
La violence fondée sur le genre représente l’une des atteintes les plus répandues aux droits humains dans le monde, sans tenir compte des frontières sociales, économiques ou nationales. Cette forme de violence compromet la santé, la dignité, la sécurité et l’autonomie des victimes, tout en étant maintenue dans une culture du silence, soutenue par des croyances et des valeurs qui la légitiment ou la qualifient comme une norme dans les interactions hommes-femmes.
Il est, encore, de nos jours, ces histoires, ces faits odieux et moyenâgeux qui n’honorent en rien la société moderne. Qu’il s’agisse de coups, de violences morales, d’abus sexuels ou d’autres formes de maltraitance, ces actes bannis de normes socio-culturelles et religieuses, généralement de la part d’un proche, un conjoint, un membre de la famille, un collègue ou même des inconnus, ainsi que par des individus agissant au nom d’institutions, les violences basées sur le genre découlent d’un rapport de force le plus souvent inégal. Au Niger, beaucoup de femmes et de filles en souffrent au quotidien, mais au regard des répercussions graves irréfragables sur la santé, l’honneur, la dignité et le développement personnel, entre les pesanteurs sociales, le coût médical et les séquelles morales et physiques, la prise en charge des victimes n’est pas des plus aisées.
Le rapport sur l’ampleur et les déterminants des violences basées sur le genre au Niger, conduit en 2021 et publié dans un document de l’Association des Jeunes Filles pour la Santé de la Reproduction (AJFSR), indique qu’entre l’année 2021 et 2022, il a été répertorié au Niger 6.354 incidents des VBG dans les régions de Diffa, Zinder, Maradi, Tahoua et Tillabéri. D’après le rapport, 3,9% des personnes interrogées ont déclaré avoir subi au moins un acte d’agression sexuelle, soit 5,1% chez les femmes contre 1,8 % chez les hommes.

La violence basée sur le genre peut revêtir différentes formes, qu’elles soient sexuelles, physiques, verbales, psychologiques (émotionnelles) ou socioéconomiques. D’après les explications de Mme Gogé Maimouna, les violences faites aux femmes dépendent des réalités socioculturelles d’un pays. Le contexte nigérien ou africain est très différent du contexte occidental, car les réalités diffèrent. Pour aider la femme nigérienne, dit-elle, il faut mettre l’accent sur les violences qu’elles vivent réellement. Les femmes rurales représentent plus de 80 % des femmes et ne réclament rien d’autre que de quoi mettre dans la marmite pour cuisiner et nourrir leurs enfants. Les violences que subissent les femmes au Niger viennent essentiellement de leurs conjoints, et vont du chantage affectif à des insultes, voire des coups. « Quand elles viennent, c’est pour me dire, Madame cela fait 17 mois à 2 ans, qu’il ne m’a pas touchée, il ne me touche pas. Je suis là juste pour m’occuper de sa maison, de ses enfants. Il n’y a pas plus grande violence qu’une femme de 22 ans, de 24 ans, 28 ans peut subir. Il y en a qui sont venues me dire Madame, aidez-moi à divorcer », explique Mme Gogé Maimouna Gazibo, magistrate de formation, coordonnatrice de la plateforme Chroniques Juridiques, une défenseure des droits des personnes vulnérables (à 90% des femmes). Dans sa chronique sur les réseaux sociaux, des histoires, parmi tant d’autres, tirées de son registre, disent long sur les diverses formes de violences dont souffrent certaines femmes.
Des vécus difficiles
« Quand je me plains, il me tape et me traite de folle, retire mes biens précieux pour me demander de quitter sa maison et ricane méchamment. Quand j’appelle ma mère, elle se range systématiquement de son côté, me gronde et me reproche de vouloir mettre fin à mon mariage pour me livrer à la prostitution. La dernière fois que mon mari m’avait frappée et défigurée, je m’étais réfugiée chez une cousine paternelle qui m’avait conduite devant le juge. Ce dernier avait suggéré que je porte plainte pour violences conjugales (coups et blessures volontaires) mais j’ai préféré réduire ma requête à l’obtention de mon divorce. Mon mari s’était farouchement opposé à toute idée de séparation au motif qu’il tenait à sa famille, nos enfants et à moi-même », confie anonymement, une femme sur Chroniques Juridiques.
