La mise en œuvre du programme électronucléaire du Niger (PEN) est conduite par la Haute Autorité à l’Energie Atomique(HANEA). Dans cette interview, le président du Collectif des Organisation de Défense du Droit à l’Energie (CODDAE) revient sur les contraintes et les challenges d’une centrale nucléaire au Niger, mais aussi sur la prise de décision découlant de la réalisation d’un tel complexe industriel.
M. le président, l’énergie est une question prioritaire pour notre pays et le monde entier. Quelle est votre appréciation par rapport à l’engagement du Niger dans un Programme électronucléaire ?
J’apporte tout de suite une précision importante. Il s’agit ici du nucléaire civil ! Je pèse mes mots, compte tenu du contenu anxiogène, inné au mot «nucléaire». Etablissons ensuite la situation énergétique du Niger. Voici des faits remarquables et simples : le Niger est le pays africain qui consomme le moins d’énergie par habitant et paradoxalement, il dispose plus de 269.000 tonnes d’uranium et occupe le 4ème rang des producteurs mondiaux d’uranium. Vous remarquerez que notre pays produit du pétrole depuis le 28 novembre 2011, néanmoins, nous demeurons un petit producteur, et de toute façon c’est une énergie qui coûte encore chère ; en plus, les fluctuations mondiales des prix du pétrole créent un désordre qu’un pays aux ressources limitées comme le nôtre ne peut que subir.
Au rythme actuel, pour permettre au Niger d’atteindre un taux d’électrification d’au moins 80% en 2035, il est obligé de changer de stratégie. Notre pays doit s’orienter vers une énergie de substitution, ce qui lui permettrait sans doute de porter son choix sur le nucléaire civil. Dans cette perspective, il a lancé, le 16 mars 2011, son programme électronucléaire (PEN), qui est un vrai levier de croissance et qui répond aux nouveaux enjeux techniques et sociétaux. Dans ce contexte, le Niger coopère étroitement avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA). Cette coopération est le résultat d’une politique cohérente et réaliste. D’ailleurs, l’AIEA a fixé des objectifs à nos dirigeants. A la lumière des résultats très encourageants, le PEN suscite beaucoup d’admiration et de visibilité. En 2018, une équipe d’experts est arrivée à Niamey, afin d’examiner l’état d’avancement de l’infrastructure. Il s’agit de l’examen intégré de l’infrastructure nucléaire (INIR). Cette première mission reposait sur l’approche par étapes de l’AIEA, qui s’articule autour de 19 questions et se découpe en 3 phases et 3 étapes. Elle permet aux représentants des États membres de l’AIEA d’engager des débats approfondis avec des experts internationaux sur les expériences engrangées et sur les meilleures pratiques appliquées dans différents pays. L’équipe INIR avait observé que le gouvernement était fermement résolu à mettre en place l’infrastructure nucléaire. Dans ce cadre, le Niger a créé le Comité d’orientations stratégiques pour le programme électronucléaire et le Comité technique national pour le programme électronucléaire, placés sous la tutelle de la HANEA. Ces deux Comités forment l’organisme d’application du Programme d’énergie nucléaire (NEPIO). Ceci a permis à l’équipe INIR d’obtenir des informations complémentaires sur les 19 dossiers, accompagnés de la documentation nécessaire à la mise en œuvre de l’infrastructure électronucléaire. Des recommandations et préconisations qui ont montré l’intérêt de notre pays avec des étapes bien réfléchies, sont sorties de ces études. L’exécution du programme permet à notre pays d’acquérir un savoir-faire et une maîtrise des technologies diversifiées dans le domaine du nucléaire civil. Il s’agit d’un choix harmonieux et déterminé par des facteurs internes et externes, qui suscitent de grands espoirs dans sa mise en œuvre. Sa complexité tient à la géopolitique et aux intérêts protégés de certains pays du nord. L’ambition du Niger consiste à produire de l’énergie sur la base de ses besoins de consommation sans pour autant contribuer au réchauffement climatique et donc, en réduisant au maximum l’émission des gaz à effet de serre. Pour cela, une communication efficace est établie entre les différents intervenants et principalement avec la société civile. Actuellement, celle-ci travaille en étroite collaboration avec la HANEA et l’ARSN. Cependant, cette mission nécessite la création d’une synergie d’actions plus poussée et d’un consensus à l’échelle nationale pour sa réussite. Une fois que cette condition aurait été atteinte, le gouvernement doit mettre à la disposition de la HANEA et à l’ARSN des locaux supplémentaires et des ressources humaines en quantité et de qualité, car le site qui doit accueillir la centrale nucléaire est déjà proposé et dans les meilleures conditions la pose de la première pierre est prévue en 2025.
Dans une période comme celle que nous traversons, selon vous en quoi le secteur de l’énergie nucléaire civile, est-il important pour le Niger et l’Afrique de l’ouest ?
