Sous différentes formes, petits, moyens ou grands, tel un décor, les pots en terre cuite sont exposés par tas à la devanture des maisons, dans les cours. Ils sont là, bruts ou finis avec des motifs, des designs colorés en blanc, rouge, les pots sont omniprésents dans tous les coins et recoins du village. Normal, puisque leur fabrication constitue la principale activité des femmes ici. En cette matinée du mardi 31 janvier 2023, nous sommes à Boubon, village sur les berges du fleuve, à 25Km de Niamey. Une bourgade pleine de potentialités touristiques, réputée pour ses poteries en terre cuite décorées à la main par les femmes
Les potières de Boubon sont dépositaires des savoirs ancestraux et gardent toujours les techniques ancestrales qu’elles transmettent de mère en fille. Elles font des poteries pour divers usages. Certaines servent à la cuisson des aliments ou la conservation de l’eau, d’autres pour faire pousser des plants dans les maisons et les jardins, d’autres encore servent de décors sous forme de jarres, de pots fleuris ou cache pot.
A Boubon, des familles entières consacrent leur vie à cette activité génératrice de revenus avec une chaine spécialisée dans la fabrication, la vente et l’exportation de poterie artisanale.
L’argile, l’eau, la paille, le feu sont devenus les compagnons de ces nombreuses femmes qui exercent avec dévouement cette activité, qui bien que délaissée, reste encore en vogue dans ce village riverain du fleuve Niger. Il faut environ cinq à six jours à ces braves femmes, pour collecter les matériaux de travail, fabriquer et commercialiser leurs produits. De nombreuses femmes vivent et font vivre leurs familles grâce à cette activité.
Dans la peau d’une potière
Agée de 51 ans, Mme Kaltoumi Issaka exerce le métier depuis plus de quarante d’années. Elle a fait ses premiers pas depuis ses 7 ans. Comme quoi, devenir une potière confirmée requiert de la patience et de l’apprentissage. «C’est un travail qui ne s’improvise pas, une activité qui fait partie de notre patrimoine», confie cette quinquagénaire. Elle parle des techniques de fabrication avec aisance qui traduit la longue période d’apprentissage passée aux côtés de ses aînées. L’argile est la matière première dans la fabrication des pots en terres cuites. Mais, il faut l’extraire, la piller, la pétrir pour obtenir une pâte. Avec cette pâte, les potières forment des boules qu’elles aplatissent ensuite pour faire la fondation de la jarre.
De nos jours, dit-elle, trouver cette matière principale relève d’un véritable parcours de combattant. En cette période le fleuve a envahi toutes les parties où il y avait de l’argile. Parfois, il faut parcourir des kilomètres pour en trouver. Et là aussi il y a souvent une longue file d’attente.
Assise sur une natte réservée exclusivement pour la confection de ces pots, Mme Kaltoumi Issaka nous montre comment elle modèle la pâte d’argile, à l’aide d’outils avec lesquels elle s’est déjà familiarisée. Au fur et à mesure de la fabrication, il faut presser sur la pâte en tournant l’argile, en plongeant de temps en temps la main dans l’eau. Et de façon douce et calme, elle polit le canari. Peu à peu, celui-ci prend la forme voulue. Mme Issaka réalise divers objets en terre cuite allants des pots aux vases, canaris et autres objets. Pour éviter que les pots se cassent facilement, ou se fissurent Mme Kaltoumi a son astuce. Elle écrase les résidus des anciens pots inutilisables qu’elle mélange avec la pâte d’argile pour obtenir une pâte homogène.
En l’absence d’outils modernes, Kaltoumi et ses paires utilisent des outils et des techniques rudimentaires dans leur travail: un trou creusé dans le sol, un morceau de bois et un coupon de tissu, etc., pour donner forme ou polir leurs poteries. Du coup, ces braves artisanes peuvent mettre des heures pour façonner un modèle de pot. Et au bout de quinze à trente minutes de polissage, le canari est là. Il est ensuite exposé au soleil pour le séchage.
