
Séance de formation des femmes membres
Au Niger, la filière Moringa connait depuis un moment un intérêt de plus en plus croissant, du fait de ses multiples usages, de ses propriétés nutritionnelles et autres vertus de plus en plus reconnues mais aussi de son potentiel économique. Ainsi, beaucoup de femmes embrassent la filière du moringa soit dans la production, la transformation et la vente, au point où on peut parler d’un Moringa Business devenu une véritable activité génératrice de richesse. Les exemples des groupements sont légion à travers le pays. C’est le cas du village de Lelehi Koynounga, où plusieurs groupements féminins se sont constitués avec pour principale activité la production, la transformation et la commercialisation du Moringa.
Lelehi Koynounga est un village situé dans la commune rurale de Youri, sur la route de Say à environ une dizaine de kilomètres de la capitale Niamey. Les femmes de ce village exploitent un terrain de 2000m2, dans le cadre d’un projet sur l’autonomisation des femmes rurales. Les résultats obtenus par ce projet sont impressionnants et satisfaisants. Un résultat bonnement remarquable et digne d’une production industrielle.
Sur la route qui mène vers ce village de la commune rurale de Youri, département de Kollo, le long du trajet, l’environnement était resté le même que celui de la ville, sûrement pour sa proximité avec la ville de Niamey. À notre grande surprise, nous nous retrouvons dans un village très calme, animé par le chant d’oiseaux voltigeant dans les champs de mil arrivé presque à maturité. Les palmiers doums encerclant le village sont resplendissants. A cette heure de la journée quelques paysans sont déjà dans leurs champs pour des petits travaux. La campagne agricole semble bien promettre. Toutes les spéculations sont au point. Au milieu des champs de maniocs à perte de vue, de ceux du mil parsemés de haricots et autre sorgho, les populations du village de Lelehi Koynounga affichent une bonne mine, confiantes quant à l’issue heureuse de cette campagne.
C’est dans cette ambiance unique que nous retrouvons une cinquantaine de femmes membres de la coopérative du village de Lelehi Koynounga assisses sur des nattes, sous un hangar de tôle bien frais, aéré et clôturé avec un petit mur en ciment. Ces femmes, subdivisées en deux groupements de 25 membres chacun : le groupement ‘’Farha et le groupement Salma Harey”, se sont spécialisées, en à peine quelques mois et avec l’aide d’un projet d’appui à l’autonomisation des femmes, dans la transformation des feuilles de Moringa en divers sous-produits alimentaires. De la Tisane à la poudre de moringa en passant par les feuilles de moringa cuites et séchées méticuleusement préparées sans le moindre grain de sable, ces femmes maitrisent à perfection leur travail et la technique d’emballage.
Qui sont-elles ces braves dames ?
Pour l’essentiel ce sont des mères aux foyers qui n’avaient aucune grande activité génératrice de revenu fixe et qui se contentaient juste de cueillir et de revendre les feuilles de moringa à l’état brut. Une activité qui ne leur génère pas de revenu substantiel. Mais, depuis quelques années, les partenaires au développement ont fait de l’autonomisation économique de la femme en général et la femme rurale en particulier un axe stratégique de développement pour sortir les ménages déshérités de la pauvreté. Au Niger, les femmes représentent plus de 50% de la population. Et la majorité vit en dessous du seuil de la pauvreté. Autonomisation oui. Mais par quel moyen ?
La réponse à cette question semble résider dans le travail de la terre car, la terre ne ment pas, dit-on. Le village de Lelehi Koynounga, très proche des rives du fleuve Niger, est propice à la culture de contre saison en plus de la culture pluviale. Mais de nos jours, au village comme en ville, le terrain coûte chèr et les femmes ne peuvent acquérir qu’une portion infime de terre pour travailler. Celles des deux groupements de Koynounga n’en étaient pas découragées. Malgré le plaidoyer du projet pour l’attribution de deux hectares aux femmes du village soit 20 000m2, ces dernières n’ont en fin de compte reçu que 2000 ha. « On était même parti sur deux hectares, mais avec le propriétaire, on ne s’est pas entendu », confie une des membres du groupement.

Désormais initiées à la transformation de ce produit par leur propre moyen et ce avec leur main rompue à toutes les tâches, ces braves femmes s’entraident pour avoir chacune de quoi subvenir à ses besoins. Elles ont vite compris le sens de la mutualité, le sens profond de cette sagesse si populaire ; « seul, on va plus vite, ensemble, on va plus loin », comme l’indique Mme Rachida Amadou qui reconnait qu’avant cette initiative d’autonomisation, elle ne faisait rien de rentable de toute la journée. « Mais maintenant, nous avons appris un métier qui nous rapporte de quoi subvenir à nos besoins », indique-t-elle fièrement promettant que même après ce projet, elles vont continuer à se débrouiller. « Nous avons eu la chance d’être soutenues par nos maris qui nous ont encouragées à persévérer dans cette voie », affirme-t-elle.