L’importance de l’énergie nucléaire civile n’est plus à démontrer. Ces 50 dernières années les technologies ont beaucoup changé. Le premier facteur déterminant est que le nucléaire a un atout exceptionnel pour tout développement économique et social. Néanmoins, toutes les énergies ont des avantages et des inconvénients. En faisant objectivement la part des choses, on se rend compte que pour le Niger, le choix du nucléaire peut procurer aux consommateurs une électricité à moindre coût, saine et sans émission du dioxyde de carbone dans l’atmosphère. Le défaut de l’énergie nucléaire, est singulièrement le transport et le stockage des combustibles usés qui sont nocifs pour l’environnement, ainsi que pour la santé de la population, à cause de leurs substances radioactives qui sont aujourd’hui maîtrisables grâce aux nouvelles méthodes d’exploitation. En revanche, vu les dégâts considérables dus aux énergies fossiles par le fait de la pollution et du gaz à effet de serre, le Niger a les moyens de minimiser le risque d’accident. Cependant, la réalisation d’une centrale nucléaire est un processus lent qui nécessite un investissement pouvant engendrer un coût particulièrement élevé, le plus souvent insupportable par les ressources propres de l’Etat. Mais, grâce à son excellent rendement, dès sa mise en service, la centrale nucléaire permettra un retour rapide à l’investissement et un gain considérable en termes de taux d’accès et de couverture à l’électricité. Toutefois, la mise en œuvre du PEN est une question sensible que notre pays aborde en toute confiance et en toute transparence vis-à-vis de l’AIEA, en concertation avec la HANEA et l’ARSN. C’est pour dire que ledit programme est géré par le gouvernement avec une ferme conviction. La prétention de notre pays à disposer d’une centrale nucléaire civile et d’intégrer les grands pays disposant de cette énergie est parfaitement légitime et à sa portée. N’a-t-on pas coutume de dire, «la vie est une question de choix, soit on se lève en prenant son destin en main, soit on reste spectateur de la réussite des autres».
Comme vous dites, il est important de créer la confiance et la transparence dans le processus. Quelles actions comptez-vous mener pour convaincre du bien-fondé de ce choix historique et patriotique ?
Je trouve cohérent de mobiliser les acteurs qui comptent dans le pays, dont les ONGs, en concertation avec la HANEA et l’ARSN, deux institutions qui ont fait d’énormes progrès et qui ont démontré jusqu’à ce jour un savoir-faire remarquable en matière de gestion des différentes activités nucléaires. Il y a certes une offensive de certains pays et certaines institutions internationales qui cherchent à minimiser la décision de notre pays, classé pourtant 4ème producteur mondial de l’uranium. C’est pourquoi, les responsables du pays doivent avancer avec assurance et en toute lucidité dans la réalisation de cet important projet pour le Niger et l’Afrique de l’ouest, conformément à leurs bonnes intentions et à l’option du mix énergétique. L’Assemblée nationale et le Conseil économique, social et culturel (CESOC), peuvent se saisir de la question pour renforcer la détermination de l’Etat sur la base d’une information complète recueillie après audition de toutes les parties prenantes. Ensuite, ces institutions de la République doivent plaider pour que le choix du gouvernement, soit définitivement respecté et exécuté dans les délais prévus. Pour atteindre ce grand défi, il faut appeler à plus de mobilisation des leaders d’opinion, car le Programme électronucléaire, fait une place de choix aux acteurs de la société civile, plutôt que de susciter à tort l’hostilité des citoyens. C’est en ce sens que la réalisation du PEN permettra de tester la clairvoyance et la prévoyance des Nigériens. En d’autres termes, il faut avoir de la hauteur et du recul nécessaire pour aboutir à cet objectif.
Des incidents récents ont démontré que les centrales nucléaires présentaient des dangers. Que proposez-vous afin qu’au Niger les gens ne soient pas contre l’utilisation de l’énergie nucléaire pour produire de l’électricité ?
Effectivement, dans certains pays très avancés, les centrales nucléaires suscitent de la controverse. Des farouches écologistes pensent qu’elles sont trop audacieuses, tandis que d’autres groupes croient plutôt qu’il s’agit d’une solution de rechange sûre et propre aux autres modes de production de l’électricité. Croyez-vous que les mesures de sécurité et de sûreté nécessaires n’aient pas été prises dès le départ dans les pays où les accidents nucléaires se sont produits ? Atténuer les risques des accidents nucléaires, suppose que les gens reconnaissent que l’énergie nucléaire représente le meilleur moyen pour produire de l’électricité que les pays africains, dont le Niger, ont tant besoin. Il faut admettre que lors de la conception d’une centrale nucléaire, les dangers potentiels liés à la manipulation et au traitement chimique des éléments combustibles irradiés, font au préalable l’objet d’examens bien réfléchis et approfondis. Naturellement, certains débats sur les risques d’accident provoquent la méfiance et l’inquiétude des populations, mais lorsque les avantages nucléaires leur sont expliqués, leur adhésion s’accroit. Les études effectuées conduisent à la mise en place de dispositifs appropriés, qui permettent d’affirmer, en toute objectivité, que les travailleurs, les populations et l’environnement sont parfaitement protégés. C’est pourquoi, le gouvernement a tout intérêt de maintenir à un niveau plus élevé la confiance des populations et des partenaires, en même temps adopter des mesures renforçant leur efficacité. En revanche, si le Niger n’avait pas lancé ce programme, il aurait passé cinquante ans, soit dans des coupures d’électricité récurrentes, soit dans des pénuries énormes d’électricité, soit confronté à des investissements qui accroîtraient sa dépendance en électricité vis-à-vis du Nigeria. En conséquence, il faut établir de véritables perspectives, et défier toutes les idées préconçues. L’énergie nucléaire est une source sûre, non polluante, tournée vers l’avenir et, pour le cas du Niger, ne servira nullement à la fabrication d’armes nucléaires. C’est pour toutes ces raisons que la tâche de chacun de nous, réside dans sa contribution méthodique minime soit-elle à cet effort national de finalisation du PEN dans les meilleures conditions. Comme tout le monde le sait, le risque zéro n’existe dans aucun domaine humain. Nous avons une population très jeune et donc des besoins énormes pour les former et les encadrer en vue de produire une économie performante et dynamique. Comment réussir ce pari existentiel sans une énergie bon marché ? En tant qu’acteur de la société civile au plan national et international, je pense que le nucléaire civil est un choix intelligent et responsable, car comme on dit, «quand on veut aller au bain, on ne va pas au moulin.»
Propos recueillis par Oumarou Moussa