Après l’étape de façonnage, la cuisson est le dernier chapitre de la fabrication, deux à trois jours suffisent (en raison de trois à quatre canaris par jour). Les pots sont cuits sous une température qui oscille entre 800 et 1000 °C. Elle permet de les renforcer et les rendre plus solides. On utilise du bois, les palmes de Doum et de la paille pour cuir les pots. C’est un travail pénible et fatiguant qui prend assez de temps, presque une journée. «C’est aussi coûteux ces derniers temps, car tout cela s’achète. Nous achetons tous ces matériaux qui servent de combustibles auprès des jeunes garçons, notamment la paille, les feuilles de doum)», a confié Kaltoumi qui précise que les feuilles dures des doums, la paille et les détritus de certains arbres sont les plus adaptés à la cuisson des pots. «Ces matériaux s’enflamment vite et l’entretien du feu est facile. Mais si des évènements malheureux surviennent dans la zone, nous sommes obligés de suspendre ce brûlage car cela fait du bruit et ce n’est pas intéressant», explique-t-elle.
Les potières de Boubon organisent cette étape en équipe pour amoindrir les coûts liés à la cuisson des pots. Les femmes s’organisent en équipe de cinq pour le brûlage des poteries qui commence vers 14h. Mais pour que ces pots soient bien cuits et prêts pour la vente le lendemain jour de marché, il faudra 21 h à 22 h. C’est une tâche extrêmement difficile et complexe, faite exclusivement à la main. Ailleurs, les artisans utilisent des fours modernes. Mais à Boubon, on n’en est pas encore là ; les veilles techniques utilisées par les aïeux sont toujours de mise.
Selon Kaltoumi Issaka, 90%des femmes de la zone pratiquent cette activité avec la même ardeur. Parmi les œuvres réalisées par ces femmes, figurent les canaris, les enfumoirs d’encens, les pots de fleurs, les pots décoratifs, les pots à filtre, des veilleuses, etc. Dans plusieurs villages environnants, les femmes se servent de ces jarres et canaris pour garder l’eau fraîche dans les maisons. Aussi, d’après Mme Katoumi, il y’a des gens qui ne boivent que l’eau de canaris. L’eau conservée dans les canaris est bien gérée, et aussi et surtout garde agréablement sa bonne odeur. «Et même nos plats et nos décoctions sont préparés grâce à ces outils», ajoute-t-elle. Au bout de quelques jours de fabrication, ces canaris, jarres, marmites et autres ustensiles sont commercialisés aux marchés hebdomadaires de Boubon et des villages environnants et ou acheminés vers les villes comme Niamey.
Au marché hebdomadaire de Boubon
Mercredi, 1er février 2023, le soleil est au plus haut dans le ciel, il est midi. Sur la place du marché hebdomadaire, une grande diversité de produits de la poterie est exposée et vendue à des prix discutables à côté de plusieurs autres produits. Les vendeurs sont bien installés sous des hangars en tôle et ou en paille, ou assis aux abords des maisons en banco. Acheteurs et vendeurs viennent de partout pour s’approvisionner en condiments et autres produits pour la semaine. Et en ce temps précis, le marché ne déborde pas de monde selon le témoignage de Nafissa qui nous servait de guide. Elle-même était vendeuse à un moment donné sur ce marché, elle faisait de beignets et de fritures de patates douces avant de se reconvertir en tresseuse traditionnelle métier selon elle, qui lui fait gagner plus. «Généralement dans les après-midis tout est occupé même les emprises de la voie sont utilisées par les étalagistes. Ici il n’y’a pas de place officielle, nous plaçons nos petites tables pour notre commerce. Les gens ne se bousculent pas, car les temps sont durs. Les femmes viennent au marché pour chercher la nourriture de leurs enfants», explique-t-elle.
