L’élevage est une des principales activités de la majorité des Nigériens. Que ce soit en milieu urbain ou rural, l’élevage est exercé avec passion par des milliers de personnes. Selon une étude réalisée en 2024 par le Ministère en charge de l’Élevage, l’effectif du cheptel dans la ville de Niamey est estimé à 540.063 têtes, toutes espèces confondues dont 110.664 bovins, 266.771 ovins et 158.645 caprins. L’arrondissement communal Niamey V appelé rive droite, vient en tête avec 147.974 têtes toutes espèces confondues, suivi de la commune IV avec 129.542 têtes d’animaux. Cependant, bien qu’importante, cette activité nécessite une attention particulière en raison des risques qu’elle comporte tant pour la santé animale, humaine ainsi que la sécurité et la mobilité humaine.
À Niamey, certains endroits tels que les terrains non clôturés, les rues et les décharges publiques sont devenus des lieux où les animaux notamment les ovins, les bovins, les caprins, les ânes et parfois les chameaux viennent paître. Ces bêtes en divagation sortent des habitations et envahissent les rues, les ruelles et d’autres espaces publics. À la recherche de nourriture, ils se précipitent vers les décharges où ils se nourrissent de papiers, de déchets plastiques et d’autres matériaux potentiellement nocifs pour leur santé.
Selon les explications du Directeur Général des Services Vétérinaires au ministère de l’agriculture et de l’élevage, Dr Aboubacar Ramou, la principale raison de l’errance des animaux, plus particulièrement les ruminants (bovins, ovins et caprins) est la recherche de leur alimentation ou du complément de leur alimentation lorsque celle-ci ne leur a pas été offerte par leur propriétaire ou quand elle est insuffisante pour couvrir les besoins de leur organisme (besoins d’entretien, de production). « Les pâturages naturels constituent la principale ressource alimentaire des ruminants dans la zone urbaine et périurbaine. Ces pâturages sont non seulement insuffisants pour les animaux mais aussi pollués par les sachets plastiques. Cette insuffisance alimentaire quantitative et qualitative amène les ruminants à ingérer des sachets plastiques », a-t-il expliqué.
En effet, la consommation par les animaux de ces déchets plastiques et autres objets usés a de nombreux impacts notamment sur la qualité de la viande de l’animal. En effet, la viande issue de ces animaux peut entraîner des risques sanitaires, tels que la contamination par des déchets ou des maladies zoonotiques. De plus, le pâturage en milieu urbain peut entraîner des nuisances pour les résidents, notamment en termes de bruit, d’odeurs et de dégradation des espaces publics. Cela peut également créer des tensions entre les éleveurs et les habitants des zones urbaines.
Danger de la consommation des sachets plastiques sur la santé animale et humaine
Pour le Directeur Général des services vétérinaires, la consommation de la viande de ces animaux qui se nourrissent de déchets plastiques n’est pas sans conséquence pour l’homme. «Aujourd’hui, cette question est une préoccupation des services en charge de la santé animale car le plastique est partout ; dans nos emballages et dans les objets de la vie courante. Il est pratiquement inévitable de passer une journée sans être confronté de près ou de loin à cette matière. D’une manière générale, les matières plastiques se sont généralisées dans notre vie quotidienne », a-t-il relevé. Dr Aboubacar Ramou d’ajouter que ces dernières années, le Niger a connu une croissance démographique significative et une urbanisation croissante. « Cette forte pression démographique et les besoins toujours grandissants de la population ont entraîné une production conséquente de déchets au sein des centres urbains, en particulier dans les quartiers périphériques, ce qui constitue alors un véritable danger aussi bien pour les animaux mais également pour l’homme », a-t-il dit.
