Le paludisme demeure encore un problème de santé publique au Niger. Cette année 2020, l’on observe une augmentation des cas dans notre pays. Dans cet entretien, la coordinatrice du Programme National de Lutte contre le Paludisme (PNLP), Dr. Djermakoye Hadiza Jackou explique les causes du nombre croissant de cas du paludisme ; les différentes formes de paludisme ; le protocole de traitement adapté au Niger. La coordinatrice du PNLP a également fourni des éclaircissements sur les actions menées à titre préventif dans la lutte contre le paludisme. Enfin, la coordinatrice du PNLP a dressé un aperçu sur le plan stratégique national (PSN) 2017-2021 de lutte contre le paludisme.
Comment se présente la situation de l’épidémie de paludisme au Niger ?
Maladie parasitaire, le paludisme constitue un problème majeur de santé publique, il représente le premier motif de recours aux soins et la première cause de décès. Les statistiques sanitaires ont montré une réduction de l’incidence du paludisme dans la population générale qui est passée de 92 cas pour 1.000 habitants en 2016 à 69 cas pour 1.000 habitants en 2019. Cependant, nous enregistrons cette année une augmentation des cas avec une incidence de 85 pour 1.000 Habitants. Cette augmentation des cas de paludisme est due à la pluviométrie exceptionnelle enregistrée et qui a occasionné la stagnation d’eau et la prolifération des moustiques, vecteurs de paludisme. En 2020 on observe une augmentation de l’incidence du paludisme de l’ordre de 30% au plan national. Cette augmentation varie de 11% dans la région de Tillabéri à 75% dans la région d’Agadez. Le nombre de décès enregistré est de 2.499 en 2020 contre 1.929 en 2019 pour la même période soit une augmentation de 570 décès. Quant au taux de létalité, il est sensiblement égal à celui enregistré en 2019 pour la même période (0,1%). Il est de 0,2% dans la région d’Agadez. du 1er Janvier au 04 octobre 2020, la situation se présente comme suit Agadez : 40.537 cas avec 89 décès en 2020 contre 23.195 avec 33 décès en 2019 ; Diffa : 53.123 cas avec 49 décès contre 31.563 cas avec 17 décès en 2019 ; Dosso : 339.778 cas avec 247 décès contre 243.160 avec 235 décès en 2019; Maradi : 412.542 cas avec 548 décès contre 293.933 cas avec 414 décès en 2019 ; Niamey : 169.019 cas avec 180 décès contre 149.747 cas avec 128 décès en 2019 ; Tahoua : 473.266 cas avec 612 décès contre 359.034 cas avec 449 décès en 2019 ; Tillabéri : 462.001 cas avec 425 décès contre 414.501 cas avec 369 décès en 2019 ; Zinder : 499.592 cas avec 349 décès contre 369.344 cas avec 284 décès en 2019. A ce jour, nous avons 24 districts sur les 72 qui ont dépassé le seuil épidémique. Nous faisons un suivi hebdomadaire de ces districts, ce qui nous permet de diligenter des investigations afin de prendre les décisions qui s’imposent.
Quelles sont les différentes formes de paludisme qu’on enregistre chez nous ?
Retenons que le paludisme est une maladie parasitaire causée par le Plasmodium falciparum transmise, lors de son repas sanguin, par un moustique du genre anophèle femelle. Il existe deux formes de paludisme, le paludisme simple et grave. En ce qui concerne le paludisme simple, il est défini par tout accès palustre sans aucun critère de gravité tel que défini par l’OMS, et confirmé biologiquement par la microscopie ou le Test de Diagnostic Rapide (TDR). Les principaux signes cliniques sont la fièvre, les céphalées, les malaises, les frissons, les sueurs, les douleurs articulaires, les courbatures, l’asthénie, les douleurs abdominales, les nausées, les vomissements et les diarrhées. Le paludisme grave est quant à lui représenté par tout accès palustre à Plasmodium falciparum confirmé biologiquement par la microscopie ou le TDR, avec la présence d’au moins un des critères de gravité tels que définis par l’OMS (les convulsions, l’anémie, le coma, la détresse respiratoire, l’hypoglycémie, l’insuffisance rénale, la prostration).
Quelle est la forme la plus fréquente ? Et quelle est la catégorie d’âge vulnérable à cette forme ?
La forme la plus fréquente est le paludisme simple et les cibles les plus vulnérables sont les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes. En l’absence d’un traitement correcte et rapide, le paludisme peut se compliquer en paludisme grave avec convulsion, anémie, coma, hypoglycémie et autres signes de gravité représente 6% des cas enregistres.