Ainsi, comme Mme Rachida, Mme Fati Moussa tient presque le même argumentaire engagé. Elle soutient que depuis que les femmes du village ont appris ce métier, elles ont acquis une sorte de tranquillité et ont assisté à l’éclosion d’un rassemblement autour d’un objectif commun. « Nous avons pris conscience d’une nouvelle manière de traiter notre production pour plus de rentabilité. Ce travail qu’on nous a appris, nous essayons de le mettre en pratique au quotidien », indique-t-elle.
Selon, Mme Roukayatou Hama, présidente d’un des groupements des femmes de Lelehi Koynounga, le projet a apporté de nombreux bienfaits aux femmes car, il leur a permis de savoir comment se réunir en groupement, mutualiser leurs forces, faire les travaux coordonnés et comment lancer le business à partir des produits finis. Et le plus important c’est qu’elles ont appris comment gérer leurs recettes. « Mais aussi nous savons aujourd’hui comment nous organiser et chacune de nous connait actuellement le rôle et le travail d’une présidente et d’une trésorière », précise notre interlocutrice. « Le projet nous a offert un terrain dans lequel nous avons aussitôt planté le moringa. Il a mis les intrants et le matériel nécessaires à notre disposition. Dieu merci, même après le départ des formateurs, nous allons continuer sur cette même lancée », promet-elle, avec un cœur un peu attristé par l’idée de la fin imminente des activités du projet. « Nous sommes déçues de voir que le projet arrive à terme. Nous voulons vraiment qu’il soit renouvelé pour que nous continuions à bénéficier des formations puisque nous sommes déterminées à apprendre et nous avons apprécié leur manière de faire », ajoute-t-elle.
Pour combler l’appui financier qu’apportait le projet dans la réalisation de certaines tâches, la présidente Roukayatou explique que les deux groupements économisent leurs recettes pour qu’après le départ du bailleur, qu’elles puissent utiliser cette somme pour poursuivre les activités. « Nous avons un manœuvre qui s’occupe de l’arrosage du site. Forcément qu’après le départ du projet, c’est à nous de le payer et c’est également dans cet argent que nous allons payer de l’essence pour faire fonctionner la moto pompe », détaille-t-elle.
Par ailleurs, c’est qu’une fois toutes ces dépenses auront été amputées que les femmes se concerteront pour définir comment distribuer le restant de manière efficace pour permettre à chacune d’avoir une somme consistante lui permettant de réaliser ses projets personnels. « Nous avons l’intention de donner des prêts à 10 femmes du groupement. Après remboursement, nous continuerons le même cheminement jusqu’à ce que nous puissions toutes bénéficier de notre argent », ajoute-t-elle.
En outre, pour mieux gérer les recettes et en faire profiter à toutes et à leurs foyers, chaque groupement dispose d’une caisse propre. Ainsi, de mars 2022 à aujourd’hui, c’est au moins deux cent mille qui sont disponibles dans les deux caisses. Une somme importante pour ces femmes quand ont fait la comparaison avec le pouvoir d’achat des femmes rurales. « Nous n’avons même pas vendu les produits transformés, juste les feuilles du moringa brut et le terrain est mis à notre disposition que pour la période de deux ans. Nous utilisons les recettes pour réparer les matériels de travail endommagés, mais également pour acheter de nouveaux matériels, la formation se fait du lundi au jeudi », explique-t-elle. Face à cette préoccupation, ces femmes souhaitent trouver de nouveaux partenaires après le départ du projet qui les appuie actuellement. Nous ne voulons pas perdre le terrain après l’épuisement du contrat signé avec le propriétaire terrien.

Pour la coordinatrice de ce projet en autonomisation des femmes rurales, Mme Boubacar Aichatou, les femmes du village se sont montrées très enthousiastes et ouvertes à recevoir cette formation. « Elles nous avaient accueillis et nous avons vu que ce sont vraiment des femmes déterminées qui manquent d’expérience mais qui ont de la volonté. Elles ont déjà des champs de moringa, mais, elles ne savent pas que le moringa peut être transformé en sous-produits plus rentables. Pour elle, c’est juste cueillir les feuilles, les manger et en vendre sur le marché local », explique la coordinatrice du projet qui a débuté en novembre 2022.
