Mon colonel, le thème de l’édition 2024 de la Fête Nationale de l’Arbre porte sur la Grande Muraille Verte, qu’est-ce qui justifie le choix d’un tel thème ?
Le Niger consacre le 03 Août à la journée de la Fête Nationale de l’Arbre (FNA). A cette occasion, les Nigériennes et les Nigériens se mobilisent pour planter et entretenir des millions d’arbres sur l’ensemble du territoire national. Cela traduit la volonté maintes fois affirmée du gouvernement du Niger d’impliquer de façon directe la population dans les efforts de lutte contre la désertification.
L’édition 2024 de la Fête Nationale de l’Arbre se tient dans un contexte où, depuis le 26 juillet 2023, le Niger est passé d’une indépendance symbolique de façade, octroyée le 3 août 1960 à une indépendance véritable et réelle arrachée de haute lutte et en toute conscience. C’est pourquoi, tenant compte de l’avis général des Nigériens mobilisés depuis la date historique du 26 juillet 2023 autour des idéaux de souveraineté et de libre arbitrage sur tous les plans, il serait plus indiqué de célébrer le 3 août, Journée Nationale de l’Arbre, « JNA » autour d’un thème d’intérêt collectif sur le plan national et international.
Pour cette première édition, le thème proposé est « la Grande Muraille Verte au Niger. Passons à l’action». L’institutionnalisation de cette journée et le choix de ce thème marquent également la volonté affichée des autorités de la transition aux trois conventions « Poste-RIO » : lutte contre la désertification, la diversité biologique et le changement climatique. Il concourt aussi à l’accélération de la mise en œuvre de la Grande Muraille Verte au Niger. Il faut rappeler que l’Initiative Grande muraille Verte pour le Sahara et le Sahel (IGMV/SS) est née au Burkina Faso en 2005 lors d’un sommet des chefs d’Etat et de Gouvernement de la CENSAD sur la lutte contre la désertification. L’IGMV/SS est adoptée en 2010 au Tchad lors d’un sommet similaire par les 11 pays concernés dont trois de l’AES. Le choix de ce thème permet non seulement de contribuer aux efforts de reverdissement de cet espace, à la création d’emploi, mais également à la séquestration de carbone, un intérêt planétaire pour la contribution au contrôle du réchauffement climatique.
Globalement, le thème proposé vise à véhiculer des messages qui contribueront à l’éveil de conscience des populations et de certains acteurs institutionnels notamment, les collectivités territoriales sur l’importance de l’arbre dans l’amélioration des productions agro-sylvo-pastorales, sur leur rôle dans la protection et la gestion de l’arbre et des espaces forestiers, sur les enjeux des aménagements paysagers dans l’amélioration du cadre de vie des communautés. Aussi, à travers ce thème, il s’agit de ressortir que le Niger a pris des dispositions au plan stratégique et opérationnel tendant à remplir sa partition dans le cadre du mouvement mondial sur la restauration des écosystèmes.
Quel message le CNSP, à travers votre département ministériel, a-t-il voulu passer en direction des populations ?
En s’investissant pleinement dans la mise en œuvre de la GMV par la plantation de 50 ha clôturés, la réalisation d’un forage et d’un poste d’eau Autonome pour le besoin en eau et une plantation de 15.750 plants d’espèces locales à l’occasion de cette journée, le CNSP en général, et en particulier le Chef de l’Etat, Son Excellence le Général de Brigade Abdourahamane Tiani, donne un coup d’envoi à la campagne de reboisement sur l’ensemble du territoire national. Cela suscitera plus d’intérêt pour la population. Il donne un bon exemple d’éco-citoyenneté aux deux cent jeunes qui sont venus du Mali ; du Burkina et des 8 régions du Niger sur ce site modèle de plantation, dénommé bois du 26 Juillet. Mais également à tous les pays membres de la Grande Muraille Verte et au-delà, de suivre cette innovation de préservation de notre environnement et de la lutte contre la désertification.
La Grande Muraille Verte, comme on le sait, est un projet qui ne date pas d’aujourd’hui ; quelles sont les réelles avancées enregistrées dans sa concrétisation ?
Depuis le lancement de l’Initiative Grande Muraille Verte en Afrique, les autorités Nigériennes se sont engagées à concrétiser cet ambitieux programme au niveau national et sous régional. Ce programme de lutte contre la désertification met l’accent sur la conservation et la valorisation des ressources naturelles, ainsi que la promotion du développement local et communautaire au profit des populations.
Au Niger, l’Agence Nationale de la Grande Muraille Verte a été créée par la Loi n°2015-28 du 26 mai 2015 en tant qu’établissement public à caractère administratif (EPA). Depuis cette création, des actions de préservation de l’environnement et de la lutte contre la désertification ont eu des impacts positifs sur les conditions de vie des populations et des écosystèmes malgré les multiples défis qui retardent sa progression.
