Le 2 septembre dernier, le Front patriotique pour la souveraineté du Niger a organisé une manifestation gigantesque au niveau du rond-point Escadrille en face de la base aérienne 101 des Forces Armées Nigériennes (FAN) qui abrite les troupes françaises au Niger. L’unique mot d’ordre de cette mobilisation exceptionnelle est d’exiger le départ sans conditions des troupes françaises du Niger, conformément à la demande des autorités nigériennes sous l’égide du Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie (CNSP). Une mobilisation que cette structure de la société entend maintenir jusqu’au départ du dernier soldat français du territoire nigérien. Dans cet entretien, le Secrétaire à la communication du Front patriotique pour la souveraineté du Niger revient sur l’organisation de cette mobilisation. Bana Ibrahim évoque aussi d’autres sujets comme le rôle de la France dans la situation sécuritaire, l’unanimité du peuple nigérien autour de la question des forces françaises au Niger, etc.
Monsieur le Secrétaire, dans quel cadre s’est déroulé l’organisation de la manifestation du 2 septembre dernier ?
La manifestation du 2 septembre, comme vous le savez, coïncide avec la fin de l’ultimatum qui avait été donné par le Conseil National pour la Sauvegarde de la Patrie aux forces militaires Français qui sont dans notre pays dans le cadre de plusieurs accords de défense. Comme ça s’est passé au Mali et au Burkina, lorsque les autorités prennent ces types de décisions, la France oppose généralement une certaine résistance. Et comme ailleurs, c’est au peuple nigérien de se dresser comme un seul homme pour matérialiser ou obliger la France à respecter la décision des autorités légitimes de notre peuple. C’est dans ce cadre que nous avons organisé cette manifestation à partir du 2 septembre et qui continue jusqu’au départ du dernier militaire Français du territoire national.
Comment s’est faite la mobilisation, particulièrement au cours de la journée du 2 septembre dernier ?
Avant la manifestation du 2 septembre, notre structure avait déjà mis en place un certain nombre de brigades de veille citoyenne qui sont éparpillées aux différents carrefours stratégiques du Niger. Donc avant la manifestation nous avons d’abord commencé par sensibiliser ces points de brigades de veille citoyenne pour inculquer dans leurs têtes la nécessité de sortir le 2 septembre et de montrer à la face du monde que cette décision du CNSP est une décision assumée par l’ensemble du peuple nigérien. Nous avons fait ce travail d’abord aux niveaux des différents ronds-points qui abritent ces brigades de veille, ensuite nous avons sillonné les différents marchés de Niamey et nous avons pu obtenir des délégués la fermeture exceptionnelle de ces marchés-là pour la journée du 2 septembre. Deux jours avant la date, c’est à dire le jeudi 31 août, nous avons organisé une caravane qui a sillonné les 5 arrondissements communaux avec des meetings dans chacune des communes de la Ville de Niamey. Nous avons également utilisé les médias traditionnels comme la télé à travers des spots et aussi les réseaux sociaux pour pouvoir drainer le maximum de Nigériens à cette manifestation.
A vous écouter, tous ce travail et aussi le déplacement en grand nombre de la population se sont faits de manière désintéressée ?
Contrairement aux partis politiques, notamment ceux qui avaient été déchus du pouvoir, les Nigériens n’ont plus besoin d’être soudoyés parce que le CNSP a donné au peuple nigérien ce dont il a besoin la liberté nouvelle conquise. Cela n’a pas de prix. A elle seule cette liberté permet de maintenir l’effervescence autour du CNSP. D’ailleurs, il faut se rappeler que le CNSP est quand même soumis à un embargo financier énorme de la part des institutions régionales comme l’UEMOA et la CEDEAO. Nous sommes en train de vivre une certaine résilience que ça soit le peuple nigérien ou le CNSP. D’où proviendrait de l’argent qui pourrait maintenir toute l’effervescence autour de l’action salutaire du CNSP depuis le 26 juillet 2023 ? Ceux qui le disent, moi je les comprends. Ils ont ce qu’on appelle le vertigo : c’est une maladie de ceux qui ont perdu le pouvoir. Ce sont des gens qui pensent qu’on peut mobiliser des milliers de Nigériens sur toute l’étendue du territoire en les payant. C’est d’ailleurs une insulte au peuple nigérien. Donc, ils veulent dire que toutes les fois où eux rassemblaient leurs militants pour voter pour eux, c’est contre des espèces sonnantes et trébuchantes. Si ça avait été le cas, qu’ils comprennent que cette fois-ci c’est le peuple nigérien, de manière désintéressée, qui a décidé de se lever pour se battre pour son avenir. Parfois d’ailleurs les autorités ne sont même pas au courant des manifestations car elles sont spontanées. C’est la preuve que personne ne peut les payer.
