
Des nattes artisanales faites à base de feuilles de palmier doum
Jadis utilisées régulièrement dans nos sociétés, les nattes artisanales étaient un élément phare dans les traditions africaines, notamment en milieu rural. Ainsi, « dérouler la natte à son invité » symbolise un accueil chaleureux avec tous les honneurs. ‘’Tabarma kaba’’ en haoussa et ‘’tangaracongou’’ en zarma, les nattes artisanales sont considérées comme des mobiliers de foyer, des tapis pour le lit, et servent souvent de décor. De nos jours, compte tenu de l’évolution du monde, avec la modernité, les usages traditionnels liés à ces nattes tendent à disparaître.
L’utilisation des nattes en feuilles de palmier était une pratique très courante chez les différentes ethnies du Niger. Mais, depuis quelques années, les nattes en plastique, fabriquées industriellement remplacent, celles faites à base de feuilles de palmier.

Plus connue sous le nom de Tinni Bio Gna, Moumay Harouna témoigne sur l’importance des feuilles du palmier doum, qui ont beaucoup de significations dans notre tradition. Auparavant, affirme-t-elle, après chaque saison des pluies, les gens partaient en brousse pour la cueillette des feuilles du palmier doum, afin de les stocker pour de multitudes usages. « C’est toute une technique de travail fait à la main. La paille est trempée dans l’eau pour la rendre un peu molle et plus facile à manier. La confection des objets à base de paille requiert un savoir-faire, du talent dans le but de faire connaître davantage l’artisanat traditionnel », a-t-elle fait savoir.
A partir des feuilles, explique-t-elle, des nattes, des chaussures et d’autres objets de décorations sont confectionnés. Pour le tissage des nattes, il y a une variété de feuilles qu’on appelle ‘’goylo’’ qui est associée avec celle des feuilles fines pour tisser de très belles nattes. Il y a également une variété des feuilles qui sont grandes, spécialement utilisées pour faire des chaussures. « Lors des événements de mariage, les parents d’antan n’osaient pas donner en mariage leurs filles sans les accompagner avec au moins cinq nattes en paille. Pour nous les gens du village, il n’y a pas mieux que les nattes en paille, parce qu’à notre époque, il n’y avait pas de matelas et d’autres conforts. Nous ne connaissions pas le luxe. Tout était traditionnel chez nous », dit-t-elle.
Toujours dans la tradition, poursuit-t-elle, un prétendant n’est jamais chassé à travers la parole, c’est l’acte qui résume tout. « C’est à travers la natte qu’on accueille ou renvoie un prétendant, s’il est le bienvenu ou pas. A cet effet, la natte qui possède la couleur noir et blanc signifie que la personne n’est pas la bienvenue. Au contraire, celle qui a la couleur blanche signifie que la personne est la bienvenue, et est acceptée par sa belle famille », précise Moumay Harouna.

De nos jours, déplore-t-elle, rares sont les mères qui possèdent les nattes traditionnelles dans leur concession. Les jeunes mariées, on n’en parle même pas. Cela ne signifie pas grand-chose pour elles ou souvent elles assimilent cela à un manque de civilisation. « Même pour le séchage de la farine ou autres produits, les parents d’aujourd’hui utilisent les nattes modernes, c’est-à-dire celles en plastique. Alors que celles en paille sont beaucoup plus appropriées », ajoute Tinni Bio Gna.

Dans la vie en général, précise-t-elle, cette espèce reste toujours incontournable, parce que la fin de l’être humain sera dans la natte en paille. « Cette dernière sert en effet de cercueil dans lequel la dépouille mortelle est emballée et transportée jusqu’à sa dernière demeure. D’où sa valeur culturelle qui transcende les temps », raconte l’octogénaire.
Beauté de l’artisanat traditionnel
De nombreux articles sont confectionnés avec la paille. Il s’agit notamment des nattes, des sacs, des paniers, des éventails et des objets de décoration. Âgée d’une soixantaine d’années, Mme Yacoubou Alhoussouna est une tisseuse de divers objets en paille. Elle était présente à l’édition du SAFEM qui s’est tenue du 9 au 15 décembre 2024. Elle confie que c’est une activité qu’elle a apprise dès le bas âge. « Nous avons hérité cette activité de nos ancêtres, ce sont nos parents qui nous ont initiés dans ce métier depuis l’âge de 7 ans, et nous continuons à l’exercer jusqu’à aujourd’hui », dit-t-elle.
Selon ses dires, les fagots de paille sont achetés dans les jardins. Le moment le plus propice où on en trouve en abondance, c’est pendant la saison pluvieuse. « Il y a cinq types de couleur de paille, à savoir la couleur blanche, rouge, verte, jaune, et noire. Et nous travaillons avec toutes ces couleurs. Nous confections des nattes simples et multicolores », affirme la tisseuse.
En dehors de la confection des différents objets, elle a fait savoir que c’est grâce à ces pailles qu’elles fabriquent les tentes. « Nous avons beaucoup bénéficié de cette activité, car c’est dans ça que nous passons toute notre vie. Dans le milieu touareg, c’est dans nos tentes en paille également qu’on héberge nos jeunes mariés. C’est une tradition que nous avons trouvée depuis nos ancêtres, que nous continuons encore à garder jalousement. Nous ne rentrerons jamais dans les maisons faites en banco ou villas. Il n’y a pas mieux que les maisons faites à base de natte en paille », ajoute-t-elle.
Mais, de nos jours, avec le modernisme, se désole-t-elle, les citadins ne travaillent plus avec cette dernière. « C’est nous seulement, les gens de la brousse, qui connaissons sa valeur et son aspect culturel. Avant, les gens ne connaissaient pas d’autres nattes à part celles en paille. Les nattes en plastique là, nous ne les connaissons pas dans notre tradition. Chez nous, à Agadez, c’est avec la natte en paille que nous accueillons fièrement nos étrangers », indique-t-elle.
L’utilisation de la natte en paille permet non seulement de se sentir toujours en forme, mais aussi de ne pas avoir des courbatures. « C’est parce que les gens ne savent pas ses bienfaits sinon, même si c’est gratuitement qu’on va leur donner une natte en plastique ils ne prendront pas. Par exemple, pendant la saison chaude, on ne peut pas passer des heures sur une natte plastique, la chaleur pique. Alors qu’avec la natte en paille c’est le contraire ; c’est pourquoi, nous appelons la population à revenir sur la tradition, la culture et de délaisser tout ce qui ne cadre pas avec notre mode de vie », dixit Mme Yacoubou Alhoussouna.
Concernant la durée et le temps de la confection des différents articles, tout dépend de la taille. « Pour la confection des nattes par exemple, on peut faire 48h ou même 72 h avant sa finition. Il y a des nattes dont le prix varie de 3.000 FCFA à 5.000 FCFA ; les paniers sont vendus à 2.500 FCFA l’unité, les petits éventails pour décoration sont vendus à 1.000 FCFA l’unité. Dieu merci, à l’occasion de cette foire, nous avons eu notre part. Les gens qui connaissent l’utilité de nos objets traditionnellement tissés sont venus en acheter. La vente de ses nattes nous permet d’avoir des ressources financières », se réjoui-t-elle.
Farida. A. Ibrahim(onep)