La localité de Dirkou située à 600 km d’Agadez dans les confins du Ténéré, est une ville légendaire qui abrite le célèbre quartier de Garin Kanwa où des maisons sont construites en briquettes de natron. En l’espace de deux décennies, selon le maire de la commune rurale de Dirkou, M. Mahamat Boubacar Djaram, la ville de Dirkou s’est ainsi transformée en un véritable petit centre régional marqué par une croissance démographique sans précédent. Sabon Gari, ancienne périphérie de l’oasis où vivent la plupart des nouveaux habitants permanents et la totalité des personnes de passage, est dorénavant plus peuplé que le village d’origine Garin Kanwa. Cet étrange quartier construit totalement en natron a résisté et continue de résister encore aux rares pluies et aux vents violents du désert kawarien.
«La ville continue de s’agrandir et est devenue d’une certaine manière le centre économique de la localité avec l’émergence de nombreuses maisons en banco et d’autres en ciment. Cependant l’ancien quartier de Garin Kanwa existe toujours même s’il n’est plus habité. Car l’essentiel des maisons construites en briques de natron sont effondrées et ce quartier n’est plus qu’un endroit totalement en ruine», précise M. Djaram. Selon lui, l’aspect historique, culturel, touristique et surtout symbolique de Garin Kanwa fait que ce quartier ne peut pas être détruit, car il représente l’identité de Dirkou. «L’abondance du natron dans cette zone fait qu’en plus qu’il sert de produit de commerce et de produit de consommation, il sert aussi à la construction des maisons. En effet, avec les nombreuses carrières de natron qui entourent Dirkou, les populations d’antan ont eu l’idée de faire des briques et des maisons en natron. Nous comptons sauvegarder ces maisons telles quelles, car c’est une partie de notre culture et de notre histoire», déclare le maire de Dirkou.
Selon lui, le Kawar, dont Dirkou fait partie, est une zone qui possède des gisements de sel et de natron. «Le sel blanc est produit pour la consommation humaine et le sel de couleur est destiné à la consommation animale. Quant au natron, il y a aussi deux variétés dont le natron rouge d’Achounouma et le natron blanc d’Argui », indique l’élu local. Le natron de la mare de natron d’Achounouma réunit, chaque fin de l’année, entre octobre et novembre, de nombreuses personnes qui installent des maisons temporaires à base des feuilles de palmiers pour la campagne d’extraction du natron. «C’était un trajet de plusieurs kilomètres que nous parcourions à pieds pour assister à ces festivités chaque année», rappelle-t-il.
M. Djaram rappelle aussi que ‘‘la Route du Sel’’ part de l’Air, traverse le désert du Ténéré et arrive enfin à Bilma où se trouvent les salines, lieu d’extraction du sel indispensable aux transactions. «Cette route a fait l’objet d’un commerce caravanier pendant plusieurs siècles. Au cœur de la transaction : l’échange du mil contre du sel et des dattes», ajoute M. Djaram. «L’exploitation des salines de natron qui était le seul ressort des populations autochtones, dépassait le cadre de l’économie locale et le natron constituait la denrée principale du courant commercial. Il est donc important de revaloriser ces deux filières, et cela ne peut se faire qu’à travers ce qu’on appelle le Développement Economique Local (DEL)», soutient l’élu local. Il ajoute que, depuis quelques années, des nouvelles activités comme l’orpaillage et les migrations ont fait leur apparition.
Les migrants circulent à l’intérieur de Sabon Gari, entre leurs ghettos, les lieux de transport et le marché, mais ne sortent presque jamais de ce quartier et leurs échanges avec les villageois sont si faibles qu’après plusieurs mois passés à Dirkou la plupart d’entre eux ne connaissent toujours pas l’ancien village qui n’est pourtant qu’à un ou deux kilomètres de leur lieu de résidence. Ce manque de relations entre populations migrantes et populations originaires de Dirkou est renforcé par le fait que la majorité des villageois kanouris et toubous de l’ancien village ne vont eux-mêmes jamais à Sabon Gari pour ne pas être confrontés à ces ‘‘exodants’’, qui symbolisent à leurs yeux la dépravation (prostitution, alcool). Seuls quelques jeunes y font un tour par curiosité. Des commerçants s’y rendent pour le marché et certaines femmes pour y effectuer des achats. De même, les militaires, les commerçants allochtones et autres fonctionnaires ne fréquentent que des espaces circonscrits de l’oasis, et cela de manière assez homogène au sein de chacun de ces groupes.
Ce cloisonnement des espaces en fonction des différentes catégories de populations se traduit au niveau de l’organisation de l’oasis par une segmentation dont les ruptures sont visibles dans le paysage lorsque l’on passe de l’ancien village (Garin Kanwa) au marché de Sabon Gari, ou de la zone des ghettos au vaste camp militaire. En quelques années, ajoute l’élu, l’ampleur et la permanence des flux migratoires et marchands passant par la localité de Dirkou ont influé
directement sur son développement et son organisation, la faisant passer du statut de petit village du Kawar à celui de véritable petit centre régional, économique et politique. «Dirkou participe dorénavant et pleinement au maillage urbain du Sahara central structuré à la fois par l’activité de réseaux de circulation et par les volontarismes étatiques pour les zones sahariennes d’Algérie et de Libye», précise M. Djaram.
Toutefois, l’élan vers le modernisme n’a pas détruit l’image architecturale de Garin Kanwa, cette partie de la ville où s’étendent des maisons construites en briquettes de natron. Aujourd’hui suite à la crise libyenne, et le ralentissement des flux migratoires avec la loi anti-migratoire et le renforcement des patrouilles, toutes les activités sont en berne. Plusieurs jeunes qui vivaient du transport sont aujourd’hui sur la paille et des nombreux commerces alimentés par les trafics sont presque à l’arrêt, les taxes locales alimentant la municipalité se sont taries.
Mahamadou Diallo(onep) (Envoyé Spécial)