L’ONG Ensemble Main dans la Main Niger-Russie (EMMNR) a organisé, le samedi 14 décembre 2024 à Niamey, une conférence internationale sur le thème « Souveraineté alimentaire dans les pays de l’AES : enjeux, défis et perspectives ». L’objectif principal de cette conférence est de réfléchir sur la thématique soumise à l’analyse de trois panélistes de l’AES, afin de relever les problèmes qui empêchent les populations de ces trois États d’atteindre l’autosuffisance alimentaire tant souhaitée.
La souveraineté alimentaire a été définie par les panélistes comme un système alimentaire dans lequel les personnes qui produisent, distribuent et consomment la nourriture, contrôlent les mécanismes et les politiques de production ainsi que de distribution alimentaire. En effet, dans son introduction, la panéliste burkinabé, Mme Segda Sabo Fatimata, a, d’entrée de jeu, souligné que selon un rapport de la FAO, environ 730 millions de personnes ont souffert de la faim dans le monde en raison des défis mondiaux liés à des catastrophes naturelles et plus de 2,8 milliards de personnes ne peuvent pas se permettre une alimentation saine et nutritive. Ainsi, après avoir fortement augmenté entre 2019 et 2021, la proportion de la population mondiale souffrant de la faim est restée pratiquement inchangée pendant trois années consécutives, c’est-à-dire de 2021 à 2023.
Au plan continental, l’Afrique est la région la plus touchée par la faim, avec près de 60 % de la population concernée en 2022, alors que les taux de famine ont diminué en Asie et en Amérique. « Sur le continent africain, 11 millions de personnes de plus souffrent de la faim par rapport à l’année précédente. Selon les projections, on sera à 900 millions de personnes qui souffriront de la faim d’ici à 2030 », a-t-elle informé. Pour le cas de son pays, le Burkina Faso, elle a déclaré que de juin à août 2024, on dénombre 273.196 personnes en insécurité alimentaire.
Parmi les défis de la souveraineté alimentaire au Burkina Faso, la panéliste a tenu à rappeler que depuis 2023, son pays a mis en place le plan national pour l’offensive pastorale, agricole et halieutique. « Il y a l’adoption des réformes visant la protection des dynamiques nationales de développement agricole, notamment la fixation des quotas d’importation sur certains produits et la limitation des exportations », a-t-elle souligné. En termes de perspectives, elle a cité, entre autres, l’aménagement des périmètres irrigués, l’intensification des productions agropastorales, le développement des infrastructures de mise en marché et de transformation agroalimentaire, la promotion du consommons burkinabè, la prospection et la diversification des sources d’approvisionnement de certains produits alimentaires spécifiques.
Pour le Niger, les enjeux de la souveraineté alimentaire consisteront, selon Dr Abdel Kader Naino Jika, enseignant-chercheur à l’Université Abdou Moumouni de Niamey, d’abord réduire les importations, garantir l’accès à l’alimentation et renforcer la résilience face aux crises climatiques. « La croissance démographique est plus importante que la capacité qu’on a à nourrir les gens, cela pose un problème. Au Bénin, la superficie emblavée de maïs, c’est environ 12 000 km2 en tout. Au Niger, on a 1 % des zones soudaniennes, mais ce 1 % fait 12 000 km2, c’est-à-dire que si on travaille dans la zone soudanienne, on pourra produire le maïs suffisamment pour tout le monde », a-t-il dit. Pour atteindre cet idéal, il faudrait de véritables politiques et un changement de paradigme, car tout ce qui a été fait jusque-là a démontré ses limites. L’universitaire recommande ainsi de revoir les politiques pour faire en sorte que les choses fonctionnent mieux. « Aujourd’hui au Niger, c’est une chance, on a huit facultés d’agronomie, on a l’institut de recherche agronomique. C’est une chance d’avoir de nouveaux partenaires, comme la Russie, qui joue un rôle de premier plan dans la production de blé dans le monde. C’est un atout si on arrive à l’exploiter », a-t-il ajouté.
Pour sa part, la panéliste malienne, Dr Tounkara Fatoumata, enseignante-chercheure à l’Université des Sciences, des Techniques et des Technologies de Bamako a expliqué que l’agriculture malienne repose pratiquement sur les pratiques traditionnelles assujetties aux conditions géographiques et aux aléas climatiques ainsi qu’à une pluviométrie variable. Les systèmes d’exploitation agricole sont de type familial, c’est-à-dire qu’il n’y a pas une industrialisation de l’agriculture comme on a tendance à voir dans les pays européens. « La pratique de l’agriculture est aussi caractérisée par un niveau très bas de l’irrigation. Il y a seulement à peu près 12 % de propriétaires terriens qui sont allés à l’école formelle. Il n’y a que 12,38 % d’agriculteurs maliens qui font la vente de leurs produits », a-t-elle notifié.
Dr Tounkara Fatoumata a par ailleurs attiré l’attention de l’assistance sur la pêche et l’élevage parce qu’après tout, l’agriculture seule ne nourrit pas le peuple, d’où l’importance d’aller vers un élevage de rente qui consistera à vendre des têtes d’animaux au lieu de se contenter de revendre les produits dérivés uniquement. « L’accès limité des crédits dans les pays constitue un frein au développement agricole. À tout ceci, il faut ajouter le problème sécuritaire que rencontrent nos pays », a-t-elle rappelé. En définitive, la panéliste a relevé l’importance de développer les infrastructures routières pour agir sur les coûts des produits, mais aussi abandonner l’habitude de cultiver durant l’hivernage et ne rien faire le reste de l’année car, martèle-t-elle, cela ne peut pas permettre d’atteindre l’autosuffisance alimentaire.
Hamissou Yahaya (ONEP)