«Si des mesures fortes et coordonnées ne sont pas rapidement prises, la situation au Sahel risque de se détériorer davantage ; le fléau du terrorisme se répandra encore plus vite et encore plus loin. ». C’était-là la mise en garde lancée, il y a de cela quelques temps, par Maman Sidikou, Secrétaire Permanent du G5 Sahel, cette organisation regroupant le Niger, le Mali, le Burkina Faso, la Mauritanie et le Tchad. Cette sonnette d’alarme vient d’être à nouveau tirée par le Président Issoufou. Au Mali où il s’était rendu récemment, le Président du Niger, sans doute excédé par la recrudescence des attaques terroristes perpétrées au Niger par des éléments djihadistes venus du Mali, était monté au créneau pour fustiger l’attitude ambivalente de la communauté internationale face à ces périls majeurs en pointant du doigt le statut atypique et incongru dont bénéficie l’enclave de Kidal, un no mans land à l’intérieur de l’Etat malien. Alors, la force conjointe qui devait être opérationnelle depuis belle lurette, tarde toujours à être mise en place, faute de moyens conséquents. Dans cet article, nous disserterons sur les causes profondes de la dégradation de la situation sécuritaire au Sahel dans un premier temps, et dans une seconde articulation nous tenterons d’explorer des perspectives de solutions durables afin de ramener la paix et la sécurité sur cette vaste étendue territoriale, gages de tout développement durable dans la région.
Les causes de l’insécurité au Sahel
Au cours des dix dernières années, le Sahel est devenu une zone synonyme d’instabilité et d’insécurité. Le contexte d’incertitudes politiques, de conflits armés et de criminalité organisée (contrebande de cigarettes, trafic de drogue et d’armes à feu) qui prévaut aujourd’hui dans la zone est la résultante de la confluence de trois grands vecteurs d’instabilité qui dominent encore le paysage sahélien :
– le terrorisme transnational ganstéro-islamiste chapeauté, par facilité, par Al Qaeda au Maghreb Islamique (AQMI) et ses avatars (MUJAO, Ansar-Dine, Boko Haram) ;
– les soubresauts sécuritaires de la pseudo-révolution libyenne consécutifs à l’effondrement de l’Etat libyen ;
– la crise malienne occasionnée à la fois par la rébellion touarègue et le coup d’Etat du 22 mars 2012 ayant chassé du pouvoir le Président ATT, crise suivie de l’intervention militaire française pour ‘’sauver’’ le Mali.
Ces trois crises enchevêtrées, qui ont des causes différentes, marquent aujourd’hui des lignes de rupture conséquentes qui viennent s’ajouter à de fragiles équilibres sociaux, à des matrices étatiques précaires et à des sous-performances économiques qui se perpétuent des décennies durant. Toute autre lecture de la région qui ne prenne pas en compte ces données perdra de sa pertinence. Mais voyons de près les causes endogènes de cette insécurité permanente au Sahel.
Le premier facteur qui vient à l’esprit pour expliquer la permanence de l’insécurité au Sahel est relatif au défi démographique auquel se trouve confronté aujourd’hui cette aride zone perdue. En effet, la croissance démographique observée dans la zone sahélienne révèle une inadéquation profonde entre la progression fulgurante de la population et la création de richesse. En 2050, on estime que les pays du Sahel compteront 500 millions d’habitants ! Le cas du Niger est encore plus parlant : en 2050, le Niger abritera une population estimée à 100 millions d’âmes, alors que dans les années soixante cette population ne dépassait guère les trois millions d’individus ! Ce choc démographique mal maitrisé aura des conséquences très préjudiciables sur le rythme de sortie de la pauvreté pour une grande majorité de la population. C’est ce que les économistes appellent ’’la trappe de la pauvreté’’ selon laquelle toute croissance économique étant mécaniquement condamnée à être absorbée par la croissance démographique. L’impasse démographique conduit à une impasse agricole, donc alimentaire et forcément économique. Cette situation donne à la pauvreté un caractère élastique mais surtout durable.
Le deuxième défi auquel se trouve, aujourd’hui, le Sahel, a trait au retard économique accusé par cette zone durant des décennies. En effet, les pays sahéliens figurent parmi les plus pauvres de la planète et appartiennent tous à la catégorie des Pays les Moins Avancés (PMA) définie par les Nations Unies et qui se caractérisent par un faible revenu par tête d’habitants. Dépourvus de grandes industries pourvoyeuses d’emplois massifs, ces pays s’en remettent essentiellement à l’exploitation de leurs ressources naturelles et énergétiques à l’état brut qui leur permet de rééquilibrer leur balance de paiement. Nous sommes donc en présence d’économies rentières tributaires du cours mondial des matières premières sur lequel ces Etats n’ont absolument aucune prise !
