
Pr Farmo à la maison Barth ...
La concomitance des visites de nos établissements d’Enseignement et de Formation Techniques et Professionnels en région et la quête du pan régional de notre histoire est maintenant une tradition établie : la capitale de l’Aïr en témoigne.
Que d’honneurs et de privilèges accordés par Agadez ! Sans doute, la parenté à plaisanterie et le cousinage qui, par mon côté songhay, me font roi en contrée touareg, y sont pour quelque chose.
Le 2 octobre 2025, le Gouverneur de la Région, le Général Boulama, eut l’amabilité de m’introduire au palais royal, auprès de Son Altesse Oumarou Ibrahim, 52e Sultan de l’Ayar. Nous fûmes, le Gouverneur et ses collaborateurs, ma délégation et moi, reçus dans la salle du trône, en présence des notabilités de la cour. Après la fathia dite au nom d’Allah, le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux, en faveur de la protection et du succès de notre pays, le Sultan, fin connaisseur nous fit l’historique du Sultanat, du règne de Younous Taggag, premier sultan de l’Ayar débutant en 1405, à celui de son père Ibrahim Oumarou qui s’est achevé en 2012. Il nous fit lui-même visiter le monument qui du haut de ses vingt-sept (27) mètres domine la cité : la mosquée d’Agadez plusieurs fois centenaire, la mosquée aux quatre-vingt-dix-neuf (99) marches évoquant les 99 noms de Dieu. Le même jour, le Sultan nous emmena visiter l’ancien palais de Kaocen. En outre, son Altesse Oumarou Ibrahim envoya son frère, agronome de formation et gardien de la tradition à notre résidence afin qu’il nous entretienne de l’histoire du Sultanat. L’homme qui a renoncé à cultiver la terre pour cultiver la mémoire, nous fit un brillant exposé du sujet qu’il maîtrise parfaitement, et me remit, de la part de son Altesse, une clef USB contenant l’histoire du Sultanat.
Le 3 octobre 2025, le Gouverneur d’Agadez, occupé par l’accueil des autorités venant de toutes les régions du pays, notamment celui de Son Excellence Ali Mahaman Lamine Zeine, Premier ministre, ministre de l’Economie et des Finances, manda que son Secrétaire général nous accompagne. Nous nous rendîmes tour à tour au Fort Dufau, à la place des Martyrs, et à la maison Barth.
Toute démarche historique qui se limite à la glorification du passé est partielle, incomplète, subjective et trompeuse. L’Histoire, la nôtre y compris, présente des aspects fastes qu’il faut positiver et des aspects négatifs qu’il faut examiner pour en tirer des leçons. L’envers et le revers de l’histoire doivent être assumés ensemble.
Résistance
Ici, l’histoire ne peut être contée, sans évoquer les faits d’armes glorieux de Mohammed Teguida Kaocen et ceux d’Abderhaman Tegama. C’est le refus de la sujétion, l’amour de l’indépendance et de la souveraineté, toutes choses qui donnent un sens à notre Refondation qui leur coûtèrent la vie. Ils l’ont perdue héroïquement, ils l’ont sacrifiée pour leurs descendances, pour leur pays. Et, s’ils n’ont pas dit expressément : la mort plutôt que l’humiliation et l’esclavage, « la patrie ou la mort, nous vaincrons ! », c’est ce que leurs actes sublimes laissent entendre. Le Chef militaire assiégea le Fort Dufau du 13 décembre 1916 au 3 mars 1917. Le Souverain infligea une défaite à l’armée coloniale française, le 28 décembre 1916, à Tin Toboraq. Héros de la lutte anticoloniale, le premier fut pendu le 5 janvier 1919, le second fut exécuté le 30 avril 1920.
Je suis allé au Fort Dufau. Je n’ai rien vu qui rappelle Kaocen, je n’ai rien vu qui évoque Tégama ! Le Fort Dufau est la garnison française assiégée par Kaocen. Il a été baptisé, à titre posthume, du nom de l’officier français Julien Dufau qui l’a construite en 1905. Cet officier français a été capturé et exécuté lors de la bataille de Tin Toboraq, son corps repose non loin du Fort, dans le cimetière militaire qui a été restauré par la France en 2022. La cérémonie d’inauguration eut lieu le 24 mars en présence de l’ambassadeur de France au Niger et de plusieurs autorités civiles et militaires nigériennes.
Je suis allé au Palais construit par le Sultan Tégama afin d’accueillir et d’héberger ses alliés dans la lutte anticoloniale : Kaocen et ses hommes. J’ai constaté avec regret que ce lieu de mémoire a été transformé en hôtel où fort probablement seuls les touristes français et autres occidentaux de passage à Agadez peuvent se payer des nuitées. Et, devant cette monumentale incongruité, je me suis retenu pour ne pas crier à la profanation.
Comment comprendre que nous entourions le résistant d’une auréole, que nous couvrions le héros de la lutte anticoloniale de gloire, et que n’ayons point de respect pour les lieux où il a vécu et mené son épopée ? Il y a là une inconséquence patente, une incohérence évidente entre ce que nous disons et ce que nous faisons.
Chez nous, la France honore ses morts. En souvenir, elle élève des monuments et entretient les lieux de mémoire, pendant que nos morts gisent dans l’indifférence et l’oubli. Ici, pas le moindre petit monument qui vienne rappeler leur bravoure, leur sacrifice, leur héroïsme.