« Mon mari venait vers moi, peu importe mon état de fatigue, de stress, que je sois indisposée ou malade. Tant qu’il a l’envie, je devais simplement obéir à absolument tous ses désirs et délires. Il a fallu une voisine du quartier, pour m’expliquer que je n’avais pas à subir les assauts de mon mari en période d’indisposition ou dans la quarantaine. J’ai su également que certaines pratiques n’étaient ni religieuses, ni catholiques et que je pouvais dire non », a confié une autre dans un témoignage.
Une mère avec six enfants à charge, la quarantaine d’âge franchie, affirme avoir été maltraitée et abusivement jetée hors de son foyer par son premier mari. « En plus de 15 ans de mariage, il n’avait pas connu d’avancement significatif ni de promotion contrairement à ses collègues. Comme le manque de chance persistait, sa mère et ses sœurs ont fini par m’indexer et m’en rendre complètement responsable. Ma belle-mère n’a cessé de me jeter à la figure : ‘’ton ventre est fait pour accoucher et ta tête est faite pour faire fuir la chance’’ ! Mon époux n’accordait pas tellement d’importance à ces accusations au début de notre union. Mais, il a fini hélas par me répudier », a-t-elle dit.
« (…) Mon ex-mari ne s’est jamais soucié de savoir si nos enfants étaient en bonne ou mauvaise santé, s’ils mangeaient ou non à leur faim, dans quelle école ils évoluaient. Après notre séparation, je l’avais convoqué à la justice afin qu’il me verse une pension alimentaire comme il ne souhaitait pas assumer la garde. Le juge m’avait prévenue cependant que s’il manifeste un jour le désir de les reprendre, je perdrais la garde surtout si je contracte un nouveau mariage. Aujourd’hui, il exige la garde juste pour me causer de la peine, car il veut me reprendre les enfants pour les confier à sa maman qui ne m’a jamais supportée », se lamente la dame qui dit avoir trouvé une vie heureuse dans son nouveau foyer, mais que son ancien mari lui joue le trouble-fête.
Plus jeunes, plus vulnérables
Les données sur les VBG montrent qu’au Niger les victimes se répartissent généralement selon les tranches d’âge suivantes : adolescentes (10-14 ans) et Jeunes Femmes (15-24 ans). En tenant compte des explications de Mme Ahmed Mariama Moussa, présidente de l’ONG SOS Femmes et Enfants victimes de violence familiale, cette tranche d’âge est particulièrement vulnérable aux violences sexuelles, souvent liées à des mariages précoces, à l’exploitation ou à d’autres formes de violence. « Beaucoup de femmes en âge de procréer entre 25-49 ans sont également victimes des VBG. Cette catégorie est souvent issue de milieux socio-économiques précaires et exposées aux violences domestiques ou conjugales. En ce qui concerne le statut des victimes, plusieurs facteurs de vulnérabilité sont fréquemment observés. Les victimes proviennent majoritairement des populations rurales ou de milieux économiquement défavorisés où l’accès à l’éducation et aux ressources est limité », a-t-elle fait savoir.

Dans cette catégorie, a signalé la présidente de l’ONG SOS FEVVF, figurent les jeunes filles victimes de mariage précoce, mais aussi des femmes mariées divorcées ou veuves qui se retrouvent dans une situation d’isolement et de précarité. Certaines victimes issues de groupes particulièrement marginalisés, comme les personnes en situation de handicap, subissent des discriminations supplémentaires. Ces constats, dit-elle, soulignent la nécessité d’une approche ciblée et intégrée pour la prévention et la réponse aux VBG au Niger, en tenant compte à la fois de l’âge et des conditions socio-économiques des victimes.
