence du document a mis une chaîne à la roue de son camion et lui a dit de le retrouver à Ingal. « Je suis parti à Ingal, je ne l’ai pas trouvé et il m’a dit qu’il est à Tchirozerine. Il nous a laissés dans la brousse et, à mon retour, j’ai constaté que mon chauffeur était souffrant et moi j’ai retiré la chaîne pour arriver à Agadez », raconte-t-il.

À sa grande surprise, poursuit M. Issoufou, le monsieur est venu avec les agents de la PJ qui l’ont embarqué et enfermé pendant trois jours pour juste une histoire de patente. « Ce genre de comportement amène souvent des mécontentements dans notre travail. Nous souhaitons que le Président de la République attire l’attention de ces personnes placées sur les routes. Certaines choses ne sont pas normales. Il n’y a aucun texte qui dit d’enfermer un transporteur pour un défaut de patente, ce n’est pas du tout juste. Quand tu arrives au niveau des barrières, tu payes et, à quelques kilomètres, tu retrouves d’autres et tu payes encore. C’est des pratiques auxquelles nous souhaitons qu’on mette un terme. Il y a trop d’injustice sur les routes, trop de barrières, certains sont juste là pour prendre de l’argent sans fournir aucun reçu », fulmine-t-il en racontant ses déboires.

Le témoignage de M. Habibou, un autre chauffeur de la ville d’Arlit, va également dans le même sens : les chauffeurs souffrent extrêmement, à n’en point douter. « La route nous fait souffrir, les agents nous rançonnent et nos vieux camions nous fatiguent. Les routes sont devenues comme un marché, les agents nous soutirent trop d’argent. Ils viennent jusqu’à nous pour dire ; voilà ce qu’on va leur donner pour que le camion ne soit pas fouillé. Normalement, l’idéal serait de décharger le véhicule pour qu’il vérifie. Si tu es clean, on te laisse passer. Où est la justice dans ça ? », Décrie-t-il. Notre cri de cœur, dit-il, est que le Président ait pitié de nous. « Il a pris des engagements et il est venu ici pour nous. Nous souhaitons avoir un endroit où on peut aller déposer nos plaintes. Nous sommes des patriotes, nous avons l’amour de notre pays pour qu’il prospère, mais le prix de la patente et de la vignette sont au-delà des moyens du pauvre. Aujourd’hui, il n’y a plus de travail. Avant, il y avait les camions de l’Algérie qui venaient et un camion ne peut jamais faire cinq jours sans avoir de chargement, mais aujourd’hui, on peut faire des semaines voire des mois à attendre. « Je suis arrivé, il y a deux jours et, jusqu’à présent, même mes vêtements je n’ai pas changé parce que le calvaire n’est pas fini, mon véhicule est présentement à la douane. Le jour de mon arrivée, j’étais au niveau du poste de police de l’entrée jusqu’à 10 h et à la douane jusqu’après le crépuscule.

J’ai dit au douanier que nous venons d’arriver et qu’on a très faim, il m’a dit de mettre le véhicule dans la brigade parce que le Chef de l’État arrive demain. Il est toujours là-bas depuis deux jours. Je ne transporte que des tuyaux, de l’huile de moteur de SORAZ et des planches. On souffre énormément et chacun ne fait que nous demander de l’argent et nous ne l’avons pas. Des fois, le peu qu’on donne aux agents sur les postes, certains trouvent la somme dérisoire et refusent. Nous implorons qu’on ait pitié de nous », plaide le chauffeur Idi.
Hamissou Yahaya (ONEP)
