Pasticher, s’approprier les réalisations, les découvertes et inventions des autres, les tourner à son avantage, ce sont là quelques-unes des aptitudes qui font l’originalité de cette civilisation. Ses représentants illustres ont atteint la grandeur, parce qu’ils ont développé ces aptitudes au plus haut point. Tel est le cas de Thalès de Milet, de Pythagore de Samos, d’Archimède de Syracuse, d’Euclide d’Alexandrie, d’Hippocrate de Kos, ou de Platon d’Athènes. Tous se sont emparés de principes, de théorèmes et d’axiomes établis en Egypte africaine plus de deux mille ans avant leur voyage initiatique.
L’infortune de l’Afrique été de former dans l’Atlantique un triangle pernicieux avec l’Europe et l’Amérique. Ce triangle constitue une des grandes sources de nos malheurs. Nous sommes pris dans les abimes des relations transatlantiques. De là vient notre aveuglement. Nous ne voyons pas que l’Occident a été, et qu’il est encore l’entrave à notre liberté, l’obstacle à notre indépendance, de même que l’écueil sur lequel se brise l’élan de notre souveraineté.
Ceux qui parmi nous croient avoir les yeux ouverts, ceux qui prétendent savoir, ceux que l’Occident fascine, disent que nous n’avons d’ennemis que nous-mêmes. Ils font de l’autoflagellation, quand ils ne cherchent pas à donner bonne conscience à leurs bourreaux. Il est vrai que de tout temps quelques-uns, souvent nos chefs, ont pactisé avec l’Occident pour notre malheur, à notre barbe et à l’insu des peuples. Mais on ne peut rendre les peuples responsables de l’infamie et des turpitudes de leurs dirigeants.
Non ! L’ennemi ce n’est pas nous, c’est l’Occident, c’est l’Euramérique. J’affirme que l’Occident est notre ennemi intime, que les relations entre l’Occident et l’Afrique s’enracinent dans la profondeur des siècles, que l’intimité entre l’Occident et l’Afrique est inscrite dans la proximité géographique, et enfin que l’antagonisme entre ces deux parties du monde est né du développement de relations inégales.
Insouciants ceux qui, au sortir de ce questionnement nourriront encore des doutes.
Qui nous a achetés et vendus comme du bétail, et a fait de nous des biens meubles ? Qui nous a esclavagisés, colonisés et exploités pour mettre en valeur ses terres et pour faire tourner son industrie ? Qui nous a opposés par l’ethnie, divisés par la langue, meurtris par la guerre ? Qui a partagé nos terres à la règle, à l’équerre, et s’en est fait maître et possesseur ?
Qui a exhibé les nôtres dans des zoos, a exposé le corps et les ossements de nos ancêtres dans des musées ? Qui a dit et écrit que nous sommes des sauvages, des barbares, de grands enfants, que nous avons une mentalité prélogique ?
Qui, pour s’enrichir nous a spoliés de nos ressources, dépossédés de nos mines, dépouillés de nos métaux ?
Qui a coupé des mains au Congo, des têtes au Niger ? Qui, au napalm, a brûlé des villages au Cameroun ? Combien de victimes Ngoni, Matumbi, Zaramo, Sagara, et Kitchi, a-t-il fait en réprimant la révolte Maji-Maji, en Tanzanie ? Combien de morts Kikuyu a-t-il fait en réprimant l’insurrection Mau-Mau, au Kenya ? N’est-ce pas lui qui a exterminé les Héréros et les Nanas en Namibie ?
Qui a conçu un ordre constitutionnel à son image, et l’a érigé en norme chez nous ? Qui, sous le manteau de l’universalité a introduit sa démocratie chez nous ?
Une seule réponse possible : l’Occident qui a toujours été présent à nos côtés pour veiller à notre dépendance et pour assurer notre malheur.
Nous sommes-nous jamais demandés ce que l’Occident serait devenu si l’Afrique n’avait pas existé ?
Ci-bas, la figure qu’il aurait présentée au monde :
Celle d’une région insipide, une région sans goût parce que les épices venaient d’Afrique ; d’un espace sans faste car l’or provenait d’Afrique ; d’une aire d’oisiveté puisque la force de travail était capturée en Afrique.
On aurait vu des industries tourner à vide, faute de matières premières, et sur les quais, de la pacotille amoncelée, faute de débouchés.