Ce responsable des services vétérinaires a soutenu sans équivoque que la consommation de déchets plastiques par les animaux pose un sérieux problème de santé, en particulier pour ceux vivant en agglomération. « Une fois ingéré, ces déchets demeurent dans le tube digestif sans être digérés, car ils ne sont pas dégradés par les enzymes digestives habituelles qui transforment les aliments en nutriments assimilables par l’organisme », a expliqué Dr. Aboubacar Ramou. Ainsi, progressivement, le plastique s’accumule, occupant de plus en plus d’espace, entrave l’ingestion d’aliments en quantité suffisante, puis obstruant le tractus digestif. « Cette situation, peut entraîner une perte de poids de l’animal et une détérioration progressive de sa santé, pouvant conduire à une impaction du rumen avec solidification des corps étrangers en plastique, voire à la mort. Chez les femelles gestantes, l’accumulation des sachets plastiques peut entrainer la mort par l’occupation d’une partie de la cavité abdominale par les déchets plastiques. Ainsi le manque de nutriments essentiels pour le bon développement du fœtus peut entraîner des mortinatalités », a précisé Dr Aboubacar Ramou.
La consommation des déchets plastiques par les animaux, une entorse pour l’économie
Sur le plan socio-économique, la consommation de déchets plastiques par les animaux errants entraîne une perte financière, tout d’abord pour l’éleveur en raison de la diminution de la valeur marchande des animaux et du décès d’un nombre non négligeable au sein du troupeau et ensuite, pour le pays. A ce niveau, rappelle Dr Aboubacar Ramou, des études menées sur la consommation de déchets plastiques par les animaux au Sahel ont révélé que 30% des mortalités animales étaient dues à l’embonpoint. Aussi, environ 86% des éleveurs ont signalé avoir perdu entre 2 et 3 têtes de petits ruminants en raison de la consommation de déchets plastiques.
Par ailleurs, sur le plan de la santé publique, la viande des animaux abattus suite à une ingestion de plastique n’est pas dangereuse en soi. Elle est simplement de faible valeur nutritive en raison de l’état d’embonpoint de l’animal ou cachectique, donc de qualité organoleptique médiocre. Toutefois, a expliqué le spécialiste en santé animale, dans certains cas, leur ingestion peut présenter des risques pour le consommateur, notamment lorsque les plastiques ingérés contenaient auparavant des produits susceptibles de se retrouver sous forme de résidus dans la viande ou le lait. De plus, la fumée émise lors de leur incinération contient des dioxines nocives pour les poumons ou les hormones, pouvant entraîner des problèmes respiratoires, voire des cancers. Bien que banalisé et non pris en compte, le phénomène impose la prise de décisions idoines pour préserver non seulement la santé animale mais également celle de l’homme.
Lutte contre le phénomène des animaux errants
D’après le Directeur Général des Services Vétérinaires, il existe, entre autres dispositions, les textes législatifs et réglementaires en vigueur comme la loi N° 2004-48 du 30 juin 2004 portant loi-cadre relative à l’élevage, dont le titre III est consacré à la garde des animaux. « Dans son chapitre II, il est question de la responsabilité du propriétaire et à l’article 12, il est stipulé que le propriétaire d’un animal est présumé civilement responsable des préjudices causés par l’animal à autrui, qu’il soit sous sa surveillance ou non », a-fait savoir Dr. Aboubacar Ramou .
Dans le même ordre idée, les autorités de la Ville de Niamey ont lancé une campagne de reboisement en plantant des arbres le long des grandes artères de la capitale et dans certains espaces publics. Cependant, ces efforts sont contrecarrés par l’errance des animaux. C’est pourquoi l’Administrateur délégué de la Ville de Niamey a publié un communiqué précisant que l’errance et la vente des animaux sont interdites dans les rues et les espaces publics de tout le territoire. Selon la même source, tout animal capturé sera placé en fourrière et son propriétaire sera passible d’une amende conformément à l’arrêté N° 0179 du 6 septembre 2024, interdisant et réprimant l’errance des animaux et réglementant la vente de bétail sur le territoire de la Ville de Niamey.