Problématique de la transformation du moringa et de l’écoulement des produits vers la ville
« Concernant le processus de la transformation, on mobilise d’abord les femmes qui doivent se rendre sur le site pour récolter les feuilles qu’elles transportent jusqu’au site de la formation. Déjà, l’endroit est bien nettoyé, les nattes bien étalées. Tout doit être impeccable et bien propre. Il faut comprendre que nous avons deux types de nattes, il y a des nattes pour s’asseoir et des nattes spécifiques pour le traitement du moringa. Ensuite, les feuilles sont lavées avec un grand soin puis séchées sur six séchoirs pour éviter tout contact avec le sable », détaille-t-elle.
La coordinatrice ajoute qu’il était prévu dans le projet d’initier les femmes à la transformation du moringa en une panoplie de produits dérivés, mais hélas, dit-elle, les conditions n’étaient pas réunies pour mettre en place le programme d’origine. « Dans un premier temps, on avait prévu beaucoup de choses comme l’huile extraite à base du moringa, de l’eau en sachet « pure-water» à base du moringa, des fromages, bref, nous avions prévu beaucoup de choses, mais vu les conditions de ces femmes, elles ne peuvent pas faire la transformation de certains de ces produits. C’est un village, le facteur propreté et tant d’autres bloquent certaines transformations », nuance-t-elle. C’est pourquoi, nous avons privilégié la tisane à base de Kinkeliba et de la citronnelle. Ce sont ces quelques produits que nous avons eu à faire pour le moment.
Dans ce village, les femmes sont celles qui sont au four et au moulin. Elles sont celles qui mènent tous les travaux d’entretien du jardin de moringa sur un vaste espace de 2000 mètres carrés, à l’exception de l’arrosage confié à un jeune homme du village en contrepartie d’une modeste somme versée par le projet. D’après, la présidente, trois mois après le lancement du projet, les femmes avaient déjà réussi à vendre un excédent du moringa. « Elles ont vendu 16 sacs avant que nous ne commencions la formation, ce sont elles qui font la production et aussi la transformation », a-t-elle ajouté.

Selon la coordinatrice, les produits issus de la transformation sont transportés à Niamey où le projet a noué un partenariat avec une boutique ‘’Nigerielle Shop’’ spécialisée dans la vente des produits locaux. « Parfois, nous achetons avec eux pour revendre, mais le plus souvent nous amenons nos propres produits sur le marché et nous établissons les techniques de vente. Pareillement, d’autres personnes qui évoluent dans le secteur de la transformation du moringa nous contactent parce qu’elles ont entendu parler de ce que nous faisons, pour s’approvisionner chez nous parce que nous avons un site de production du moringa. Récemment, un client m’a appelée me disant avoir besoin de 10 sacs. Il va établir un contrat avec ces femmes pour récolter, laver et faire sécher les feuilles. Il leur revient de fixer le prix, malheureusement, on n’avait pas grand-chose sur le site. Nous essayons de les mettre en contact avec nos voisins de Lelehi lodge pour que leur production de moringa soit également valorisée là-bas », explique Mme Boubacar Aichatou.
L’école, un cri de cœur des habitants de Lelehi Koynounga
A lelehi Koynounga, il n’y a pas d’infrastructure scolaire. Bien que peuplé, Lelehi Koynounga ne dispose d’aucune école. Pour en trouver une, il faut aller à quelques encablures de là. Les enfants font au quotidien un trajet aller-retour de plusieurs kilomètres. Une situation qui inquiète les parents surtout face aux risques et dangers qui guettent les enfants notamment les jeunes filles. « Quand j’étais venue, j’ai croisé une fille qui pleurait parce qu’il n’y avait pas école dans le village et pour avoir accès à une école, il faut aller au village voisin à pied. Elles sont laissées à elles-mêmes. Les mères également ne font rien, beaucoup de facteurs entravent la scolarité de ces jeunes filles couplée à l’absence des toilettes dans le village, posant un problème de plus pour l’hygiène », condie la coordinatrice du projet qui accompagne les femmes de Lelehi Koynounga.

Pour le suivi d’après projet, la coordinatrice reste convaincue que les femmes de Lelehi Koynounga s’en sortiront bien puisqu’elles ont bien appris au terme de ces dix mois de formation. « On les impliquait de A à Z. Elles se sont adaptées à notre manière de travailler. Je suis du village et je viendrai de temps à autre pour superviser ce qu’elles sont en train de faire. Bien que le projet est à son terme, moi, je serai avec elles pour les épauler. Je suis convaincue qu’elles peuvent mener à bien ce qu’elles ont l’habitude de faire car, il y a de la motivation et de la volonté en elles », s’est réjouie Mme Boubacar Aichatou.
Hamissou Yahaya et Fatiyatou Inoussa (ONEP)