Regardez, tous ces beaux palais, ces belles bâtisses, à Copenhague, à Lisbonne, Liverpool, à Londres, à Bristol, à Lancastre à Saint-Malo, à Nantes, à Dunkerque, au Havre, à Marseille, à Bordeaux, à la Rochelle, Amsterdam, à Gustavia, à Cadix, à Grenade, c’est l’argent, la douleur, les larmes, le sang de nos ancêtres.
Si l’Egypte africaine ne l’avait pas initié à la science et à la technique, à la physique, aux mathématiques, à l’astronomie, à la médecine ; à la philosophie, il se serait figé au stade où Champollion le jeune l’avait trouvé ; sur les bas-reliefs de la tombe d’Ouseréi Ier : sauvage, vêtu de peau de bête, fermant la marche de l’humanité.
En vérité si l’Africain n’avait pas existé, l’Occidental n’aurait pas été. C’est ici en Afrique qu’Homo sapiens, noir, est venu à l’existence. C’est là-bas, en Europe qu’il a migré, s’est transformé, avant d’occuper l’Amérique. Le premier homme, parti d’Afrique pour s’installer en Europe s’appelait Homme de Grimaldi. Dans son nouvel environnement, sous l’influence du climat, l’Homme de Grimaldi subit des mutations, il change, s’adapte. L’homme de Cro-Magnon, issu des mutations de Grimaldi est l’ancêtre des blancs. Assurément, entre l’homme noir et l’homme blanc, il y a une filiation. Cependant je n’irai pas jusqu’à dire que le Noir a enfanté le Blanc, mais le Blanc est issu du Noir.
Au cours de ses six siècles de domination, le plus grand retournement que l’Occident a réussi, est de nous avoir convaincu que nous dépendons de lui. A-t-il jamais songé à nous quitter depuis que nous nous sommes rencontrés au détour du XVe siècle ? Non, l’Occident sait ce que quitter l’Afrique lui coûterait, et la prévoyance est une de ses qualités. Il s’est dès lors ingénié à développer une stratégie de présence permanente en Afrique. Il faut se rendre à l’évidence, tout ce que l’Occident nous propose, tout ce qu’il nous offre dissimule un leurre. La coopération, l’aide, les plans, les projets et programmes, les droits de l’Homme et la démocratie constituent un « ensemble d’actions coordonnées, d’opérations habiles, de manœuvres en vue d’atteindre un but précis » telle est la définition de la stratégie, et le but précis à atteindre est la pérennité de l’Occident en Afrique pour dominer et exploiter. A cette fin, et dans l’optique de cette stratégie, l’Occident pratique la politique de la carotte et du bâton. La carotte c’est la démocratie à la mode occidentale. Le bâton c’est le terrorisme.
Le terrorisme fonctionne comme la punition des récalcitrants en même temps qu’il justifie la présence militaire de l’Occident, plus préoccupé par la sécurisation de ses sources d’approvisionnement en ressources minières et énergétiques que par la sécurité. La démocratie à la mode occidentale est la récompense des soumis, elle perpétue l’ordre occidental en l’imitant, elle accrédite l’Occident en juge et censeur, bailleur de fonds et observateur, mais surtout en grand électeur qui désigne à la tête de nos Etats, les hommes et les femmes qui protègent ses intérêts au détriment des nôtres.
Accepterons-nous encore d’être infantilisés, nous les aînés de l’humanité, nous qui, les premiers, avons reçu la vie, nous qui l’avons conservée, nous qui avons initié toutes choses destinées à l’agrémenter ? Accepterons-nous longtemps que l’on nous traite comme des gueux, que l’on nous considère comme des miséreux, nous qui avons sous nos pieds, le quart des terres arables de la planète, le tiers des réserves minérales mondiales ? Accepterons-nous, que l’on nous traite comme quantité négligeable, nous qui serons les plus nombreux sur la surface de la terre ?
En voilà assez ! L’occident s’est trop longtemps repu de notre esprit, de notre chair, de notre terre. Nous proclamons l’état d’incolonie pour le présent et l’avenir.
L’incolonie est l’état d’esprit, l’attitude, le comportement de l’Africain qui ayant connu l’esclavage, la colonisation et l’indépendance factice, de même que les exactions, les humiliations et les complexes qui les accompagnent, prend conscience de sa responsabilité primordiale dans l’humanité, de la place centrale de son continent dans le monde, œuvre à rendre chimérique tant sur le plan culturel que sur les plans économique, politique et militaire, toute domination, toute occupation et toute idée de recolonisation.
Farmo M.