Dès l’entrée du marché du côté du quartier de koirategui, charrettes et taxi motos viennent décharger sur le marché vendeurs, acheteurs et bagages. Le jeune Djibo fait partie de ceux qui viennent à peine d’arriver. Il est venu pour revendre des habits, de la friperie sur le marché. «Tout est cher ici, tout est devenu difficile. C’est avec beaucoup de difficultés que je fais ce business, les motos taxi avec le transport de mes bagages, me reviennent cher. Il n’ y’a pas assez de vente, tout est à revoir. Les prix des denrées alimentaires de première nécessité ont connu une nette augmentation sur le marché et avec la vente des habits, nous achetons des condiments pour assurer les plats de la semaine», dit-il.
Non loin de là, Adama Souley, 58 ans est assise devant des dizaines de pots et divers ustensiles à base d’argile, des poteries belles, luisantes et brillantes agréables au toucher. Attirés par leur charme, les visiteurs du jour que nous sommes n’hésitions pas à les contempler. «Mes pots ne sont pas chers, les prix oscillent entre 200 FCFA et 2500 FCFA, les prix se négocient. Mais sous peu, c’est-à-dire à l’approche de la période de la chaleur, les prix vont augmenter. Il faut acheter vite avant que les prix ne grimpent», conseille-t-elle. Autour de Adama, on y découvre des pots qui sont à la mode (bien colorées, avec des formats tout aussi différents, des classiques….). Elle donne des détails sur les petites touches, les innovations pour attirer plus de clientèle, s’appuyant surtout sur la coloration, l’émaillage, la cuisson, qu’elle essaie d’adopter avec des techniques simples : une méthode qui consiste à décorer manuellement les pots à l’aide de différents dessins et couleurs avant de les mettre au four.
Khadîdja Moussa, une jeune cliente venue de Karma, une commune proche de Boubon ne cache pas son admiration. «Nous aimons bien ces pots avec des designs, des motifs. Ils sont si beaux et attirants et surtout si naturels. Je suis là pour prendre trois canaris pour ma famille. A chaque approche de la canicule, nous les renouvelons pour avoir une bonne eau pour nous désaltérer», dit- elle toute souriante.
Allier savoir-faire ancestral et savoir-faire moderne
Juste à côté de Adama la vendeuse des pots, se tiennent des jeunes filles. L’une d’entre elles portant un sac au dos, attire notre attention. Mariana, c’est son nom, est élève en classe de 3ème. Avec son sac rempli de livres, et de cahiers, qu’elle supporte difficilement, Mariama revient des cours de rattrapage. «Moi-même je sais faire des pots, venez je vous réponds. Tout le monde sait bien fabriquer ces œuvres d’arts ici. C’est notre héritage culturel que nous gardons jalousement. Nous connaissons bien les marchés de pot. Tout à l’heure, je prendrai un, deux ou trois pots pour faire le tour du marché. Nous n’attendons pas les acheteurs, on va souvent à leur rencontre. Depuis toute petite, j’accompagne ma mère pour vendre les poteries. J’ai trouvé tout le monde chez moi faire la poterie. Avec l’argent gagné ici, ma maman nous achète des habits et assure nos frais de recréation», raconte-t-elle.
Une activité de tous les temps, transmise de génération en génération et ce n’est nullement Fatouma qui dira le contraire, elle qui a hérité cela de sa maman depuis près de 20 ans. «Après le décès de ma maman, j’ai dû abandonner les cours après mes deux échecs au BEPC pour me consacrer entièrement à la poterie. Etant l’ainée de la famille, je n’ai trouvé mieux que de vendre les pots laissés par elle pour faire vivre mes frères et sœurs», témoigne-t-elle. Etudier n’entache en rien la production des œuvres d’art, ajoute-elle. Il faut juste bien ménager son emploi de temps. «Moi j’ai juste voulu laisser tomber car je n’ai plus de chance. Et aussi je n’ai pas assez d’appuis pour suivre une formation quelconque. Il m’arrive souvent d’avoir des remords quand je vois mes promotionnaires aller à l’école ou travailler dans l’administration. Chacun a son destin», regrette-t-elle.
