Vous êtes à Niamey dans le cadre du Rassemblement des éleveurs/pasteurs pour échanger sur les résultats d’une étude portant sur le pastoralisme et l’insécurité. Avant de revenir sur cette rencontre, pouvez-vous nous parler de la situation des éleveurs/pasteurs habitant l’espace sahélien et qui vivent dans l’insécurité en tout genre depuis plusieurs années ?
Merci de nous avoir donné cette opportunité de nous prononcer sur cette question d’actualité, de contribuer à la compréhension d’une situation qui concerne toutes les couches sociales et qui affecte directement tous les producteurs : éleveurs/pasteurs, agro pasteurs, agriculteurs, etc. En effet, le sombre et complexe tableau, qui prévaut, et perdure depuis près d’une décennie affecte particulièrement le milieu pastoral et agropastoral. Le milieu pastoral, sert malheureusement donc de « champ de bataille » aux protagonistes armés, acteurs de l’insécurité. Donc ceci pour dire que la crise s’est imposée au milieu pastoral, agropastoral, et du coup, les organisations pastorales, les éleveurs/pasteurs, les agropasteurs en particulier se sont retrouvés sur le champ d’une bataille qui les affecte sérieusement, y compris dans leur mode de vie notamment la sérieuse entrave à la mobilité de leur bétail. On dit que : « quand les éléphants se battent, c’est l’herbe qui souffre», voilà comment on peut imager ce théâtre qui se joue en zone pastorale. Ici les éleveurs pasteurs et agropasteurs qui se retrouvent sans le vouloir entre les protagonistes armés (les éléphants), sont comme l’herbe sous leurs pattes. De fait, il y’a comme un terreau plus ou moins favorable au développement d’activités de tout genre contre la volonté de ses habitants en l’occurrence les éleveurs/
pasteurs et agropasteurs dans leur ensemble. Malheureusement, certaines perceptions ont tendance à faire croire à une éventuelle collusion du monde pastoral et agropastoral d’avec la nébuleuse manifeste dans ces zones pendant qu’il reste évident que la frange de ressortissants acteurs dans ce théâtre, demeure très minoritaire. En effet, la grande majorité des éleveurs/pasteurs et agropasteurs, est simplement une victime de l’insécurité ambiante et de ses effets collatéraux tant sur le plan social, culturel qu’économique.
Quelles sont les relations entre les autorités et les communautés pasteurs dans cette situation ?
Les communautés pastorales et agropastorales sont républicaines et s’y reconnaissent comme telles dans leurs Etats respectifs. Toutefois, à l’instar de tous les citoyens, elles ont des devoirs mais aussi des droits d’où l’esprit de l’Appel de Niamey. Par ricochet, il sied de préciser qu’à travers des cadres communs, comme celui-ci, qui nous a regroupé du 27 au 29 Mai 2021, à Niamey au Niger, les éleveurs/pasteurs et agropasteurs se sont toujours évertués à dénoncer les formes d’injustice sociale courantes, à défendre leurs intérêts, à assurer la sensibilisation et l’information de leurs membres sur les principes de cohésion sociale, du vivre ensemble….
Au-delà de ces actions est-ce qu’à votre niveau en tant que leaders de cette communauté, il y’a des actions ou des initiatives en vue de sensibiliser les communautés par rapport à cette crise ?
Depuis le début de la crise sécuritaire, les éleveurs/pasteurs et agropasteurs se sont régulièrement attelés à promouvoir davantage la coexistence pacifique qui s’effrite inexorablement du fait de la crise sécuritaire persistante, à consolider la cohésion sociale entre d’abord les communautés pastorales, ensuite entre elles et les autres communautés, en occurrence les communautés agropastorales, les communautés d’agriculteurs, etc.
Les éleveurs/pasteurs et agropasteurs s’évertuent à consolider et/ou à réhabiliter les mécanismes traditionnels, les liens sociaux jadis fonctionnels entre toutes ces communautés en vue de promouvoir durablement la coexistence pacifique et la cohésion sociale. Les organisations pastorales poursuivront cette conviction en dépit des embuches qui parsèment le chemin.
Nous sommes en train de travailler inlassablement de sorte que chacun comprenne et entretienne ses droits et ses devoirs dans le respect de son prochain, de sa communauté, de sa nation, malgré le contexte. Aussi, il s’agit pour tous les éleveurs/pasteurs de jouer leur partition afin que le contexte actuel ne soit encore plus explosif.
Pour parler de cette rencontre de Niamey qui a regroupé plusieurs pays de l’Afrique de l’Ouest, du Sahel et de l’Afrique central, dites-nous dans quel cadre s’inscrit-elle?
Nous nous sommes retrouvés ici parce qu’il y’a une sorte de prise de conscience générale dans l’espace de la CEDEAO, au Sahel et dans le reste de l’Afrique notamment du Centre, des communautés pastorales, agropastorales à jouer leur partition non seulement dans la défense des intérêts de leurs membres mais et surtout à contribuer à l’édification de la paix tant souhaitée par toutes les composantes de notre espace. Cette prise de conscience est la preuve tangible d’un sursaut de l’ensemble des organisations pastorales et agropastorales de cette zone qui ont estimé : qu’il est temps d’agir et de formuler des recommandations fortes en lien évidemment avec les acteurs étatiques, la société civile en générale, les PTF ; de partager les préoccupations légitimes des producteurs pastoraux et agropastoraux portant sur les conséquences d’une crise sécuritaire inédite au plan économique, social et culturel, etc.
Quel est aujourd’hui l’avenir de cette activité pastorale qui est aussi importante pour les économies de nos pays ?
Je suis de nature optimiste. L’activité, à l’instar des autres activités économiques, connait des difficultés. Des difficultés d’ordre structurel parce qu’avec le changement climatique déjà, on vit des difficultés qui affectent directement les activités pastorales. Ensuite, à ces difficultés viennent se greffer d’autres types de difficultés d’ordre conjoncturel en l’occurrence l’actuelle forme d’insécurité ; les entraves de la mobilité pastorale principalement à l’échelle transfrontalière.
Malgré tout, il ne faut pas baisser les bras comme on dit couramment, donc pas de fatalisme, à tous de mettre en place des systèmes et des stratégies les plus idoines possibles afin de relever les défis qui interpellent, à commencer par les Etats.
Avez-vous un message ou un appel à lancer aux organisations pastorales et agro
pastorales du Sahel?
Tout d’abord, je souhaite que les organisations pastorales et agro pastorales du Sahel, gardent jalousement leur optimisme, gage de leur résilience et s’attèlent inlassablement à développer des synergies durables leur permettant de surmonter plus efficacement les difficultés auxquelles elles sont confrontées. Ensuite de poser les bases de dialogue social et politique intra et intercommunautaire entre les organisations pastorales, les organisations d’agriculteurs et tous les producteurs et acteurs du milieu rural et semi urbain. Enfin de veiller au respect strict des mécanismes traditionnels de prévention et de gestion de conflits dans les différents terroirs, gage d’une stabilité durable.
Réalisée par Ali Maman (onep)