« Après mon huitième film, j’arrête », avait dit Djingarey Abdoulaye Maïga, en 2016 à la sortie de son long métrage « Cerveau noir ». Mais dira-t-il, touché par l’histoire des filles albinos, la stigmatisation dont elles font l’objet dans la société, Djingarey Maïga en a fait le sujet de « Un coin du ciel noir », son 9ème long métrage de fiction sorti en 2018, auquel il enchaine « La femme noire du village » également un long métrage de 120 minutes, qu’il vient de terminer et dans lequel la femme joue aussi le rôle central. Dans cet entretien Djingarey Abdoulaye Maïga revient sur sa longue et riche carrière, évoque le sujet du film « La femme noire du village » ainsi que les difficultés auxquelles sont confrontés les cinéastes au Niger.
Vous venez de terminer votre 10ème long métrage dont l’avant première a eu lieu le 5 septembre dernier ; où trouvez-vous la motivation et les ressources pour continuer à sortir des films, vu les conditions dans lesquels les artistes travaillent au Niger?
C’est vraiment une très bonne question, parce que c’est difficile d’être motivé dans les conditions dans lesquelles nous sommes aujourd’hui dans notre pays. Nous avons beaucoup de problèmes qui nous empêchent de nous mettre pleinement au travail, de nous mobiliser pour faire un film. D’ailleurs, en 2016, quand j’ai fait mon film, « Cerveau noir », je me suis dit que j’arrête, puisqu’étant fatigué de faire des films, sans moyens. J’avais donc décidé d’arrêter. Je l’ai dit à tout le monde, avec ce huitième film là j’arrête ! Mais après j’ai réalisé un autre film, « Un coin du ciel noir » et aujourd’hui je viens de terminer mon dixième long métrage.
Je dirai que c’est une question de passion. Comme j’ai eu à le dire plusieurs fois, depuis mon jeune âge, je ne voulais faire que du cinéma. Quand j’ai quitté l’armée en 1960 à partir de Maradi, tout ce que je faisais c’est lire dans les rares journaux que je trouvais, les informations sur le cinéma. De retour à Niamey, j’ai travaillé temporairement dans une usine avant d’être employé à l’Institut de Recherche en Sciences Humaines(IRSH) /CELTHO. Je consacrais tout mon temps à étudier le cinéma à ma façon. Et en 1964 j’ai lu dans un journal que des français allaient venir tourner un film à Niamey. Dès leur arrivée je suis allé les voir et tout de suite la dame qui était la productrice a décidé de me faire jouer un petit rôle. Plus tard, à tout hasard, avec un ami français, à la cinémathèque de Paris je suis tombé sur le film là dans lequel j’ai joué pour la première fois. C’était l’une des plus belles surprises de ma vie ! Bref, les circonstances de la vie ont fait que j’ai travaillé aux cotés de Moustapha Alassane à l’IRSH, avec l’aide de feu Djoulde Laya.
Et je me suis donc lancé dans la réalisation avec un documentaire fiction, « le Ballon » 35 mn sorti 1971. Ce qui m’a permis à l’époque d’avoir un peu de moyens et j’ai commencé l’écriture de mon premier long métrage de fiction, « L’Etoile noire » sorti en 1973. Mais je dois dire que s’il n’y avait pas Djouldé Laya à l’époque, je n’aurai pas pu progresser dans le cinéma, car il m’a beaucoup aidé, ainsi que quelques bonnes volontés qui m’ont appuyé au CELTHO, à la télévision scolaire. J’ai fait ce long rappel pour expliquer que le cinéma est ma passion depuis ma jeunesse; on fait un film avec la tête et le cœur. J’ai vécu beaucoup de situations dans ma carrière, des gens m’ont joué de sales tours, mais tout cela ne m’a pas découragé ; je suis resté assidu et persévérant dans mon travail, c’est cela ma force, c’est ce qui fait que j’arrive à faire toujours des films.
Qu’est ce qui justifie le rôle central de la femme dans l’ensemble de votre oeuvre cinématographique ?
Je réfléchi toujours sur un sujet avant de l’écrire. Pour ce qui est de ce dernier film que je viens de finir, « La femme noire du village », tout est parti d’une idée qui m’est venue en voyant une belle femme qui est ce qu’on appelle communément « bonne » ou travailleuse domestique. J’ai posé alors la question à mon épouse, lui disant : si l’homme chez qui cette dame travaille décide de la marier qu’est ce qui va se passer ? Mon épouse m’a répondu : mais, ce genre de cas est déjà arrivé ! Et elle m’a rapporté quelques histoires ; j‘ai ainsi décidé d’écrire mon scénario, que j’ai enrichi avec ses contributions, et celles d’autres personnes. C’est un peu comme ça pour les sujets de mes autres films comme « Aube noire ». Mais pour la place de la femme dans mes films, c’est la réalité qui l’impose, car aujourd’hui ou hier, la femme est liée à tout ce que l’homme fait, même si elle est aussi celle qui perd, ou souffre dans cette interaction. On le voit dans « La femme noire du village » avec cette dame qui fuit la violence conjugale chez son mari au village pour se réfugier en ville où elle sera d’abord « bonne » avant de devenir l’épouse du patron, mais en endurant d’autres épreuves.
Cependant, ce n’est pas parce que je choisis délibérément de défendre la femme dans mes films. Je donne peut être l’occasion aux femmes de s’affirmer, se défendre, même si je constate que chez nous elles ne sont pas très cinéphiles ; elles ne se disent pas : ce cinéaste là fait des films pour nous, il faut le féliciter, ou l’encourager…je crois qu’il y a un problème de culture du cinéma, de motivation, de regard critique sur les films.
Vous assurez vous-même la production de vos films; pourquoi vous ne travaillez pas avec des producteurs professionnels ?
Les gens pensent que je ne veux pas de producteur ! Je me suis fait avoir par tous les producteurs que j’ai approchés, en Afrique et au-delà, j’ai même dû porter plainte contre certains. J’ai été victime d’escroquerie, de gens qui n’honorent pas leurs engagements. Ici au Niger, je vais vers les institutions, mais rien ne vient d’elles. Dans ce dernier film, il n’y a pas la participation de ces institutions sur lesquelles les cinéastes doivent compter. Pour les producteurs, on n’en a pas vraiment ici, mais il y a des gens qui promettent et qui ne tiennent pas parole, j’en ai vu beaucoup.
Vous arrivez quand même à sortir vos films…
En réalité, moi, mon seul « producteur », ces dernières années c’est le président Mahamadou Issoufou ; avant qu’il ne soit au pouvoir, je ne connais pas un autre président qui m’a soutenu. Il m’a vraiment aidé. J’ai aussi quelques personnes qui m’encouragent et je travaille avec des jeunes qui me font confiance. Concernant la diffusion, pour ce nouveau film, j’ai des contacts avec la salle Canal Olympiya de Niamey. Il y aura des diffusions et peut être que le film sera dans d’autres salles.
En tant que doyen des
cinéastes nigériens comment appréciez-vous aujourd’hui la situation du cinéma dans le pays, et quels genres de rapports avez-vous avec les jeunes qui sont dans ce domaine ?
Il faut dire que la situation n’est pas du tout bonne ; actuellement les cinéastes sont confrontés à de multiples difficultés et ne savent sur quelle structure compter. Personnellement je me base sur mes relations. Pour les jeunes, c’est à eux de venir vers moi ; et je travaille avec eux. On apprend les uns des autres, et ces jeunes ont aujourd’hui plus d’opportunités avec les outils et moyens techniques modernes qui facilitent le travail.
Entretien réalisé par Souley Moutari(onep)