Les évènements du 26 Juillet 2023 qui ont conduit au changement de régime n’ont nullement remis en cause la volonté politique forte des autorités du Niger pour la mise en œuvre de l’Initiative Grande Muraille Verte. En effet, la lettre de mission à moi confiée par le Chef de l’Etat positionne en deuxième priorité la mise en œuvre de la GMV parmi les 6 priorités inscrites.
Il y a eu des avancées positives en termes de réalisations physiques, en plus de l’adoption de plusieurs textes encadrant la mise en œuvre de la GMV au Niger. On peut citer entre autres, pendant la période de Juillet 2023 à juillet 2024, la réalisation de : 69 579 ha de terres restaurées ; 1 179 539 de RNA et 23 283 ha de reboisement. Cela a permis de créer 25 789 emplois verts pour une mobilisation de 3 000 000 d’Hommes/Jour et un payement en cash de 4,169 milliards FCFA.
Pour revenir à la FNA, mon colonel depuis des décennies des millions d’arbres ont été plantés chaque année d’un côté, mais de l’autre côté le désert continue d’avancer. Qu’est-ce qui explique cet état de fait ?
Je vous remercie de votre question, la désertification est un processus évolutif et dynamique de dégradation des terres dans les régions arides, semi arides et subhumides sèches sous l’influence des variations climatiques et des activités humaines.
Au Niger, plusieurs facteurs sont à l’origine de la désertification et son corollaire de dégradation progressive des terres, malgré les efforts de reboisement et de reconstitution des bases productives menés par l’Etat et ses partenaires depuis des décennies. Parmi, ces facteurs, il y a la position géographique du Niger, pays situé au cœur du Sahel avec une superficie de 1. 267. 000 km2 dont les trois quarts sont désertiques. Il y a aussi, les facteurs climatiques peu cléments qui agissent sur la reprise et la survie des plants mis en terre notamment l’augmentation de la fréquence et la durée des sécheresses, la hausse et l’irrégularité des températures moyennes annuelles de 0,6°C à 0,8°C entre 1970 à 2010 ; l’augmentation de la variabilité interannuelle des précipitations, le raccourcissement et l’instabilité de la saison des pluies ; la fréquence et l’intensité des inondations et les vents forts.
Il y a ensuite les facteurs anthropiques notamment le système de production trop extensif avec la divagation des animaux et qui n’épargnent pas les sites en traitement ; la faible responsabilisation de la population locale, qui considère les sites plantés comme appartenant exclusivement aux forestiers ou à l’Etat. A cela il faut ajouter l’objectif quantitatif des opérations de reboisement qui visent à planter ou traiter des milliers d’hectares chaque année, sans que les moyens financiers et humains ne soient assurés pour la pérennisation des investissements et l’insuffisance dans le dispositif juridique de gestion et d’exploitation des sites en restauration. En effet, jusqu’à une époque récente, les rôles et responsabilités des acteurs ne sont pas clairement définis par un texte juridique dans la gestion des sites restaurés. Après les travaux, le site est rétrocédé à la commune qui responsabilise à son tour les populations bénéficiaires. Dans les faits, cela n’est pas toujours respecté parce qu’il y a un vide juridique. Heureusement que ce vide a été complété par le décret d’application de la loi n°2004-040 du 08 juin 2004 portant régime forestier au Niger et dans lequel, il est désormais instauré l’élaboration d’un plan d’aménagement et de gestion à toute terre qui a suivi les opérations de restauration. En définitive, environ 160 000 ha de terres dégradées sont récupérés chaque année, contre une dégradation moyenne annuelle de près de 200 000 ha.
Y-a-t-il eu jusqu’alors une évaluation des FNA et quelles en sont les conclusions tirées ?
Il est devenu, depuis l’édition 2014, une tradition pour mon département ministériel de présenter le bilan des réalisations antérieures des plantations faites sur les sites officiels des fêtes de l’arbre à l’échelle nationale. Ces bilans se sont d’ailleurs conclus avec des taux de réussites assez satisfaisants dus principalement aux mesures prises lors du choix des sites, des édifices publics afin de garantir les conditions de pérennisation des acquis notamment en terme de protection et entretien des plants.
En termes de résultats, il faut noter qu’en 2014, le Site du Camp de la Gendarmerie Nationale de Koira Tégui de Niamey présente un taux de réussite de 64,25 % ; en 2015 le site de la Faculté des Sciences de la Santé de l’Université Abdou Moumuni Dioffo de Niamey, dit « arboretum de plantes médicinales du Niger » présente un taux de réussite de 64,30 %.