J’ai trouvé le summum de cette inconséquence à la maison Barth, l’anthropologue explorateur allemand qui séjourna à Agadez en 1850 : le discours quasi liturgique du conservateur, la sacralité dont sont entourés les chaussures, les malles et autres objets hétéroclites ayant appartenu à Barth. Sait-on que l’explorateur est un maillon de la chaîne coloniale, qu’il a précédé, informé et préparé le terrain pour le militaire qui a conquis nos terres, et pour l’administrateur colonial qui a imposé sa loi ?
Ce qui est blâmable, ce n’est pas le fait de conserver la maison Barth, d’entourer les objets qu’il a laissés de soins méticuleux, mais le fait que nos morts, nos héros ne bénéficient pas du même traitement mémoriel.
Ici, une seule solution : la résipiscence, c’est-à-dire la reconnaissance de la faute et la volonté de la corriger.
Savoir
Carrefour commercial depuis les temps immémoriaux, Agadez, à l’instar de Gao et de Toumbouctou, a été aussi un centre culturel florissant, un lieu de savoir couru. En cette ville, ont résidé plusieurs savants, hommes de sciences et de lettres. Les étudiants venaient de tous les horizons pour suivre leurs enseignements. Mallam Djibril dan Oumarou, le docte, le jurisconsulte, le théologien, le philosophe et sage compte au nombre de ces illustres Agadéziens, et il eut comme disciple le non moins célèbre Ousmane dan Fodio.
Si j’évoque Agadez sous l’aspect du savoir, je n’invite point à avoir devant le passé meublé de sciences, de lettres et d’érudition, une attitude contemplative. Je cherche plutôt la voie à suivre pour rendre à Agadez son lustre d’antan.
Ah ! Depuis l’année 2014, la ville d’Agadez abrite une Université. Or, le rôle de l’Université est indissociable des recherches fondamentales et appliquées dans toutes les disciplines, du développement, de la valorisation et de la diffusion des résultats. L’université d’Agadez gagnerait donc à se faire l’héritière d’Agadez la savante.
Entre 1967 et 1969, Boubou Hama avait demandé à son correspondant Bukhari Tanoudé de coucher sur papier ses connaissances sur l’histoire de l’Aïr et du Damagaram. Il produisit cinq (5) manuscrits dont un porte le titre : « Eclairage sur la nécrologie des savants et hommes illustres des XIIIe et XIVe siècles de l’Hégire / XIXe – XXe siècles ».
Ce manuscrit cite une trentaine de savants, parmi ceux-ci :
– Ahmad al-Bagdadi, théologien ;
– Muhammad Shanko, philosophe, médecin, jurisconsulte, historien ;
– Al-Imam Ahmad Gak, poète (assassiné par les militaires français dans la mosquée, le 4 mars 1917) ;
– Abd Allah al Agadazi, médecin, jurisconsulte, poète (assassiné par les militaires français dans la mosquée, le 4 mars 1917) ;
– Abu Bakr Hamma, linguiste (assassiné par les militaires français dans la mosquée) ;
– Les cheikhs jumeaux Akna et Akna, écrivains, philosophes, juristes, (assassinés dans la mosquée par les militaires français, le 4 mars 1917) ;
– Cheikh Mulay al Hagg Hatit, mathématicien.

Je suis allé à la Place des Martyrs et j’ai visité le cimetière y attenant dans lequel cohabitent tombes individuelles et fosses communes. Qui, à Agadez, à Diffa, à Dosso, à Maradi, à Niamey, à Tahoua, à Tillabéry et à Zinder, sait situer la Place des Martyrs ? Qui connaît le nom des Martyrs, et qui sait pourquoi ils ont été déclarés martyrs ?
La lecture du document cité donne réponse aux questions ci-dessus posées. On y lit en effet que « tous les savants, les lettrés et les hommes de religion de la ville d’Agadez furent exécutés par les militaires français dans la Grande Mosquée de la ville, où ils s’étaient réfugiés, et leurs manuscrits furent brûlés ».
Le crime odieux de la Mosquée d’Agadez perpétré le 4 mars 1917, peu connu des Nigériens, doit être inscrit dans nos manuels scolaires, enseigné dans nos écoles, introduit dans la mémoire collective. Ce crime doit être désormais ajouté à ceux commis par la France sur nos terres, et cité avec ceux de Sansané haoussa, de Tessaoua, de Lougou, de Kouran Kalgo, de Djoundjou, de Birni N’Konni, de Maïjirgui et de Zinder.
Savoir-faire
En ce qui concerne le savoir-faire, qu’il me suffise de prendre à témoin la Grande mosquée d’Agadez. Ce n’est ni la date exacte de sa construction (entre le XVe et les XVIe siècles) ni la véritable identité de son constructeur (Zakarya venu de Bagdad ou plus probablement de Gao avec l’Askia Mohamed) qui importent ici, mais la réalisation d’un chef-d’œuvre architectural.
Cette construction altière faite chez nous, avec des matériaux de chez nous, qui résiste au temps et aux intempéries depuis cinq siècles au moins, est un appel persévérant au ressourcement, à la fréquentation de l’école de la tradition, à l’apprentissage des techniques endogènes, lancé à nos ouvriers, nos maçons, nos écoles techniques et professionnelles et à nos ingénieurs, à leur génie créateur, à leur esprit d’innovation et à leur sens de l’initiative pour que le passé soit investi dans le présent, pour que le passé soit utile pour le présent.
Farmo M.