Vous êtes un leader de la société civile qui vit les évènements récents de l’intérieur. Comment expliquez-vous qu’il y ait un tel consensus autour de la contestation de la présence française au Niger ?
Je pense qu’il n’y a pas meilleure personne que les populations pour évaluer ce qui s’est passé dans ce pays, notamment dans le domaine sécuritaire. Les populations de Niamey, tout comme celles qui vivent dans les grandes villes, sont quand même des populations qui sont issues du terroir national. Lorsque les villages en proie à l’insécurité sont vidés de leurs populations, elles constituent une charge pour les populations urbaines. Elles viennent se réfugier dans les villes et communes de notre pays et la mort de nos militaires nigériens depuis le début de l’insécurité dans le pays, n’a épargné aucune famille. Il faut rappeler qu’il y a quand même 5.500 militaires et civils qui ont été tués entre 2012 et 2023. C’est énorme.
Est-ce que tout cela est imputable à la France ?
Lorsque qu’on fait le diagnostic, ça fait longtemps que nous l’avions fait, on s’est rendu compte que la France qui est supposée être notre allié dans le cadre de la lutte contre le terrorisme n’a rien apporté de positif. Au contraire, la situation s’est détériorée après l’arrivée des troupes françaises sur notre sol. Je rappelle qu’au tout début, le Niger n’a jamais demandé la présence des forces françaises dans notre pays. C’est en soutien à la présence française au Mali que le Président de la France de l’époque, François Hollande pour ne pas le nommer, avait demandé au Niger une autorisation d’installer une basse aérienne qui doit servir de pont pour acheminer la logistique au Mali. Ce n’est pas pour combattre sur notre sol. A notre grande surprise, au fur et à mesure de leur présence ils ont étoffé ça jusqu’à avoir 1500 soldats sur notre territoire et, lorsqu’on discute avec les militaires nigériens, ces 1500 soldats n’ont jamais en réalité participé à des manœuvres visant à tuer des terroristes. Au contraire, lorsque nos forces de l’ordre à un certain moment ont commencé à prendre le dessus sur le terrorisme, nous avons vu des manœuvres de la France visant à accuser certains chefs militaires de bavures, d’exactions sur des populations civiles, comme si des terroristes avaient une fois été des militaires d’un pays ou d’un Etat donné.
Et nous avons aussi des témoignages de populations vivant dans ces contrées qui démontrent qu’il y a une certaine connivence entre la France et ces terroristes. Pour preuve, depuis le 26 juillet 2023 les attaques avaient considérablement diminué lorsque le CNSP avait pris le pouvoir. Il aura fallu 2 survols de notre territoire par des avions de la France qui ont éteint leurs transpondeurs pour que le lendemain et le surlendemain les attaques reprennent. Ce qui veut dire que la logistique, les armes, le carburant, les motos, sont offerts par ceux qui sont là prétendument pour nous aider à combattre le terrorisme.
Vous parlez de mobilisation permanente jusqu’au départ des troupes françaises alors qu’il reste encore presque 60 jours avant l’expiration du dernier ultimatum donné aux Français. Comment est-ce que cette mobilisation va-t-elle se faire ?
Nous sommes déterminés. Nous avons pris l’engagement devant notre peuple et devant les autorités d’être présents constamment sur le site de l’escadrille jusqu’au départ du dernier soldat Français qui réside encore sur la base 101 de l’armée nigérienne. Nous maintiendrons notre présence et parfois nous appellerons à des manifestations beaucoup plus grandioses. Mais, pendant les journées nous sommes convaincus que le pays doit continuer à travailler. Pendant la semaine, ceux qui n’ont pas de travail ou ceux qui peuvent se libérer feront le pied de grue et lorsque le weekend ou d’autres journées on aura besoin de beaucoup plus de monde, on appellera la population à se joindre à ceux qui sont sur place. Mais, toujours est-il dit que jusqu’au départ du dernier militaire, le front patriotique pour la souveraineté du Niger maintiendra une présence, même symbolique, devant la base aérienne 101.