Qu’est ce qui explique le nombre croissant de cas de paludisme cette année au Niger ?
L’augmentation des cas en 2020 s’explique par la forte pluviométrie enregistrée sur la quasi-totalité du pays. La température, l’humidité relative sont des paramètres climatiques favorables au développement du vecteur de transmission du paludisme à savoir l’anophèle femelle. Il existe aussi malheureusement des comportements néfastes en faveur de la lutte contre le paludisme par la population à savoir le manque d’hygiène, la mauvaise utilisation des moustiquaires, et surtout le non-respect de la prise des médicaments de prévention chez les enfants de moins de 5 ans. Le nombre des cas croissant s’explique aussi par le non-respect des mesures de prévention, le non-respect du calendrier de vaccination des consultations prénatales, le non-respect des prescriptions médicales, le recours tardifs aux soins, le non-respect des normes et protocoles en cas de paludisme et grossesse.
En quoi consiste le protocole de traitement adapté au Niger?
Au Niger, la prise en charge du paludisme simple confirmé se fait dans les formations sanitaires et au niveau communautaire après confirmation du paludisme par la microscopie (GE) ou le Test de Diagnostic Rapide (TDR). Pour le traitement du paludisme simple, les Combinaisons Thérapeutiques à base d’Artémisinine (CTA) suivantes sont utilisées : Artéméther + Luméfantrine (AL) ; Artésunate + Amodiaquine (AS-AQ) ; Dihydro-Artémisinine+Pipéraquine (DHA PPQ) ; Artésunate + Pyronaridine (PA). L’artésunate injectable est le médicament de première intention pour le traitement du paludisme grave. Si l’artésunate n’est pas disponible ou en cas d’intolérance à l’artésunate, il est recommandé d’administrer de l’artéméther injectable ou de la quinine injectable.
Quelles étaient les dispositions prises par le Programme avant la saison pluvieuse pour prévenir le pic du paludisme ?
En terme de prévention nous avons organisé : une campagne de distribution gratuite de 8.005.656 moustiquaires imprégnées d’insecticide de longue durée d’action avant la période de haute transmission en juin 2020. Cette campagne a couvert 13.994.681 personnes dans 44 districts sanitaires de 6 régions de notre pays. Il ya aussi la mise en place de 915.893 moustiquaires dans les 72 districts au profit des femmes enceintes qui se rendent à la 1er consultation prénatale et des enfants de moins d’un an lors de la vaccination contre la rougeole. Nous avions également organisé une campagne de chimio prévention du paludisme saisonnier chez les enfants âgés de 3-59 mois qui consiste à administrer des médicaments à cette tranche d’âge chaque mois (passage) de juillet à octobre. Cette année, 4.289.250 enfants ont bénéficié de trois passages. A cela, il faut ajouter les activités de sensibilisation sur les mesures de prévention menées par les agents de santé au niveau des formations sanitaires, mais également à travers les radios communautaires, les affiches et les crieurs publics. Par rapport à la prise en charge des cas de paludisme, il y’ a eu la mise à niveau de 300 agents sur la prise en charge du paludisme ; la mise en place 3.511.340 tests de diagnostics rapide ; la mise en place de 2.749.385 traitements des cas de paludisme.
En quoi consiste le plan stratégique national (PSN) 2017/2021 de lutte contre le paludisme ?
Le Niger a souscrit à tous les engagements internationaux de lutte contre le paludisme. Au titre des nouvelles initiatives, on peut retenir l’initiative d’Élimination du Paludisme dans le Sahel (SaME), l’outil Malaria Match Box, la campagne «Zéro Palu Je m’Engage» et l’approche «d’une charge élevée, à un impact élevé» ou «High Burden to High Impact (HBHI)». En ce qui concerne le Plan stratégique 2017/2021, nous avons procédé en début d’année à la revue à mi-parcours de ce plan et à des réajustements pour nous permettre d’étendre ce PSN à la période 2017/2023. Les changements majeurs prévus dans cette planification sont : l’extension de la campagne de distribution de moustiquaires à toute la région d’Agadez ; l’extension à 6 nouveaux districts d’Agadez et de Tahoua pour les campagnes de la CPS chez les enfants de moins de 5 ans ; l’introduction pour les campagnes à venir des moustiquaires de dernières générations appelées IG2 et PBO dans les districts ayant enregistré des résistances aux insecticides utilisés pour l’imprégnation des moustiquaires ; l’extension à 9 nouveaux districts de l’approche communautaire pour la prise en charge des cas de paludisme à domicile par les relais communautaires dans les villages distants de plus de 5 km d’une formation sanitaire.
Propos recueillis par Issoufou A. Oumar(onep)