«Messieurs les chefs d’État et de Gouvernement,
Monsieur le Secrétaire Général des Nations Unies,
Monsieur le Président de la Commission de l’Union Africaine,
Mesdames, Messieurs,
Je tiens à vous remercier vivement pour votre participation effective à la présente réunion de haut niveau. En ma qualité de Président du Conseil de sécurité, je suis honoré de pouvoir échanger avec vous sur ce que doit être la gouvernance mondiale post-COVID19. « Seule une crise-effective ou ressentie comme telle produit un changement réel » dit-on. Nous avons manqué l’occasion de procéder à un changement réel au moment de la crise financière de 2008. Allons-nous manquer l’opportunité que nous offre la COVID 19 de refonder la gouvernance mondiale ? Quels sont les défis de notre temps et quelle gouvernance pour répondre à ces défis ?
Le premier défi que je souhaite évoquer porte sur la gouvernance politique mondiale. Sur ce plan, lors de la 74ème session de l’Assemblée Générale des Nations Unies, j’avais déjà réaffirmé le besoin de soutenir le Secrétaire Général dans ses efforts visant à réformer notre organisation, en vue de mettre en place un système multilatéral plus démocratique.
Ce qui était valable il y a 75 ans, ne l’est plus aujourd’hui. Le fonctionnement de l’Assemblée Générale, de la Commission Economique et Sociale (ECOSOC), du Conseil de Sécurité, doit répondre à la situation actuelle du monde.
S’agissant en particulier du Conseil de Sécurité où nous sommes fiers de siéger, toutes les régions du monde dont l’Afrique, doivent être représentées de façon équitable. Il faut augmenter le nombre de sièges permanents et supprimer le droit de véto ou l’étendre aux nouveaux membres permanents, pour asseoir la démocratie et l’équité. L’Afrique a du reste une position commune sur cette question : elle est exprimée à travers le consensus d’Ezulwini.
Quant à l’Assemblée Générale des Nations Unies, la demande persistante des Etats membres est celle d’un rééquilibrage des pouvoirs entre elle et le conseil de sécurité.
Le second défi porte sur les questions de paix et de sécurité. Au regard des limites observées du concept de maintien de la paix, il est urgent de revenir au concept de la sécurité collective et donner plus de poids aux opérations des nations unies sous le chapitre VII. La nature des conflits évolue, les missions des forces des nations unies doivent également évoluer. La plus grande menace actuelle sur la paix et la sécurité mondiale provient des organisations criminelles non étatiques. Cette exigence du retour au concept de la paix collective ne peut s’accommoder de droit de véto car aucun Etat ne doit avoir le droit de bloquer les décisions de la communauté internationale face à une menace collective, sur la base de ses propres intérêts ou de ses amitiés.
Par ailleurs, le risque d’une confrontation entre Etats, notamment entre grandes puissances, n’est pas nul. Que l’une ou l’autre de ces puissances tombe dans le piège de Thucydide n’est pas à exclure. La communauté internationale doit travailler à conjurer une telle éventualité y compris à travers la dénucléarisation de notre planète.
Le troisième défi porte sur l’aggravation des inégalités : inégalités entre les pays et inégalités à l’intérieur d’un même pays. « La difficulté ne réside pas tant dans le fait de concevoir de nouvelles idées que d’échapper aux anciennes », disait un éminent économiste. C’est pourquoi c’est toujours après des chocs que le monde se réforme. Le paradigme actuel date des lendemains des deux chocs pétroliers de 1973 et 1979. Sa domination sans partage a même fait croire à la fin de l’histoire. Mais il a produit des inégalités telles que le monde est, dans ce domaine, dans la situation où il était à la fin du 19eme siècle. L’écart entre les plus riches et les plus pauvres se creuse et la classe moyenne, un des socles de la démocratie moderne, s’affaiblit.
Réduire l’écart entre les plus riches et les plus pauvres…
L’écart entre les plus riches et les plus pauvres est aujourd’hui plus important qu’il ne l’était dans la Rome antique où l’économie était fondée sur l’esclavage. Tous les spécialistes sont d’accord pour dire que cette tendance va s’amplifier dans le contexte actuel de croissance économique faible et de rendement élevé du capital. Cette escalade des inégalités est la plus grande menace à laquelle l’économie mondiale doit faire face. Ici il me revient en mémoire l’article 1er de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droit. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Ces inégalités ne sont pas toujours justifiées par le mérite, donc elles ne sont pas fondées sur l’utilité commune. Elles sont incompatibles avec les principes de justice sociale qui sont au fondement des sociétés démocratiques.