Pour les années 2016, 2017 et 2018, sur les sites de la Ceinture verte de Niamey, du Camp de la Garde Nationale de Dosso et du site de l’Hôpital de Référence de Maradi, des taux respectifs de 60,66 %, de 94 % et de 100 % ont été obtenus. Pour 2019 et 2020 au niveau des sites du Centre de la Mère et de l’Enfant de Tahoua et celui de l’Hôpital Régional d’Agadez, des taux de réussite respectifs de 92,2 % et 100% ont été enregistrés. Globalement, de 2017 à 2022, sur un total de 289 sites ayant fait l’objet de plantation d’arbres lors des cérémonies officielles communales, départementales, régionales et nationales de la Fête Nationale de l’Arbre, il convient de noter que 68 % des sites de plantations sont jugés, de satisfaisants à très satisfaisants car présentant des taux de réussite qui se situent au-delà de 60 % ; 30 % ont besoin de regarnis et 2 % constituent malheureusement des échecs qu’il convient de corriger par la reprise des plantations. Enfin pour l’édition 2023, les résultats de six (6) régions sur huit (8) ont enregistré cinq mille Vingt Un (5021) plants mises en terre sur les sites officiels au niveau communal, départemental et régional dont 2647 ont réussi, soit un de taux de 50,69 %
Le Niger a réalisé des prouesses dans le domaine de la RNA et dans la conservation des espèces fauniques (l’exemple des girafes est illustratif), c’est quoi le secret ?
Le Niger a une expérience considérable dans le domaine de la Régénération Naturelle Assistée (RNA). On peut considérer qu’il est même le berceau de cette bonne pratique écologique. Il sert et continue de servir des cas d’école pour beaucoup de pays sahéliens. Nous pouvons lier cette prouesse à un certain nombres d’éléments notamment l’intensification de la sensibilisation, de la communication et de la formation des populations sur la pratique de la RNA ; les avantages socio-économiques directement perçus par les producteurs ruraux (amélioration de la fertilité et protection de la base productive, accroissement des rendements des champs, amélioration de la disponibilité du fourrage aérien et du bois énergie). Comme on le dit chez les paysans : voir, c’est convaincre.
Autres facteurs, c’est que la RNA est une pratique peu coûteuse, une technologie à la portée des producteurs et facilement réplicable dans leurs champs. Il y a aussi le renforcement des capacités du personnel d’encadrement sur le terrain ; l’instauration des mesures incitatives à l’endroit des producteurs dans le domaine et le regain d’intérêt par les partenaires techniques et financiers pour cette activité à faible risque et d’innombrables avantages comparatifs.
C’est d’ailleurs pour les raisons sus-évoquées que l’Etat a pris en 2020, le décret 2020-602/PRN/MESUDD du 30 juillet 2020 règlementant la pratique de la Régénération Naturelle Assistée au Niger. Ce décret a accordé des droits d’utilisation plus importants aux producteurs ruraux sur les zones reverdies par la RNA au Niger. En adoptant ce décret, le Niger est devenu l’un des premiers pays au monde à prendre un décret présidentiel soutenant la RNA. Ce texte juridique a fait renaître la confiance auprès des producteurs ruraux qui ont adopté cette pratique et qui sont enfin rassurés que leurs efforts pour maintenir les arbres dans les champs sont reconnus et récompensés par la loi. Cette disposition juridique arrive à point nommé puisqu’elle donne aux agriculteurs et aux éleveurs le droit de décider de comment utiliser les arbres qu’ils ont régénérés et entretenus sur leurs terres. Les agriculteurs peuvent décider du nombre de pousses à conserver, du nombre de plantes à élaguer et des produits à récolter. Cependant, ils n’ont pas le droit d’abattre des espèces d’arbres protégées.
Le Niger est, depuis une année, dans un processus de restauration de sa souveraineté. Quel lien peut-on faire entre ce processus et les questions environnementales ?
Les questions environnementales sont prises en charge sur l’axe 3 du Programme de Résilience pour la Sauvegarde de la Patrie (PRSP). Cet axe relatif au « développement des bases de production pour la souveraineté économique » prévoit en son point 3.3 : La gestion durable des terres, des eaux et de la biodiversité. Ainsi, pour le processus de l’atteinte de la souveraineté alimentaire, un programme prioritaire de transformation du potentiel sylvicole et halieutique et de création d’emplois pour les jeunes sera développé. Il porte principalement sur l’atténuation des effets négatifs du changement climatique et le renforcement de la résilience des populations et des écosystèmes ; la Gestion Durable des Terres, des Eaux, de la biodiversité et la sensibilisation et l’implication effective de la population dans la gestion de l’environnement, la valorisation des espèces locales ; le respect des engagements pris dans le cadre des accords multilatéraux sur l’environnement. La mise en œuvre de ce programme permettra de reconstituer les bases productives et le couvert végétal ; d’améliorer les rendements agricoles et les productions fourragères; d’améliorer la qualité nutritionnelle et d’atteindre la souveraineté alimentaire, etc.
Propos recueillis par Siradji Sanda (ONEP)