Le film documentaire Marcher sur l’eau, le premier long métrage de la réalisatrice Aïssa Maïga produit par Bonne Pioche Cinéma, fait partie de la programmation «le cinéma pour le climat» de la 74ème édition du festival de Cannes. Le film tourné dans le Nord du Niger entre 2018 et 2020 fait un focus sur le quotidien des habitants d’un village condamnés à parcourir de longues distances pour chercher l’eau, une denrée rare pour eux. Le sujet évoqué peut paraitre familier pour beaucoup ; cependant il est question d’un problème bien plus préoccupant. La sortie officielle en France de ce documentaire réalisé par Aïssa Maïga sur un scénario coécrit avec Ariane Kirtley à partir d’une idée originale de Guy Lagache, est pour novembre 2021. Avant sa diffusion au festival de Cannes le 9 juillet, nous avons vu le film en projection privée le 30 juin dernier à la salle Canal Olympiya de Niamey.
Après Regard noir, film réalisé dans le prolongement du livre Noire n’est pas mon métier, la comédienne et réalisatrice franco-sénégalaise Aïssa Maïga transpose son engagement sur un autre terrain avec le documentaire Marcher sur l’eau. L’ambition affichée avec ce film est de «faire bouger les consciences sur l’accès à l’eau, la place de la femme, et l’éducation». On se retrouve à travers ce documentaire dans le quotidien (calvaire) de ces communautés confrontées à des adversités : problème d’accès à l’eau, la dégradation de l’environnement, que l’on peut lier au changement et réchauffement climatique.
Un plan général sur une plaine, où tiennent encore quelques arbustes et arbres clairsemés, ouvre le documentaire. C’est dans ce paysage caractéristique de l’Azawad à la lisière du désert que la réalisatrice a campé l’essentiel des scènes du documentaire Marcher sur l’eau. La voix off et les sous titrages renseignent dès le début du film sur le sujet en question, les préoccupations de la communauté peulh Wodabes du village, plutôt campement de Tatiste dont la jeune Houlaye (14ans) incarne le combat pour l’accès à l’eau, à l’éducation, à un mieux-être.
Du chef du village, aux autres habitants (hommes, femmes, enfants, le maitre d’école), leur vie est rythmée, plutôt perturbée par le problème de l’eau. Le précieux liquide qu’il faut chercher au prix de mille et un efforts. Une eau qu’il faut puiser à l’aide d’attelage d’animaux du fond d’un puits profond de dizaines de mètres. Le souci de la qualité semble secondaire. On ne songe aux autres activités comme aller à l’école pour Houlaye et les autres enfants, qu’après la corvée d’eau. On saisit ici le sens de l’expression «l’eau c’est la vie» ou de l’adage haoussa qui dit mot à mot : «c’est avec l’eau du ventre que l’on puise l’eau du puits».
Résister, s’adapter…
Quand la situation empire du fait de la sécheresse, les points d’eau tarissent ; il n’y a plus assez à manger et à boire pour les humains et les animaux. Alors, les gens n’ont d’autre choix que de partir en exode. Ce que fait avec d’autres femmes, la mère de Houlaye, tandis que le père amène le maigre troupeau vers d’autres horizons à la recherche de pâturages. Une situation qui vient ajouter au calvaire de la petite Houlaye qui en plus de la corvée quotidienne doit veiller toute seule sur ses jeunes frères, et continuer à aller à l’école.
Le dénouement est attendu de la réalisation d’un forage pour faire remonter l’eau. La population de Tatiste a déposé à cet effet une demande auprès des autorités à Abalak. Oui, il y a de l’eau dans le sous-sol, comme le maitre d’école l’a dit à ses élèves, faisant vaguement allusion à l’immense aquifère que couvre la région. Ce qui suscite la surprise de Houlaye qui apprend curieusement qu’elle et les autres «marchent sur l’eau», tout en souffrant de soif…C’est l’ironique et non moins affligeante réalité que donne à voir ce documentaire qui révèle d’une certaine manière les effets du réchauffement ou changement climatique résultant de la pollution émise par les pays riches et dont les pauvres subissent les conséquences. Un des personnages de Marcher sur l’eau résume ainsi dans son monologue les transformations subies par leur environnement. «Il n’ya plus d’eau, ni d’herbes, ni d’arbres, où se cachait le gibier ; il ne reste plus que le sable», se lamente-t-il.
La vie continue…
Mais au-delà de l’angoisse d’un quotidien rythmé par la recherche, la gestion parcimonieuse de l’eau, et l’émotion qu’il suscite, le film ne laisse pas d’éduquer et de divertir jusqu’à arracher des rires au public. La réalisatrice a pu s’imprégner des détails de la vie d’une communauté qu’elle capte et montre avec art, en son et image et à travers des personnages qui semblent avoir la résilience inscrite en eux. Il y a de la beauté dans le film : jouant sur les plans, Aïssa Maïga fait apprécier la beauté légendaire de ces femmes, ces personnes qu’elle a côtoyées pendant deux ans ; la beauté des paysages filmés de jour comme de nuit avec un ciel parsemés d’étoiles, ou pendant les moments de bruyants orages ; bref, des scènes de la vie qui continue. Le tout est agrémenté par l’harmonie du fond musical du film. C’est d’ailleurs une belle composition de Uèle Lamore qui accompagne le dénouement intervenu avec la réalisation du forage tant attendu grâce à un partenariat entre le gouvernement et l’ONG Amman Imman, «l’eau c’est la vie».
Marcher sur l’eau, est un documentaire que l’on peut vivement conseiller à ceux qui ne mesurent pas l’ampleur du gaspillage qu’ils font en laissant couler inutilement ne serait qu’une goutte d’eau ; aux climato-sceptiques qui ne croient pas encore au réchauffement climatique, phénomène dont les populations de beaucoup de pays subissent les effets depuis des décennies. C’est tout simplement un film à voir pour un éveil ou une veille des consciences afin d’engager des actions face à la dégradation de l’environnement et au péril climatique.
Souley Moutari(onep)