Pour soutenir les femmes et les enfants victimes de violences, plusieurs organisations et associations sont à pied d’œuvre pour apporter une assistance aux femmes afin de leur garantir une prise en charge globale et intégrée à leurs besoins immédiats et favoriser leur rétablissement à long terme. Dans le cadre de la lutte contre les VBG, Mme Ahmed Mariama a annoncé que l’ONG mène des actions pour une meilleure prise en charge d’urgence des soins médicaux, des examens médico-légaux et collecte de preuves (expertise) en vue d’appuyer les démarches judiciaires. Elle offre également des soutiens sociaux pour leur réinsertion en les orientant vers des structures d’hébergement temporaire ou refuges. « Nous menons des campagnes de prévention. Ces services sont assurés par une équipe spécialisée et interdisciplinaire, permettant ainsi d’offrir une réponse complète et adaptée aux besoins des victimes », a-t-elle ajouté.
Des pesanteurs sociales sur les actions de lutte contre les VBG
Dans des pays tels que le Niger, diverses causes et interprétations alimentent les nombreuses agressions subies par les femmes et les filles, qu’elles soient physiques, émotionnelles, sexuelles ou psychologiques. En effet, conformément aux éclaircissements de Mlle Kadiatou Idani, présidente de l’Association des Jeunes Filles pour la Santé de la Reproduction, le profil des victimes de violence varie selon le type de violence. Ce qui fait que ces survivantes ne retrouvent pas un état normal après les actes ignobles, laissant des séquelles dans leur quotidien. C’est pourquoi, elle s’engage à fournir soutien, conseils, sensibilisation et orientation pour inciter ces femmes à dénoncer leurs agresseurs. « Nous sommes en parfaite collaboration avec les services de protection des mineurs et des femmes de la police nationale et la cellule de la gendarmerie. Quand nous recevons les victimes, nous les référons directement pour qu’elles puissent avoir la réquisition qui va leur permettre d’avoir accès à un médecin pour être prises en charge et avoir les premiers soins », a-t-elle expliqué.

Un facteur qui contribue aux violences de genre réside dans le silence des victimes qui craignent de désigner leurs bourreaux, de peur d’être stigmatisées par la société et de recevoir des menaces de la part des personnes responsables de ces actes. « Ce qu’on essaye de faire comprendre aux femmes et aux filles ainsi qu’à la population, c’est de dénoncer les bourreaux au niveau des services de la police ou de la gendarmerie. Dénoncer ne veut pas dire qu’on veut engager des procédures judiciaires, le plus important c’est de donner toutes les informations et les alternatives, après la décision finale lui revient. On essaye d’être là pour la victime du début jusqu’à la fin et trouver les moyens pour qu’elle ne puisse plus être exposée à la violence. Ce qui est délicat dans les questions de prise en charge des violences, c’est que souvent, en voulant aider, on expose la victime à d’autres violences », a précisé la Présidente de l’AJFSR.
D’après les données, la présidente de l’AJFSR a indiqué que 80 % des agresseurs sont des personnes de l’entourage, comme des membres de la famille, des collègues ou des amis, ce qui rend souvent difficile pour elles de dénoncer ces abus, notamment lorsque l’agresseur est un frère, un cousin ou même un père. « Dans l’éducation reçue, comment est-ce qu’on arrive, à première vue, à dénoncer et pouvoir aller de l’avant ? C’est très difficile », dit-elle avec un air désolé.
Le coût élevé de la prise en charge médicale, un obstacle majeur à la santé
Les violences sexuelles représentent un enjeu majeur aux conséquences dévastatrices. L’accès à des soins médicaux appropriés est essentiel, car cela permet non seulement de traiter les blessures physiques, mais également de prévenir des infections et de rassembler des preuves légales qui sont cruciales pour engager des poursuites contre les agresseurs. Cependant, un coût de 30.000 FCFA, comme l’indique Mme Kadiatou Idani, constitue un obstacle pour les victimes qui cherchent à obtenir justice, d’autant plus que l’expertise médicale est une étape indispensable pour réunir les éléments de preuve nécessaires à la poursuite judiciaire. « Nous avons commencé un plaidoyer pour la gratuité de l’expertise médicale qui est adressé au ministre de la santé, nous avons produit un argumentaire qui montre à quel point ces 30.000 FCFA constituent une barrière énorme pour l’accès à la justice et aux soins des femmes. Quand on analyse le profil de la population du Niger, la majorité des victimes de violences sexuelles vivent déjà dans la pauvreté. Non seulement tu es victime et survivante de violence, mais tu dois encore payer presque 30.000 FCFA dans un État qui est censé te protéger. Il s’agit là d’une double violence. Beaucoup n’iront jamais dans les centres de santé encore moins vers la police », a-t-elle déploré.