Beaucoup d’anciens disent qu’il faut remonter aux temps des Samarias pour trouver une telle union autour d’un idéal commun. Comment expliquer la ferveur actuelle du peuple nigérien dans son ensemble ?
Le régime qui a été balayé par le CNSP a réussi la prouesse de se mettre à dos l’ensemble des forces politiques sociales et économiques. Aujourd’hui, c’est le rejet de toute la politique et de la gouvernance de ce régime qui est parvenu à souder les Nigériens. Les coups d’Etat d’avant que le Niger a connu ont donné lieu à des manifestations d’une journée ou deux et après tout est rentré dans l’ordre. Mais aujourd’hui des villages et des communes de notre pays qui n’ont jamais connu de manifestations par le passée continuent encore à se mobiliser et à apporter leur soutien. C’est la preuve que ce régime qui a été déchu par les militaires a bouleversé la vie des Nigériens et a profondément marqué leur vie au point ou cela a constitué leur chute tout en constituant un ciment pour notre peuple.
Êtes-vous en coordination avec la diaspora parce qu’on constate que la mobilisation se fait aussi bien au pays qu’à travers le monde ?
Dès le départ notre Front a lancé un appel à la mobilisation à tous les Nigériens, qu’ils soient au Niger ou de la diaspora. Nous nous mobilisons à travers des manifestations au niveau des différents pays d’accueil de cette diaspora. Lorsque nous sommes dans des activités comme les brigades de veille citoyenne, à l’image du pied de grue que nous avons décidé de faire au niveau de l’Escadrille, cela nécessite des moyens. Nous sommes convaincus que notre Etat n’a pas les moyens de financer de telles actions et d’ailleurs nous-mêmes nous n’en voudrons même pas, parce que nous préférons que ce soient des manifestations citoyennes financées par les citoyens afin que l’Etat consacre les maigres ressources de notre pays à assurer le fonctionnement régulier des institutions, à assurer la sécurité des citoyens, de même que les autres missions régaliennes. Si on n’a pas la possibilité de faire des manifestations à l’extérieur ou si même on le fait, on peut aussi venir en aide au peuple qui a décidé de se lever en apportant de la nourriture, de l’eau, du jus, etc.
Quand est-il de la question russe qui revient en boucle sur certains médias extérieurs ?
A la différence du Mali que nous respectons dans ses choix, et aussi du Burkina Faso, jusqu’à cette date où je parle, ni le gouvernement, ni même nous les acteurs de la société civile, n’ont appelé à des manifestations en faveur de ce pays, malgré la présence de drapeaux lors des manifestations. Nous avons fait le choix de nous défendre par nous-mêmes en comptant sur nos propres forces, évidemment avec l’appui de certains pays alliés qui sont dans le même espace géographique que nous tels que le Mali, le Burkina Faso, la Guinée et même l’Algérie dans une moindre mesure. Nous sommes convaincus que la sécurisation des frontières du Sahel doit se faire à travers une symbiose entre les armées des pays qui sont confrontés à ce fléau. Nous ne sommes pas partisans de changer un maitre par un nouveau maitre. Nous sommes en phase avec le CNSP qui a décidé depuis lors de compter sur nos propres forces afin de faire face non seulement à la menace d’intervention militaire de la CEDEAO, mais aussi à la menace djihadiste. D’ailleurs, depuis l’avènement du CNSP les tentatives d’attaques contre notre armée se sont soldées par des dizaines de morts du côté des terroristes. C’est la première fois que nous constatons cela et nous sommes convaincus que notre armée est capable de faire face à cette menace en comptant, comme je l’ai souligné plus haut, sur la coordination avec les pays qui partagent les frontières avec nous dans le cadre de la zone des trois frontières.
Propos recueillis par Souleymane Yahaya (ONEP)