Le troisième défi auquel fait face les pays du Sahel, comme on dit, un malheur ne venant jamais seul, c’est sans aucun doute, le changement climatique qui impacte profondément sur la résilience des populations locales. En effet, la déforestation, l’avancée inéluctable du désert, la disparition progressive de la couche d’ozone par la faute d’un Occident pollueur, ont entrainé des cycles saisonniers que plus personne ne comprend. Si l’on observe l’évolution de la courbe des températures depuis 1960, le Sahel dépasse largement les deux degrés d’augmentation de la température mondiale ! Ce défi environnemental conjugué à l’explosion démographique explique, sans doute, la fragilité actuelle du Sahel. L’on se souvient de l’effarement du Président français, Jacques Chirac, lors de sa visite au Niger en 2004, sur le passage de son cortège, apercevant des silhouettes jeunes, il avait eu ces mots : « Cette jeunesse que je vois est une bombe sociale à retardement».
Un autre facteur non moins important dans l’explication de la situation sécuritaire réside dans l’absence ou l’insuffisance de l’éducation scolaire, c’est-à-dire une lutte conséquente contre l’obscurantisme afin d’arracher aux ténèbres bon nombre de populations qui constituent des proies faciles aux mouvements djihadistes. Plus une population est instruite, plus elle a la possibilité d’échapper à l’endoctrinement criminel véhiculé par le terrorisme ‘’islamiste’’.
Enfin, la mauvaise gouvernance politique et administrative est aussi une profonde source d’insécurité, car elle engendre son lot quotidien d’injustices, de frustrations et autres arbitraires pouvant déboucher sur des conflits armés. La démocratie participative et inclusive est un rempart contre toutes velléités d’incrustation au pouvoir, sans alternance.
Voilà succinctement les causes endogènes qui expliquent largement la dégradation de la situation sécuritaire au Sahel et qui appellent des solutions urgentes et surtout durables.
Perspectives des solutions
Le Président Issoufou Mahamadou ne s’est guère trompé dans son analyse lucide de la situation sécuritaire qui prévaut dans notre espace sahélien. Visionnaire, flegmatique, l’homme fort de Niamey a toujours considéré que les questions de développement, de démocratie et de sécurité étaient intimement liées. Il avait mis en lumière cette profonde corrélation en 2014, lors de la grande rencontre internationale qui s’était tenue à Niamey et qui avait vu la participation du gratin de la communauté internationale (ONU, Banque Mondiale, Union Européenne) sur la question sécuritaire au Sahel. L’analyse fine du Président Issoufou faisait ressortir les liens étroits entre pauvreté et insécurité. Aussi longtemps que les populations du Sahel demeureront dans l’extrême pauvreté, il est évident qu’elles seront des proies faciles pour ces mouvements djihadistes qui profitent de l’uniformité des croyances religieuses pour asseoir leur idéologie funeste. Il y a aussi l’absence de l’Etat qui a abandonné pendant longtemps, ces zones-là et comme la nature a horreur du vide … ces mouvements djihadistes ont proliféré à leur aise en y développant une économie criminelle dont les tentacules transcendent largement les frontières nationales.
Le retour de la présence de l’Etat, avec toutes ses prérogatives régaliennes, constitue sans doute la condition sine qua none de la paix et de la sécurité dans ces zones longtemps désertées par les services sociaux de base. C’est pourquoi, la communauté financière internationale devra tout faire pour aider les pays du Sahel à amorcer leur développement économique et social afin de conjurer le spectre de l’effondrement de la structure étatique des pays du Sahel. A ce sujet, certaines voix se sont élevées pour demander un Plan Marshall pour le Sahel, c’est-à-dire comme cette aide américaine apportée à l’Europe au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale pour la reconstruction du Vieux Continent. C’est à cette grande entreprise que s’attelle le Président nigérien depuis plusieurs années, en dépit de la réticence inexplicable des bailleurs de fonds.
En réalité l’Occident devrait comprendre que le combat que mènent les dirigeants des pays du Sahel n’est pas seulement le leur, mais comme le dit le Président Issoufou, la paix est une denrée universelle. Si aujourd’hui, par cupidité ou par de sombres calculs stupides, les décideurs occidentaux qui détiennent les cordons de la bourse rechignent à accompagner les Etats du Sahel dans leurs efforts pour endiguer l’insécurité chronique, non seulement une crise migratoire sans précédent s’abattra sur leurs côtes, mais aussi ils devront faire face à une armée de terroristes sur leurs terres qu’ils n’auront pas voulu combattre en amont. Un euro refusé aujourd’hui au Sahel, équivaudra, demain des milliers lorsqu’il s’agira de faire face à l’hydre terroriste sur leur propre sol.
Par Ayouba Karimou et Zakari A.Coulibaly