Cependant, les acteurs qui œuvrent inlassablement pour une meilleure prise en charge des victimes des VBG fondent l’espoir qu’avec l’engagement des autorités actuelles, la donne pourra changer et les femmes seront dans leurs droits. « Nous savons déjà qu’il y a eu une réduction de 50% sur les coûts sanitaires, c’est déjà un très bon début et que la gratuité est bien possible », espère Mme Kadiatou.
Des risques de troubles de stress post-traumatique
Les violences basées sur le genre ne laissent pas seulement des cicatrices physiques, elles brisent aussi l’équilibre psychologique des victimes qui souffrent souvent de troubles de stress post-traumatique (TSPT), caractérisés par des flashbacks, des cauchemars de l’anxiété et de dépression, et expriment fréquemment des sentiments de honte, d’isolement et de culpabilité. Beaucoup ressentent également une grande peur des représailles et un sentiment de vulnérabilité qui compliquent leur capacité à demander de l’aide. Leur état peut varier de la résignation à une volonté d’espérer et de reconstruire leur vie, ce qui nécessite une prise en charge personnalisée et bienveillante pour instaurer un climat de confiance et favoriser leur rétablissement.
Selon la psychologue, Mahamane Sani Hindatou, la fréquence des consultations pour des cas des VBG varie selon le contexte géographique et la disponibilité des services. Dans les centres spécialisés où les dispositifs de signalement sont bien établis, il n’est pas rare de constater plusieurs consultations par semaine. Cependant, dans d’autres zones, dit-elle, notamment rurales où la stigmatisation reste forte, le nombre de victimes peut être moins élevé, car beaucoup choisissent de garder le silence. C’est ainsi que les spécialistes proposent des thérapies aux victimes des VBG adaptées à la nature complexe du traumatisme vécu et à la diversité des besoins individuels dont, entre autres, les Thérapies Cognitive-Comportementales (TCC) centrées sur le trauma qui permettent d’identifier et de restructurer les pensées négatives associées au traumatisme, tout en développant des stratégies pour gérer l’anxiété, les flashbacks et les réactions émotionnelles ; la désensibilisation et le retraitement par les Mouvements Oculaires qui est une technique reconnue pour aider les victimes à retraiter les souvenirs traumatiques, réduire l’intensité des émotions associées et faciliter l’intégration des expériences vécues ; la thérapie de soutien qui offre un espace sécurisé pour exprimer ses émotions, valider son vécu et renforcer l’estime de soi. Cette dernière approche, selon la psychologue, se concentre sur l’écoute empathique et le renforcement des ressources personnelles.

Il existe également les thérapies de groupe qui permettent aux victimes de partager leurs expériences dans un environnement bienveillant, favorisant le soutien mutuel et la diminution du sentiment d’isolement ; les thérapies complémentaires qui sont des approches aidant à reconnecter le corps et l’esprit, à gérer le stress et à améliorer la régulation émotionnelle par des techniques de relaxation, de méditation ou de mouvement ; et les séances de thérapie familiale qui sont proposées pour améliorer la communication, le soutien et la cohésion au sein du foyer.
« Chaque intervention est personnalisée afin de répondre au mieux aux besoins spécifiques de la personne, tout en assurant un suivi régulier pour adapter les stratégies thérapeutiques en fonction de l’évolution du bien-être de la victime. Après le traitement, il y a un accompagnement post-traitement qui assure que le processus de guérison ne se limite pas aux seules séances thérapeutiques initiales, mais s’inscrit dans une démarche de rétablissement à long terme, visant à restaurer l’autonomie et la confiance des victimes », a-t-elle ajouté.
Fatiyatou Inoussa (ONEP)