Fatouma affirme qu’à Boubon, les parents mettent beaucoup l’accent sur la scolarisation des enfants, la vente de ces pots n’étant plus rentable comme avant. «Toutefois, nous sommes obligées de produire ces œuvres. La poterie c’est dans le sang, c’est notre ADN. Nous ne savons rien faire d’autre que la poterie, nous sommes nées dedans, nous allons continuer à confectionner la poterie, à apprendre à innover pour faire plaisir aux clients et surtout à transmettre cela à nos enfants», dit-elle d’un air joyeux.
Des difficultés persistent, mais il faut travailler pour assurer la survie
La situation sécuritaire de certaines régions de notre pays a freiné l’affluence des visiteurs sur les marchés de la zone. L’insécurité qui sévit depuis peu dans la région a impacté sérieusement les activités touristiques. Et le commerce de la poterie n’est pas resté en marge. L’art ancestral de cette localité vit mal cette situation. Pourtant selon certains observateurs, elle a su, de façon remarquable, traverser toutes les époques et les péripéties
«Aujourd’hui, avec cette crise qui a limité considérablement l’arrivée des acheteurs et des touristes, l’activité a pris un sérieux coup. Elle est menacée et les femmes qui vivent de ces métiers s’inquiètent pour leur quotidien. Ce marché accueille des visiteurs de Niamey, Bongou koirey, Sarando, Zeinbana fitti, Karma, Tagabatti, etc. Ils viennent pour acheter le moringa, les condiments, les pots et autres», indique Rahana Yacouba, une cliente quasi permanente du marché. Elle déplore aussi, les conséquences liées au changement climatique de ces dernières années. «A cause des inondations, on prend du temps avant de retrouver l’argile appropriée pour faire ces pots, nous sommes obligées d’attendre, la baisse des eaux pour avoir la terre», dit-elle.
Pour M. Amadou Niandou, président de l’Association des jeunes travailleurs des pots et pavés à base de l’argile, le marché de Boubon à lui seul ne suffit plus pour faire écouler tous ces pots. Il faut créer des espaces au niveau de la capitale pour absorber toutes ces productions. Boubon est un marché bien connu et qui s’anime tous les mercredis. Néanmoins, Amadou Niandou s’inquiète pour cette production à base de l’argile. A l’entendre, les habitants des villes préfèrent plus avoir un réfrigérateur qu’un canari. «Ils trouvent cela encombrant et sans luxe. Et depuis que les pots et bidons en plastique ont envahi nos marchés, les femmes achètent les pots en terre cuite à moindre coût», explique-t-il.
Pourtant relève-t-il, la réputation de la poterie de Boubon a longtemps dépassé les frontières nationales. «Toute cette technicité et ce savoir-faire ancestral a été enrichi grâce à l’expertise d’une potière du nom de Monika de nationalité suisse qui a vécu 30 ans au Niger dans le village de Boubon et qui a su apporter une touche contemporaine à la poterie classique que les habitants du village faisaient», précise-t-il.
Fabriquer des pots ne permet pas seulement à ces familles de subsister. Elles s’en servent pour nourrir leurs enfants, les scolariser, construire des maisons, et au-delà organiser des cérémonies de réjouissance. A voir les sourires et la joie de leurs familles, on constate quelque chose de noble et de digne. Les potières de Boubon se contentent du peu d’opportunités que la nature leur offre, et elles en tirent profit. C’est cela le fondement de leur vie, de leur fierté !
Entre lutter pour assurer le quotidien et préserver cette identité locale, le choix est vite fait. Au-delà de tous ces petits problèmes, les activités qui génèrent des revenus pour les femmes sont vivement encouragées, à l’heure où on prêche partout l’autonomisation économique de la femme.
Par Aïssa Abdoulaye Alfary(onep), Envoyée Spéciale