L’expérience montre que la main invisible du marché ne peut les corriger. Pour réduire les inégalités il faut non seulement investir massivement dans l’éducation et la formation mais aussi concevoir et mettre en œuvre des politiques économiques expansionnistes et mettre en place une taxe sur les transactions financières, ou même un impôt progressif mondial sur le capital, ce qui permet par ailleurs, de mettre fin à la concurrence fiscale à laquelle se livrent les Etats aujourd’hui. La lutte contre les inégalités exige une réforme en profondeur du FMI, de la Banque Mondiale et de l’OMC.
Mesdames, Messieurs
Le quatrième défi porte sur la lutte contre la pauvreté. Le temps est venu de construire un monde sans pauvreté. « Un monde sans pauvreté » est d’ailleurs la devise de la Banque Mondiale. Par ailleurs permettez-moi de rappeler l’article 25 de la déclaration universelle des droits de l’homme de 1948 « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que les services sociaux nécessaires ; elle a droit à la sécurité en cas de chômage, de maladie, d’invalidité, de veuvage, de vieillesse, ou dans les autres cas de perte de ses moyens de subsistance par suite de circonstances indépendantes de sa volonté ».
Une guerre totale doit être déclarée à la pauvreté
Pour garantir ce droit, une guerre totale doit être déclarée à la pauvreté. Nous produisons suffisamment de richesses dans le monde pour l’éradiquer. Nous pouvons vaincre les deux chevaliers de l’apocalypse que constituent la faim et les maladies. Rien ne doit nous arrêter dans ce combat car la pauvreté détruit la liberté et la dignité. Elle constitue le terreau sur le lequel se développent le terrorisme et le crime organisé.
Voilà pourquoi un débat sans préjugé doit être engagé sur l’institution d’un revenu universel de base pour chaque individu. Des expériences ont prouvé que cela n’incite pas à la paresse et à l’oisiveté. Nous en avons les preuves au Niger avec les transferts inconditionnels d’argent que nous réalisons au bénéfice des populations les plus vulnérables.
La lutte contre la pauvreté notamment contre le chômage exige un meilleur partage du temps de travail. Elle exige également la réforme des institutions financières et économiques mondiales. Elle exige aussi qu’on mette fin à cette mondialisation qui accepte la libre circulation des capitaux, des biens et services mais refuse celle des personnes. En effet seuls 3% de la population mondiale vivent ailleurs que dans leur pays d’origine.
S’agissant de l’Afrique qui concentre 90% des personnes vivant sous le seuil d’extrême pauvreté, la lutte contre la pauvreté passe par des financements massifs en vue de la mise en œuvre de l’agenda 2063.
Mesdames, Messieurs,
Le cinquième défi est relatif au changement climatique. Depuis le début de l’ère industrielle, nous avons eu des modèles de développement qui agressent la nature. Celle-ci se venge contre nous à travers les phénomènes climatiques extrêmes.
Les nombreux ouragans et tempêtes, les inondations, les sécheresses, les fontes des glaciers, les hausses du niveau des mers et océans, l’érosion des côtes, l’apparition de nouvelles maladies, l’atteinte à la biodiversité, etc., en sont les signes évidents. Du reste, le Groupe d’Experts Intergouvernemental sur l’Evolution du Climat (GIEC) a régulièrement attiré l’attention sur le réchauffement du globe.
Notre modèle de production est générateur de nuisance écologiques avec de graves conséquences pour la planète. Le Fonds Mondial de la Faune Sauvage, WWF (World Wilde Fund), estime que plus de 50% des vertébrés ont disparus au cours des 40 dernières années. Quant à la population globale d’animaux sauvages elle est en déclin de plus de 68%. Le nouveau paradigme post COVID 19 doit tenir compte de cela et appeler à la mise en œuvre complète et urgente de l’Accord de Paris.
Mesdames et Messieurs,
Il convient donc de se rendre à l’évidence que les instruments mis en place au lendemain de la seconde guerre mondiale ne suffisent plus pour faire face aux défis de la pauvreté, des inégalités sociales, du changement climatique, du terrorisme, du crime organisé et de la cybercriminalité, de la coexistence pacifique de la paix et de la sécurité mondiale.
La pandémie de la Covid-19 marque incontestablement la fin d’une époque. Elle a mis en évidence l’urgente nécessité de repenser notre système de sécurité collective. Elle a montré la réalité de notre humanité et de tous les pays du monde qui se sont tous trouvés égaux devant la souffrance, grands ou petits, riches ou pauvres, faibles ou puissants.
Il nous revient à tous de travailler ensemble pour tirer les enseignements nécessaires et réfléchir sur les réformes indispensables de la gouvernance mondiale. Il faut que nous créions un monde de l’après Covid-19 porteur de paix, de solidarité et de prospérité pour tous, un monde de solidarité , de dignité, d’égalité, de justice et de liberté.
Je vous remercie de votre aimable attention. ».
ONEP