Cependant, malgré cette mesure, le constat est toujours le même. Les animaux continuent d’errer dans les rues, de jour comme de nuit, mettant en danger les usagers de la route en particulier les motocyclistes et les automobilistes. La situation s’est même aggravée ces derniers temps avec des gros ruminants se promenant allègrement au vu et au su de tous sur le bitume sans craindre d’être écrasés.
Ainsi, pour pallier cette inconduite, le Directeur Général des Services Vétérinaires a exhorté les propriétaires d’animaux à assumer pleinement leur responsabilité à l’égard de leurs compagnons. « Ils sont tenus de veiller à leur bien-être et de réparer les dommages causés à autrui (les accidents de la route sont souvent imputables aux animaux errants) », a-t-il affirmé. Pour le spécialiste en santé animale, il est impératif de prendre soin de ces animaux, de les nourrir et de les héberger dans des enclos adaptés afin d’éviter leur vagabondage. En plus, il faut une sensibilisation de la population sur les dangers des déchets plastiques et pour encourager l’usage de solutions alternatives comme les sacs biodégradables.
Dr Aboubacar Ramou a d’ailleurs annoncé qu’une étude sera bientôt menée pour maîtriser les effectifs, identifier et sensibiliser les propriétaires d’animaux afin d’entretenir et assurer une alimentation équilibrée à leurs animaux et leur éviter une divagation à risque.
Témoignages
Elhadji Hamissou Issoufou, un vieux boucher témoigne sur les conséquences des déchets plastiques et la qualité de la viande. « J’exerce ce métier depuis plus de 33 ans à l’abattoir frigorifique de Niamey. À mon avis, ce sont surtout les animaux vivant en milieu urbain qui sont les plus exposés à la consommation de déchets plastiques et sont susceptibles de les consommer. La qualité de la viande diffère, car ceux qui ingèrent ces substances ont une chair moins lourde que ceux qui en sont préservés », a-t-il fait savoir.
Évoquant les conséquences liées à la consommation de ces substances, Elhadji Hamissou a mentionné les problèmes de digestion. Ces difficultés digestives encombrent le système digestif et créent un certain déséquilibre. « Nous trouvons divers matériaux dans l’estomac de ces animaux, tels que des aiguilles, des clous, des plastiques et des morceaux de fer. Cela peut endommager certains organes vitaux comme le foie. Lorsqu’un organe comme le foie est affecté, l’animal ne progresse pas », a-t-il affirmé.
Aussi, Elhadji Hamissou a relevé que la consommation de ‘‘Bourgou’’ (une variété de fourrage) endommage également le foie des animaux. « Lorsque cette herbe est consommée à l’état frais sans être traitée, cela présente un danger pour la santé animale. Les animaux des régions du fleuve sont plus affectés car ils se nourrissent de cette herbe. Heureusement, nous disposons d’une équipe de vétérinaires à l’abattoir frigorifique chargée de veiller à ce que les opérations se passent dans le respect des normes sanitaires. Une croix est mise sur l’animal malade, puis détruit et le propriétaire dédommagé », rassure ce boucher.
- Habiboulahi, éleveur à Niamey, raconte qu’une fois, il a égorgé un de ses moutons qui ne progresse pas. Cet éleveur a trouvé beaucoup de déchets plastiques dans les entrailles de l’animal qui semblent être l’une des causes de la maladie de ce mouton. Selon cet éleveur, ces sont ces genres de déchets qui empêchent le plus souvent aux animaux de grossir. « J’invite mes amis éleveurs à ne pas laisser traîner leurs bétails sur les décharges car les plastiques obstruent les tubes digestifs. A force de consommer ces matières nocives, les animaux finissent par se « remplir » l’estomac de plastique qu’ils n’arrivent pas à évacuer. L’estomac plein leur donne une fausse sensation de satiété. Ces animaux peuvent également souffrir de difficultés comme l’occlusion intestinale et finissent par mourir de faim après tant de souffrances », a-t-il conclu.
Yacine Hassane et Abdoulaye Mamane(onep)